Un singe sans capital

Théâtre
Critique

Un singe sans capital

Le 4 Oct 2015
Benoit Carré, Antoine Cegarra, Léo-Antonin Lutinier et Frédéric Noaille dans LE CAPITAL ET SON SINGE, d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault, création à Angers, mars 2014, joué au Théâtre de La Colline, septembre 2014. Photo D. R.
Benoit Carré, Antoine Cegarra, Léo-Antonin Lutinier et Frédéric Noaille dans LE CAPITAL ET SON SINGE, d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault, création à Angers, mars 2014, joué au Théâtre de La Colline, septembre 2014. Photo D. R.

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Benoit Carré, Antoine Cegarra, Léo-Antonin Lutinier et Frédéric Noaille dans LE CAPITAL ET SON SINGE, d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault, création à Angers, mars 2014, joué au Théâtre de La Colline, septembre 2014. Photo D. R.
Benoit Carré, Antoine Cegarra, Léo-Antonin Lutinier et Frédéric Noaille dans LE CAPITAL ET SON SINGE, d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault, création à Angers, mars 2014, joué au Théâtre de La Colline, septembre 2014. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
126 – 127

Publicité et fantasme

LE CAPITAL ET SON SINGE…, si vous ne l’avez pas vu, vous en avez cer­taine­ment enten­du par­ler ! D’abord parce que c’est un suc­cès – la tournée dure plus d’un an. Et aus­si parce qu’il existe une légende autour de sa créa­tion : une rési­dence – longuis­sime pour l’époque actuelle – à la cam­pagne, qui aurait duré presqu’un an ; des débats dra­maturgiques et de grands conflits à l’intérieur du col­lec­tif ; l’exclusion de cer­tains mem­bres. Tout cela pour aboutir à un spec­ta­cle entière­ment impro­visé, une écri­t­ure de plateau nour­rie de sources his­toriques, philosophiques et lit­téraires décor­tiquées ensem­ble durant un véri­ta­ble temps de vie en com­mun. Par­mi toutes ces rumeurs, il est bien diffi­cile de savoir laque­lle est vraie – Syl­vain Creuze­vault, le « meneur » de l’aventure, n’accordant guère d’interview. D’ores et déjà, le pre­mier col­lec­tif qu’il avait fondé au début des années 2000 avec, notam­ment, Arthur Igual et Louis Gar­rel, était déjà cou­tu­mi­er de cette méth­ode de tra­vail favorisant autonomie, débrouille et indépen­dance vis-à-vis des insti­tu­tions et des dis­cours expli­cat­ifs « pub­lic­i­taires » : si LE CAPITAL… est un spec­ta­cle pro­duit dans les cir­cuits clas­siques du théâtre pub­lic, le jeune col­lec­tif s’enorgueillit de n’avoir en revanche jamais eu à deman­der de sub­ven­tions. or, force est de con­stater que cette opac­ité, loin de nuire à la recon­nais­sance du tra­vail de Creuze­vault, sem­ble au con­traire aujourd’hui en redou­bler l’attrait. Si ce con­texte de créa­tion invite au fan­tasme, l’objet même du spec­ta­cle y par­ticipe aus­si : com­bi­en de mythes Karl Marx et son CAPITAL n’ont-ils pas sus­cité, depuis bien­tôt un siè­cle et demi…!  Un tel objet, affiché dès le titre du spec­ta­cle, ouvre effec­tive­ment d’emblée la ques­tion poli­tique, et évoque tout l’imaginaire du mil­i­tan­tisme et de l’histoire de l’extrême-gauche. Il en appelle aus­si à l’image d’un cer­tain théâtre dit « poli­tique » ou « mil­i­tant » qui, sous cou­vert de mis­sion publique du théâtre, se mis­sion­nerait surtout lui-même pour don­ner des leçons au pub­lic.

Théâtre didactique, ou d’un singe qui échappe à son dresseur

Com­ment, en effet, faire du théâtre avec ou à par­tir d’un immense ouvrage d’économie poli­tique, inachevé, qui sus­cite néan­moins tou­jours autant d’intérêt auprès de nos con­tem­po­rains ? Le choix de Creuze­vault – loin de vers­er dans un didac­tisme mil­i­tant ou illus­tratif –, vise plutôt à aus­cul­ter le CAPITAL comme un objet d’imaginaire et de pas­sion, et non comme un recueil de sagesse ou un manuel de com­bat. Ludique donc, con­tra­dic­toire éventuelle­ment : théâ­tral. En somme s’attaquer au Cap­i­tal par son « singe », cet ani­mal bouf­fon, malin et savant dont la présence dans l’intitulé du spec­ta­cle d’abord étonne, et main­tenant nous éclaire.

Singer sig­nifie repro­duire, mais mal ; recopi­er, mais mal­adroite­ment ; imiter, mais finale­ment faire la car­i­ca­ture. Mal­adresse et volon­té de car­i­ca­ture, le ton est don­né. Nous n’entrons surtout pas dans une salle de cours, n’arrivons pas face à un objet achevé. La pièce reste tou­jours sur le feu, en con­stante évo­lu­tion – et comme nous l’annonce le pro­gramme, les acteurs ont décidé « d’improviser ce qui de l’écriture était restée à l’état de fluid­ité, à cer­tains endroits à l’état de presque absence. » Un spec­ta­cle, diri­ons-nous donc, d’artisanat, qui se fab­ri- que directe­ment sous nos yeux. Ce n’est pas une manière de s’excuser, c’est un choix pro­pre­ment esthé­tique. C’est d’ailleurs dans cette énergie, plus que dans le rap­port direct aux textes de Marx, que peut se décou­vrir la qual­ité pro­pre­ment cri­tique et poli­tique du spec­ta­cle.

Les spec­ta­teurs entrent donc dans la salle de spec­ta­cle et se pla­cent. Les lumières sont allumées, cer­tains acteurs sont déjà sur scène. Le dis­posi­tif bifrontal crée un long espace rec­tan­gu­laire comme plateau, occupée par ce qui va se révéler être le lieu de toutes les actions théâ­trales : une grande table. Tablée des fes­tins, des ban­quets répub­li­cains, et des grands débats. Non pas une seule table mas­sive d’ailleurs, mais un assem­blage hétéro­clite de mul­ti­ples tables qui s’agencent les unes dans les autres. Déjà une métaphore du col­lec­tif ? En tout cas, la sim­plic­ité – choisie et tra­vail­lée – du décor place d’emblée le spec­ta­teur face à un objet qui n’est pas par­faite­ment poli. Sur cette table, on y boit du rouge et on y mange du petit salé aux lentilles – servie d’ailleurs unique­ment par les femmes. Sommes-nous face à une subite volon­té de représen­ta­tion réal­iste de la place des femmes au XIXe siè­cle ? Le titre annonçait déjà ce que l’espace cherche donc main­tenant à confirmer : ce n’est pas une belle pièce, pensez col­lec­tif, pensez arti­sanat, ne soyez pas respectueux car nous ne le sommes pas.

Le Capital et son rêve

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Critique
Sylvain Creuzevault
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Écrit par Pierre Chevalier
Pierre Cheval­li­er est élève dra­maturge au Théâtre Nation­al de Stras­bourg. Il a aupar­a­vant étudié prin­ci­pale­ment la philoso­phie, mais...Plus d'info
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