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La compagnie de théâtre tg stan, acronyme de Stop Thinking About Names, est un collectif de théâtre fondé autour de Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen.
FV Nous étions quatre au début, les trois personnes que vous venez de citer et Waas Gramser. Nous avons collaboré pendant quatre ans, puis elle a fondé sa propre compagnie. Sara De Roo nous a rejoints entretemps pour Ivanov. On a donc animé le collectif à quatre pendant 25 ans, jusqu’au départ de Sara en 2017. Maintenant on est trois en effet, à suivre des voies communes et individuelles. Pendant que Damiaan De Schrijver est en train de jouer en Belgique, nous jouons The Way she dies avec Yolente, ici, au Théâtre de la Bastille.
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Vous vous êtes rencontrés à la fin des années 1980 au Conservatoire à Anvers. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler ensemble ?
FV Nous avions des passions et des valeurs communes, notamment l’envie de s’occuper de tous les aspects de la création. Nous étions malheureux à l’idée de simplement concrétiser le rêve d’un metteur en scène ; nous souhaitions aussi briser le quatrième mur, changer le rapport à l’illusion, au personnage… À l’école, nous avons été particulièrement influencés par l’enseignement de Matthias de Koning et sa compagnie Maatschappij Discordia. Pour lui, le comédien n’est pas seulement au plateau pour endosser un personnage, mais aussi en tant qu’individu au présent.
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Le fait de rendre le théâtre vivant hic et nunc est un aspect essentiel de votre approche théâtrale.
Avez-vous défini ces objectifs dans une sorte de charte ?
JDK Non, pas de dogme ! Matthias de Koning nous a fait découvrir l’indépendance de l’acteur. Il ne nous demandait pas d’exécuter, mais de faire des propositions. Avec lui, nous avons commencé à comprendre qu’il fallait prendre ses responsabilités sur scène, en tant qu’être humain et en tant qu’artiste.
FV Le comédien doit être doublement présent sur scène : pas seulement Hamlet mais aussi celui qui joue Hamlet. Matthias nous a appris à chercher la vérité dans le jeu à cet endroit-là, en allant au-delà de Stanislavski, en travaillant avec l’illusion de la fiction et la réalité du spectacle. Il nous disait « Si un avion passe, vous pouvez l’entendre ». C’était un grand soulagement de s’autoriser à le percevoir sur scène. Tout à coup, tout était admis dans l’espace du comédien, – y compris regarder les personnes ronfler au premier rang –, accepter cette réalité et travailler avec elle. C’est ce qui permet aux gens dans la salle d’avoir le sentiment que la soirée est à eux et pas aux gens d’hier ou de demain.
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Concrètement, pouvez-vous nous parler des processus de création de quelques spectacles, par exemple : Après la répétition, de et avec Georgia Scalliet et Frank Vercruyssen, inspiré du texte d’Ingmar Bergman ; The Way she dies, le spectacle que vous jouez tous les deux en ce moment avec Isabel Abreu, Pedro Gil, à partir d’un texte de Tiago Rodrigues.
FV On a toujours considéré notre collectif comme un véhicule pour concrétiser les rêves des individus. Quand Jolente a envie de travailler avec sa sœur Anne Teresa De Keersmaeker, elle crée la performance Somnia avec 44 danseurs en partenariat avec parts. Si j’ai envie de travailler avec Georgia de la Comédie française, on va créer Après la répétition. Si Jolente nous propose La Cerisaie, avec Damien nous ferons en sorte que cela soit possible.
JDK Au début de chaque projet, nous devons avoir un moteur commun. C’est très important ! Cela suppose de longues discussions. Quand Frank a proposé L’Ennemi du peuple d’Ibsen, nous n’avons pas adhéré immédiatement. Ce n’est que deux ans plus tard, quand la situation en Belgique est devenue tellement dangereuse que nous avons senti la nécessité de le monter. Pour La Cerisaie, Frank et moi avions une grande envie de créer une pièce de répertoire avec un grand nombre d’acteurs et notamment des jeunes ! Rien n’est acquis au début, pas même la distribution des rôles. Chacun doit d’abord exprimer sa motivation pour être sur scène.
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Vous commencez donc les répétitions avec un groupe sans avoir distribué les rôles ?
JDK Rarement ! Il arrive que les rôles ne soient distribués qu’après deux ou trois semaines. Pour La Cerisaie, je me suis battue dès le début pour jouer le personnage de Lioubov Andreevna. Pour L’Avare de Molière, deux comédiens voulaient jouer ce personnage et ont dû convaincre le groupe.
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Vous dédoublez parfois le rôle ?
FV Tout est possible. Parfois on dédouble, parfois on choisit collectivement, c’est la démocratie en marche. On cherche l’unanimité dans les moindres détails, et sans recourir au vote. À chacun de dire ce qu’il pense jusqu’à ce qu’une évidence apparaisse. Quand Damien apporte une chaise, elle peut plaire ou pas. On va échanger sur la laideur ou la beauté supposée de chaque accessoire, jusqu’à ce que l’un d’entre nous ait le dernier mot.
JDK On a appris à décider collectivement. Au début on pouvait hurler « Non, pas cette chaise ! » comme si tout était aussi important. C’est une passion utile mais on a quand même appris à relativiser en tenant compte des compétences de chacun. Frank par exemple s’occupe toujours de la musique. Dans The way she dies, c’est d’abord son travail.
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Dans ce spectacle précisément, vous avez dû composer avec vos forces et celles de Tiago Rodrigues.