Mettre un terme…

Théâtre
Réflexion

Mettre un terme…

Notes et témoignages

Le 24 Mar 2018
Fedora, film de Billy Wilder, avec Marthe Keller, William Holden, Hildegard Knef, 1978. Photo DR.
Fedora, film de Billy Wilder, avec Marthe Keller, William Holden, Hildegard Knef, 1978. Photo DR.
Fedora, film de Billy Wilder, avec Marthe Keller, William Holden, Hildegard Knef, 1978. Photo DR.
Fedora, film de Billy Wilder, avec Marthe Keller, William Holden, Hildegard Knef, 1978. Photo DR.
Article publié pour le numéro
Couverture deu numéro 134 - Institutions / insurrections
134

Otomar Kre­j­ca, le grand met­teur en scène qui imposa le théâtre tchèque sur la scène européenne grâce à des spec­ta­cles mémorables, retour­na à Prague en 1989 après l’interdiction de tra­vail dans son pays dont il fut frap­pé à la suite du Print­emps de 68 et le rôle joué par le théâtre qu’il dirigeait alors, le Divad­lo za bra­nou. Ce retour fut atten­du… mais le temps avait passé, l’artiste avait vieil­li et ses spec­ta­cles ne soule­vaient plus l’enthousiasme d’autrefois. Kre­j­ca cri­ait au scan­dale et au com­plot sans pren­dre en compte ni les salles de plus en plus vides ni les réserves de ses amis. Un jour, au café des artistes, à côté du Théâtre nation­al, je me suis per­mis, par ami­tié, de for­muler la ques­tion, sincère et bien­veil­lante : « Pourquoi n’écris-tu pas tes mémoires ? » J’étais sincère­ment con­va­in­cu : voilà la solu­tion pour sor­tir de l’impasse qui était la sienne et aus­si pour livr­er l’histoire per­son­nelle du met­teur en scène hon­oré et brimé. Il s’emporta et, vexé, cria : « Oui, le potager et les mémoires ! » – Kre­j­ca s’est obstiné à met­tre en scène et, au fur et à mesure, il perdit ses spec­ta­teurs, ses sub­ven­tions même, et sa « légende » finit par s’effriter.
Met­tre un terme…

− Que faut-il pour devenir une légende ?
− Savoir par­tir à temps.
Fédo­ra, film de Bil­ly Wilder

Pour­suiv­re, mal­gré tout, prend le sens d’une pro­tec­tion de soi et pour­tant une telle obsti­na­tion effrite le mythe d’un artiste qui se survit et s’interdit l’arrêt. « Si je ne mets plus en scène, je meurs » avoue Peter Brook qui ne met pas un terme…et pour­tant, il y a dix ans déjà ou même récem­ment, ses pris­es de parole, ses réflex­ions sur le théâtre fasci­naient davan­tage que ses derniers spec­ta­cles. Les salles combles de jeunes éblouis écoutaient, les yeux bril­laient, le maître par­lait… moi-même je l’écoutai aus­si, à Avi­gnon, à Pots­dam, à Wro­claw, à Paris, où ses paroles m’ont ouvert des hori­zons et réac­tiv­er l’amour du théâtre. Pourquoi n’a‑t-il pas eu la force ou le courage de se con­sacr­er à ces exer­ci­ces qu’il pou­vait pra­ti­quer mieux que quiconque ? Nous avons envis­agé, avec plusieurs amis, une Académie nomade l’ayant pour pro­tag­o­niste : per­son­ne n’a osé lui par­ler de ce pro­jet. Cela l’aurait blessé, mais cela aurait sauvé…le mythe ! Com­ment ne pas penser à Gro­tows­ki, son grand ami, qui a su met­tre un terme et se retir­er, de même qu’en Ori­ent les grands sages osaient le faire et le peu­ple, qui ne les oubli­ait pas, les respec­tait tou­jours. Il pen­sait à eux, là-haut, à la mon­tagne, éloignés des affres du monde. « Met­tre un terme » pre­nait alors le sens d’une retraite féconde. Pareille à celle de Gro­tows­ki à Pont­ed­era.
Un jour j’ai ren­con­tré Emil Cio­ran au coin de la rue de l’Odéon devant une phar­ma­cie qui n’existe plus aujourd’hui et, de fil en aigu­ille,
il m’avoua :
« — J’ai cessé d’écrire ;

  • Com­ment?, dis-je, moi qui reve­nais de Venise où j’avais enten­du l’histoire de Titien qui a peint jusqu’à 90 ans.
  • Oui, les mots et les couleurs sont deux choses dif­férentes » répon­dit-il.
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Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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24 Mar 2018 — En présence de quelques étudiants en Arts du spectacle de l’ULg, le 20 octobre 2017, au Théâtre de Liège, rencontre…

En présence de quelques étu­di­ants en Arts du spec­ta­cle de l’ULg, le 20 octo­bre 2017, au Théâtre de Liège, ren­con­tre avec les qua­tre mem­bres de Tran­squin­quen­nal (Stéphane Olivi­er, Miguel Decleire, Bernard Breuse, Brigitte Neer­voort) axée…

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