Claude Schmitz : les moyens de ses ambitions

Théâtre
Critique

Claude Schmitz : les moyens de ses ambitions

À propos de Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant

Le 21 Avr 2016
Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant, de Claude Schmitz, drama- turgie Judith Ribardière, Les Halles de Schaerbeek, 2015. Photo Clémence de Limburg.
Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant, de Claude Schmitz, drama- turgie Judith Ribardière, Les Halles de Schaerbeek, 2015. Photo Clémence de Limburg.

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Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant, de Claude Schmitz, drama- turgie Judith Ribardière, Les Halles de Schaerbeek, 2015. Photo Clémence de Limburg.
Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant, de Claude Schmitz, drama- turgie Judith Ribardière, Les Halles de Schaerbeek, 2015. Photo Clémence de Limburg.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 128 - There are aslternatives!
128

Par sa vir­tu­osité nar­ra­tive hors-norme, ses méth­odes de tra­vail atyp­iques et la très forte cohérence artis­tique de sa démarche, Claude Schmitz s’impose depuis dix ans comme le plus doué des met­teurs en scène de sa généra­tion en Bel­gique fran­coph­o­ne1. Après une recherche con­crétisée dans des pre­miers spec­ta­cles à l’étrangeté par­fois absconse, l’auteur et met­teur en scène brux­el­lois gagne en générosité à chaque nou­veau pro­jet, en réus­sis­sant la prouesse de ne jamais baiss­er ses exi­gences, tant dans les audaces formelles qu’il s’autorise, que dans l’importance des sujets traités. L’ambition de Dar­ius, Stan et Gabriel con­tre le monde méchant est démesurée : métapho­ris­er la crise que tra­verse le monde occi­den­tal à tra­vers le par­cours ini­ti­a­tique de trois pieds nick­elés, dans une nar­ra­tion découpée en trois par­ties esthé­tique­ment autonomes (dont la par­tie cen­trale est un film de trente min­utes réal­isé pour l’occasion). 

Dessin d’Adèle Grégoire.
Dessin d’Adèle Gré­goire.
Who’s Afraid of the Big Bad Wolf ? 

Trois petits cochons vivent mod­este­ment dans un apparte­ment brux­el­lois délabré : Dar­ius, hard rockeur au chô­mage, Stan, trente­naire nerveux et Gabriel, jeune étu­di­ant aux Beaux-Arts. Leur sit­u­a­tion pré­caire ne s’arrange pas avec l’arrivée du par­a­site-Benoît, SDF qui s’installe dans l’appartement et se con­stru­it une cabane au milieu du salon.

La Bel­gique est en crise. L’Europe est en crise. C’est le con­stat de nos cama­rades. Ici, le grand méchant loup, c’est la crise qui vient, en per­son­ne, toquer à la porte et chas­s­er les petits cochons de leur apparte­ment. Pour con­tin­uer à vivre digne­ment, il ne leur reste plus qu’à fuir et retrou­ver le par­adis per­du, loin de l’Europe. Dans une exal­ta­tion utopique et naïve, ils rêvent de s’expatrier au Mali où la vie leur paraît sim­ple et heureuse. Un beau jour, nos trois pieds nick­elés déci­dent de faire leurs valis­es et de s’engager sur l’autoroute, direc­tion : « LE SUD ».

Pour imag­in­er son scé­nario, Claude Schmitz s’est emparé d’une his­toire réelle­ment arrivée à l’un des comé­di­ens dans sa colo­ca­tion. En mêlant ce fait divers à la fable des trois petits cochons, l’anecdote se trans­forme en allé­gorie de la crise. Par­tant d’une sit­u­a­tion réal­iste, Schmitz parvient à déploy­er une dimen­sion fab­uleuse si bien qu’une ten­sion est main­tenue entre la fable et le réel sans jamais bas­culer ni d’un côté ni de l’autre. 

Dès le pre­mier jour des répéti­tions, le met­teur en scène racon­te très pré­cisé­ment son scé­nario à son équipe, tout en spé­ci­fi­ant qu’aucun dia­logue n’est écrit à l’avance. Il ne choisit pas ses inter­prètes pour com­pos­er un rôle mais bien pour créer un per­son­nage avec eux. Tra­vailler avec Olivi­er Zan­ot­ti, Clé­ment Los­son, Patchouli et Fran­cis Soetens c’est donc tra­vailler à par­tir d’eux, avec ce qu’ils sont, avec ce que leurs corps racon­tent. Je ne pense pas à des per­son­nages quand je tra­vaille avec eux, pré­cise Claude. Je pense à eux, et donc je pense à la sit­u­a­tion dans laque­lle je les mets. J’essaye d’être sen­si­ble à ce qu’ils vivent réelle­ment dans la vie, à ce qu’on vit ensem­ble et de con­stru­ire à par­tir de ça. Je com­pose à par­tir d’eux. Le réel est là, à l’origine. Ce n’est pas comme si j’inventais une his­toire qui était décon­nec­tée de la réal­ité et qu’après j’allais choisir des acteurs et que je leur demandais de com­pos­er à par­tir de ça. Tu es donc obligé de tor­dre ton his­toire, ou en tout cas de tra­vailler avec les deux 2.

Par­mi les six inter­prètes du spec­ta­cle, qua­tre ne sont pas acteurs de for­ma­tion. Claude les a ren­con­trés par hasard dans des cafés et leur a pro­posé de par­ticiper à ses pro­jets. Patchouli, Clé­ment Los­son et Olivi­er Zan­ot­ti ont déjà fait plusieurs spec­ta­cles avec lui. Fran­cis Soetens, qui joue le rôle de Benoît, monte sur un plateau de théâtre pour la pre­mière fois. La recherche passe d’abord par la col­lecte de détails : com­ment s’organiserait de manière réal­iste la vie en colo­ca­tion de Dar­ius, Stan et Gabriel ? Que font-ils dans la vie ? Quels rap­ports de hiérar­chie y a‑t-il entre eux ? Mais aus­si plus con­crète­ment : que sont-ils en train de faire au moment où la pièce com­mence ? Quelles activ­ités font-ils quand ils ren­trent chez eux ? C’est autour de ces ques­tions que les pre­miers jalons de la pièce se met­tent en place.

Choisir des inter­prètes qui n’ont pas a pri­ori un jeu « tech­nique » et maîtrisé con­stitue une forme de reven­di­ca­tion esthé­tique : inscrire au cœur de la démarche les failles pro­pres au « vivant ».

Quand je leur demande d’être réal­iste, je veux dire « ne trichez pas, ne fab­riquez pas », mais, en fin de compte, ils fab­riquent quand même. Je leur demande d’être au plus proche d’eux, mais nous sommes tout de même là pour créer une forme. 

  1. Cf. notre entre­tien dans le n°120 d’Alternatives théâ­trales, « Claude Schmitz : croire en sa fic­tion », avril 2014. ↩︎
  2. Entre­tien avec Judith de Laubier ; l’ensemble des pas­sages en italiques sont des cita­tions extraites de ces entre­tiens. ↩︎
  3. Respec­tive­ment scéno­graphe et directeur tech­nique du spec­ta­cle. ↩︎
  4. On pense à l’autonomisation de l’enclume dans Ameri­ka ou du con­géla­teur dans Melanie Daniels. ↩︎

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Claude Schmitz
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Co-écrit par Judith de Laubier
Née en 1990, Judith vit et tra­vaille entre Brux­elles et Paris. En 2011, elle entre à l’INSAS en...Plus d'info
Antoine Laubin
et Antoine Laubin
Antoine Laubin ani­me la com­pag­nie De Fac­to. Il a conçu et mis en scène une ving­taine de spec­ta­cles...Plus d'info
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