Le Rou howzi et le personnage du Noir

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Le Rou howzi et le personnage du Noir

Le 24 Juin 2017
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

Dans les spec­ta­cles de rou howzi1, l’interprétation est basée sur le jeu bur­lesque com­pa­ra­ble à la com­me­dia dell’arte. En Iran, dans chaque famille, dans chaque quarti­er de la ville, il y avait au moins une per­son­ne qui fai­sait rire en ges­tic­u­lant, racon­tant des blagues, ou imi­tant la manière de par­ler, les gestes et les mou­ve­ments des autres. Depuis près de deux siè­cles, la plus grande source d’inspiration pour ces comé­di­ens était la société de la vie quo­ti­di­enne : le com­merçant, le Mol­lah, le vendeur, le bureau­crate, le valet, le maître, le citadin, etc. Ils mémori­saient leurs car­ac­téris­tiques (voix, gestes, etc.) et les resti­tu­aient ensuite au bon moment en les exac­er­bant. Le pub­lic recon­nais­sait immé­di­ate­ment la per­son­ne imitée.
Peu à peu, cer­tains de ces comé­di­ens imi­ta­teurs se sont habitués à cer­tains rôles et s’y sont spé­cial­isés.
Traduit du per­san par Sepehr Yahyavi.

Le per­son­nage de Siâh (qui veut dire noir), n’était pas tou­jours iden­tique d’une représen­ta­tion à l’autre. On pense que son orig­ine remon­terait aux esclaves qui furent amenés de l’Afrique aux côtes aus­trales de l’Iran au XVI­Ie ou qui furent achetés dans les lieux saints et tra­vail­laient chez les nobles comme servi­teurs. Ces esclaves ne par­laient pas bien le per­san et avaient un cer­tain accent. En out­re, ils étaient exigeants et indis­crets, se mêlant de tout et s’amusaient en imi­tant leurs maitres qu’ils com­pre­naient mal, ce qui engendrait des sit­u­a­tions comiques. Jouer le Siâh (le Noir) dans le spec­ta­cle de rou howzi con­sis­tait à imiter la voix des dif­férents Noirs qui étaient au ser­vice des familles de nobles.
Ce per­son­nage est devenu une référence essen­tielle du tra­vail d’imitation et un per­son­nage fon­da­men­tal incon­tourn­able des farces. Aujourd’hui, quand le rôle du Siâh est joué, le spec­ta­teur et le comé­di­en eux-mêmes ne savent pas d’où vient sa couleur noire, ni pourquoi il a cet accent, pourquoi il est indis­cret, exigeant et si sus­cep­ti­ble ! Ils pensent que l’acteur s’est noir­ci de suie unique­ment pour amuser. Pour­tant, le Siâh du rou howzi, a aus­si une his­toire mythique. On pense qu’il serait le pro­duit du développe­ment des mes­sagers du Nowrouz (Nou­v­el-An iranien), plus pré­cisé­ment de Had­ji-Firouz, qui fait par­tie des mes­sagers du print­emps. Mehrdad Bahar, grand mytho­logue iranien, met en rela­tion ce mes­sager avec le célèbre mythe de Siavash, par l’intermédiaire du mythe mésopotamien de Tam­mouz et Ishtar2.
Kho­jasteh Kia, chercheuse, asso­cie la couleur noire et les cultes comme celui de la déesse mère. Dans son ouvrage inti­t­ulé Ghahremân‑e Bâd­pâ, à pro­pos des racines his­toriques de la couleur noire, elle écrit : « Le teint noir des héros et des comé­di­ens des con­tes iraniens ne sig­ni­fie pas qu’ils appar­ti­en­nent à une eth­nie spé­ci­fique.
Il s’agit d’un masque porté par le héros lui-même. Par ailleurs, il fait allu­sion aux mes­sagers du Nou­v­el-An qui annon­cent le print­emps. C’est pourquoi ils se noir­cis­sent le vis­age et por­tent des clo­chettes sur le dos. » D’autres chercheurs pensent que ces Noirs étaient les esclaves amenés des côtes d’Afrique au Sud d’Iran par les navires por­tu­gais (XVI­Ie siè­cle). Deux caté­gories d’esclaves se dis­tin­guaient : ceux orig­i­naires de Zanz­ibar (Zangis) qui étaient employés pour les tâch­es les plus dures, et ceux qui venaient d’Abyssinie ou d’Éthiopie (Habashis), qui étaient des­tinés aux besognes plus faciles.

Ces derniers étaient plus pop­u­laires chez les maîtres, en rai­son de leur physique plus déli­cat et des rap­ports plus intimes qu’ils entrete­naient. Ce sont eux qui inspi­raient le plus les spec­ta­cles de rou howzi.
Feu Hos­sein Kas­bian (acteur) écrit : « Les Zangis étaient plus courts, plus gros et plus mus­clés. Ils étaient, par ailleurs, moins chers que les Habashis. Intel­li­gents, sen­si­bles gen­tils mais exigeants ; ces car­ac­téris­tiques se retrou­vaient dans les spec­ta­cles.
Le per­son­nage du Noir est petit à petit entré dans le réper­toire. Pour l’interpréter, le comé­di­en s’inspirait sou­vent de ses pro­pres manières et gestes. Par exem­ple, s’il était lui-même estropié dans la réal­ité, il gar­dait cette car­ac­téris­tique pour le per­son­nage qu’il inter­pré­tait et, même, c’était par­fois elle qui l’avait poussé à devenir comé­di­en et à jouer ce rôle. Les farces à un per­son­nage des débuts sont dev­enues des pièces col­lec­tives. Dans le rou howzi, les comé­di­ens jouent cha­cun un rôle dans le respect de cer­taines règles. Ils sont spé­cial­isés, par exem­ple, dans le rôle du Noir, du trav­es­ti en femme, du bouf­fon imi­tant les accents des villes comme Qazvin, Kāchān, Naha­vand… Cer­tains por­tent les habits des jeunes gens et dansent, d’autres sont vêtus des habits de vizir ou de had­ji (un pèlerin de La Mecque).
L’intrigue du spec­ta­cle est dis­cutée à l’avance, ain­si que l’entrée et la sor­tie de chaque per­son­nage, les change­ments de décor, l’ordre des pris­es de paroles… Par­fois, quand un comé­di­en entre plus tôt ou plus tard que prévu, les acteurs se querel­lent sur scène, en impro­visant. La ques­tion de la con­for­mité au pub­lic est très impor­tante. La troupe fait sou­vent des recherch­es en amont pour en con­naître les spé­ci­ficités (classe sociale, etc.). Le rou howzi est un spec­ta­cle glob­al, tou­jours accom­pa­g­né de danse et de musique. Les comé­di­ens doivent donc être capa­bles de danser et de jouer de la musique, par­fois ils sont même très recon­nus dans ces domaines respec­tifs. Le rou howzi est autonome, sa nature « pure » n’est pas inspirée par la lit­téra­ture. Ses fonde­ments sont l’imitation et l’interprétation exagérée. Le comé­di­en du rou howzi, en exagérant son jeu, son maquil­lage et son cos­tume, tente d’abord de faire rire le spec­ta­teur, puis de le sen­si­bilis­er à ce qui est représen­té sur scène. Étant en con­tact direct avec lui, l’acteur peut exprimer ses pro­pos sans inter­mé­di­aire. Il peut aus­si pren­dre le pub­lic à témoin. Dans ce spec­ta­cle, le comé­di­en s’efforce de respecter la dis­tan­ci­a­tion entre lui et son rôle. Il sort de son per­son­nage et y revient tout au long de la représen­ta­tion.

  1. Rou howzi (appelé aus­si Takht‑e Hozi) sig­ni­fie « sur le bassin ». Il y avait, dans les cours des maisons tra­di­tion­nelles irani­ennes, un bassin d’eau. Au moment des céré­monies ou des fêtes de famille, on le cou­vrait de planch­es en bois et on y fai­sait des spec­ta­cles. Les spec­ta­teurs se plaçaient tout autour, en cer­cle.
    ↩︎
  2. Tam­mouz (Dammouzi) et Ishtar (Eshtar) sont par­mi les mythes mésopotamiens. Cette dernière est la déesse de l’amour qui, voy­ant son amant Tam­mouz tué, part le chercher dans le monde souter­rain. Les mytho­logues relient cette his­toire à l’agriculture et au mythe de Siavash, selon lequel une plante a poussé de son sang. ↩︎
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