Penser le geste rieur

Performance
Théâtre
Critique

Penser le geste rieur

À propos de Rire/Lachen d’Antonia Baehr

Le 9 Juil 2018
Antonia Baehr dans Lachen, conception et chorégraphie Antonia Baehr, Kunsten- festivaldesarts, 2009. Photo Jan Stradtmann.
Antonia Baehr dans Lachen, conception et chorégraphie Antonia Baehr, Kunsten- festivaldesarts, 2009. Photo Jan Stradtmann.
Article publié pour le numéro
135

Une expéri­ence sur le rire ! Le spec­ta­cle Rire/Lachen (2008), dernier de la trilo­gie sur les émo­tions après Hold­ing Hands (2001) et Un après-midi (2003), a de quoi sur­pren­dre. Comme pour ses précé­dentes études ou pour le spec­ta­cle Abecedar­i­um Bes­tiar­i­um, l’artiste queer a com­posé le spec­ta­cle à par­tir de par­ti­tions que lui ont remis­es ses proches. Ces par­ti­tions sont néan­moins dégagées de toute fic­tion, elles doivent unique­ment per­me­t­tre à la per­formeuse d’étudier les formes de rire. L’artiste s’est par ailleurs appuyée sur des lec­tures philosophiques et sci­en­tifiques, notam­ment sur la biolo­gie behav­ior­iste1, ain­si que sur le yoga du rire et des ate­liers pra­tiques et col­lec­tifs. Sa recherche per­for­ma­tive l’a con­duite à approcher une expres­sion pure du rire, inver­sant ain­si le proces­sus de la comédie où les acteurs ne rient guère mais veu­lent faire rire : Baehr rit, sans rai­son autre que l’expérimentation scénique, et ne veut pas for­cé­ment faire rire.

Elle entre en scène vêtue d’un cos­tume mas­culin som­bre et strict, s’assied sur une chaise et dis­pose les par­ti­tions sur un pupitre. Les manières de rire qui s’enchaînent frap­pent par leur sin­gu­lar­ité : rire hilare et bruyant, rire haut per­ché, fou rire, rire tou­s­sotant ou syn­copé… Tan­tôt l’artiste développe un rire per­lé aux vari­a­tions musi­cales, tan­tôt elle accom­pa­gne de son rire les balles qui roulent et rebondis­sent sur la scène, syn­chro­ni­sa­tion qui fait ressor­tir la qual­ité choré­graphique de sa recherche. Cer­taines esclaf­fades s’accompagnent de mim­iques, elle se tape sur les cuiss­es, accentue la cor­po­ral­ité du geste riant en usant d’un miroir grossis­sant. Ces rires sont de toute évi­dence les plus com­mu­ni­cat­ifs, et aux éclats de la per­formeuse se mêlent ceux des spec­ta­teurs. S’il ne fal­lait soulign­er qu’un trait sail­lant du spec­ta­cle, ce serait assuré­ment le plaisir pris par les spec­ta­teurs, qui ne cessent de rire avec Anto­nia Baehr. À cer­tains moments par­ti­c­ulière­ment réus­sis, ils pren­nent même la lib­erté d’applaudir, comme ils le feraient d’un comique. La per­for­mance se dis­tingue ain­si non seule­ment par le plaisir pris à la décou­verte de l’infinie plu­ral­ité des rires, mais par son intense inter­ac­tiv­ité : elle se pro­longe dans le pub­lic où se mul­ti­plient les rires, les tim­bres et les éner­gies déployés par les spec­ta­teurs, si bien qu’à l’écoute de la scène s’ajoute celle de la salle.

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Antonia Baehr
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Écrit par Éliane Beaufils
Éliane Beau­fils enseigne actuelle­ment à l’université Paris 4 Sor­bonne en études ger­maniques. Elle a con­sacré sa thèse « Corps...Plus d'info
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