Sâmân Arastou est acteur, auteur, metteur en scène, enseignant de théâtre.
Il débute sa carrière théâtrale en 1985. En 2008, à l’âge de 41 ans, il subit une phalloplastie.
Il est aujourd’hui un acteur transsexuel reconnu et accepté dans le milieu théâtral.
Je n’étais pas celle que j’étais
Je suis né(e) en 1967, je m’appelle Sâmân Arastou.
Bien sûr que Sâmân n’est pas mon vrai nom puisque je suis un homme aujourd’hui et que j’étais une femme avant. Je m’appelais Farzaneh Arastou. J’ai su très vite, dès l’âge de cinq ans, que j’étais différente. Je ne savais ni pourquoi ni comment, je savais juste que je n’étais pas celle que j’étais.
Pendant la puberté, j’avais honte de ma féminité, je ne me regardais jamais dans le miroir. Je ne me sentais pas opprimée en tant que femme, mon père était chirurgien, ma mère était une femme éduquée, et leur éducation était la même pour leurs dix enfants, filles ou garçons. Je suis le dernier de la fratrie. Avant moi, il y a six filles et trois garçons.
J’étais étrange, différente, mais je ne savais rien de la question du genre ou de la transsexualité. Mon père affirmait que j’étais différente mais il ne disait pas en quoi. Il le savait pourtant mais il ne disait rien. Il me disait : « Tu aurais dû être un homme mais tu ne l’es pas. » Je regardais les garçons parler, marcher, parler aux filles, et je les imitais ! Surtout les intellectuels !
Ceux qui lisaient, allaient au cinéma, parlaient d’art et de politique… Mon imaginaire était ouvert à la littérature, aux magazines, aux journaux… Tous les modèles se prêtaient à mes rêves : je m’identifiais à James Dean, j’étais en adoration devant Anthony Quinn, Zorba le Grec. On me reprochait dans la famille d’avoir trop lu, c’était mon imagination qui était responsable de mes incertitudes !
Je me suis obligée d’être une femme
Au lycée, il m’a fallu choisir : ou je me comportais comme une femme ou je m’identifiais aux hommes. Je me suis convaincu que j’étais une femme. Mais c’était si difficile que j’ai fait deux tentatives de suicide.
Ma famille exerçait une forte pression familiale et tenait absolument à me marier. Mais j’étais amoureuse… d’une fille. Je m’en souviendrai toujours, c’était un dimanche d’octobre. Elle était avec moi, face à la famille qui ne comprenait pas notre relation. Il m’a été demandé de ne plus la voir mais j’ai refusé, je répétais à ma famille que je n’étais pas une femme, mais personne ne l’entendait de cette façon. Ils ont voulu frapper mon amie qui a dû fuir. Je me suis blessée de colère (automutilée), et j’ai été hospitalisée.
J’ai alors vécu la période la plus dure de ma vie : j’ai été mariée de force. Le mariage a duré un jour exactement. Quant à la procédure de divorce, elle a duré un an et demi.
Mes rôles de femme au théâtre et au cinéma
Dans ma famille, nous avons tous été initiés au théâtre, au cinéma, à la danse. J’étais pour ma part un passionné de théâtre.
Dans les années 80, je suis venue à Téhéran me consacrer au théâtre. Je créais des spectacles avec les enfants. En tant qu’actrice, je n’avais jamais un rôle de femme, et les metteurs en scène ne savaient jamais quel type de femme je pouvais incarner. J’avais une voix grave alors ils féminisaient les rôles masculins pour moi : une garde du corps, une cuisinière, ou la femme d’un assassin ! J’étais tellement hors du commun que mon désir de changer de sexe n’a pas surpris.
Les metteurs en scène ont même approuvé mon changement de sexe.
Je suis un homme qui raconte sa vie de femme
Lors de ma première tentative de suicide, j’ai été envoyée dans un hôpital psychiatrique. Pour la première fois, j’ai entendu le mot « transsexuel » et qu’une opération chirurgicale était envisageable. Il est possible de le faire en Iran mais il faut l’autorisation familiale – celle des parents ou de la fratrie en cas de décès des géniteurs – quel que soit l’âge du patient. La famille est venue. Une commission a débattu mon cas à l’hôpital, qui a été refusé. Mes sœurs m’ont retiré le pantalon, imposé la jupe, puis j’ai été marié de force. Après des années, ma famille a cédé. Je me suis fait opérer en 2008.
Après l’opération, face à la caméra, rien n’avait changé. Farzaneh ou Sâmân jouaient de la même façon. Je n’avais pas opéré mon cerveau, ou mon talent, j’avais juste opéré ce qui ne m’appartenait pas. Personne ne disait rien sur mon intervention mais j’avais moins de proposition de rôles. J’ai donc décidé de raconter ma vie !
La pièce You all know me1 a été créée en 2015. Écrite pour six comédiens, elle est fondée sur cinq tableaux : l’amour d’un transsexuel F to M (Female to Male) pour une jeune fille ; la médecine d’état et l’autorisation familiale ; au guichet de banque avec le transsexuel, contraint de mettre des vêtements de femme puisque son état civil est encore au féminin ; un film pour la télévision publique où des transsexuels avouent leur « maladie » ; et un face-à-face dialogué avec les spectateurs.
Be the one you’re not2 est une performance pour sept comédiens. Sans dialogues, je remonte la scène forcée de mon mariage. Il n’y a pas de mur de séparation entre le public et la scène, les spectateurs sont libres d’intervenir pendant le spectacle. Mon concept théâtral était le suivant : je voulais mener le spectateur à un tel point de rupture qu’il soit obligé de réagir à la violence qu’il subissait. Le soir de la première, un intellectuel français reconnu est intervenu pour empêcher le mariage ! Un autre soir, un spectateur a brisé le bras du maquilleur !
J’anime aussi des workshops. Je mène mes étudiants à un état de liberté total, je leur apprends à ébranler le spectateur. En tant qu’acteur, je ne veux plus porter de masque, je veux partager mon expérience, avec la société et les transsexuels : nous avons tous la même histoire. Une femme de 46 ans n’a pas obtenu l’autorisation familiale. Ses parents décédés, sa sœur refuse encore de la lui accorder : elle hurle de douleur dans mon atelier.
- You all know me (Vous me connaissez tous), auteur et metteur en scène Sâmân Arastou ; Téhéran, créé dans un petit théâtre privé, il est repris au Théâtre de la Ville, 2015. ↩︎
- Be the one who you’re not (Sois celui que tu n’es pas), auteur et metteur en scène Sâmân Arastou ; Téhéran, Festival universitaire de la Performance, Théâtre universitaire de Téhéran, 2016. ↩︎