Delphine Seyrig parle de Marguerite Duras

Delphine Seyrig parle de Marguerite Duras

Le 26 Mai 1983
Tournage d'lndia song. Photo Erica Lennard.
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Tournage d'lndia song. Photo Erica Lennard.
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Marguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives ThéâtralesMarguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives Théâtrales
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Tournage d'lndia song. Photo Erica Lennard.
Tour­nage d’lndia song. Pho­to Eri­ca Lennard.

Françoise Collin : Je voudrais vous deman­der d’abord à quel moment de votre his­toire vous avez ren­con­tré l’œu­vre de Mar­guerite Duras et à par­tir de quand vous avez tra­vail­lé avec elle ?

Del­phine Seyrig : J’avais des amis qui pub­li­aient Mar­guerite Duras aux Etats­ Unis et c’est par eux que j’ai enten­du par­ler d’elle en pre­mier. J’avais lu aus­si Mod­er­a­to cantabile et vu le film, j’avais lu Bar­rage con­tre le Paci­fique et puis, en 64, elle est venue me voir pour me par­ler d’un film qu’elle voulait tourn­er d’après une de ses pièces, La musi­ca, que je n’ai jamais jouée au théâtre mais que j’ai tournée.

La musica.
La musi­ca.

C’é­tait son pre­mier film. C’é­tait Jules Dassin qui pro­dui­sait et on lui avait don­né un co-met­teur en scène parce que c’é­tait la pre­mière fois qu’elle fai­sait du ciné­ma. On pen­sait qu’il valait mieux qu’elle ait un pro­fes­sion­nel à côté d’elle et elle lé pen­sait elle-même, je crois. Et ce qu’il y avait d’in­téres­sant pour moi, et la leçon qui m’en reste, c’est qu’elle n’é­tait pas une pro­fes­sion­nelle mais qu’en fait, elle savait exacte­ment ce qu’elle voulait.

F.C.: Même dans la con­duite d’ac­teurs ?

D.S.: Oui parce qu’elle savait ce qu’elle imag­i­nait. La force de l’imag­i­na­tion est énorme. Si l’imag­i­na­tion est très devel­op­pée, ce qui n’est pas le cas for­cé­ment mais ce qui est son cas à elle, il n’y a qua­si­ment pas besoin d’ex­péri­ence. Grâce, peut­ être, à son expéri­ence d’écrivain elle savait déjà ce qu’il fal­lait, ce qu’elle voulait faire à l’écran. Elle n’a pas pu le faire avec La musi­ca. C’est un film qui est exacte­ment ce qu’il est : un pre­mier film de quelqu’un qui n’a pas pu aller au bout de ce qu’elle voulait mais qui était très « jusqu’auboutiste ».
Elle dis­ait qu’elle ne voulait que des vis­ages et du dia­logue.

F.C.: Pour­tant, les lieux sont sou­vent impor­tants dans son œuvre.

D.S. : Oui, mais en dehors des lieux. dis­ons que ce qu’elle voulait, c’é­tait des vis­ages et du dia­logue…

F.C.: non pas du jeu ?

D.S.: Je ne dirais pas ça Je ne veux pas m’a­vancer dans ce qu’elle entendait par là, mais c’é­tait sa for­mule. Elle le dis­ait.
Ce n’est pas ça qu’on a tourné, mais cela a quand même été pour elle une expéri­ence qui l’a encour­agée à aller au bout de ce qu’elle avait envie de faire. Mais peut-être que si elle l’avait fait toute seule, ce film aurait été un extra­or­di­naire pre­mier film. Voilà.

F.C. : Vous disiez tout à l’heure que quand on a un imag­i­naire très fort, au fond, la tech­nique n’est rien Est­-ce que vous pensez que Mar­guerite Duras a un très fort imag­i­naire visuel, un sens du regard ?

D.S.: Oui. Elle a un regard. Mais elle a un regard à elle qui est irrem­plaçable.

F.C.: C’est quelqu’un qui voit ?

D.S.: Oui. Mais c’est surtout quelqu’un qui, d’une part fait de la lit­téra­ture et qui, d’autre part, fait des films qui ne sont pas de la lit­téra­ture. Et elle fait une troisième chose, enfin, elle arrive à com­ment dire à faire du ciné­ma pur. On peut dire qu’elle allie les deux élé­ments dans ses films parce qu’il y a quand même de la lit­téra­ture dans ses films. Ce qu’il y a d’é­ton­nant, c’est que, sou­vent, les écrivains font des films qui sont de la lit­téra­ture et pas vrai­ment du ciné­ma Ou bien, les gens font vrai­ment du ciné­ma mais on ne peut pas dire que ce soit lit­téraire, c’est car­ré­ment et seule­ment visuel.
Avec Mar­guerite Duras, il y a les deux qui se mélan­gent ou plutôt qui se ren­con­trent, le visuel et le lit­téraire. L’im­age n’est pas un accom­pa­g­ne­ment des mots ni une illus­tra­tion des mots.

F.C.: Il y a peut-être deux pistes de développe­ment ?

D.S : Je ne sais pas. C’est comme un pein­tre qui a, à la fois, un génie de la couleur et un génie de la struc­ture, ou du dessin et de la couleur.
Sou­vent, les pein­tres qui ont un sens de la couleur sont des col­oristes et peut-être la struc­ture est moins forte. Et puis, quelque­fois, ils ont un sens de la struc­ture mais pas telle­ment de la couleur.
Mais chez Mar­guerite Duras, il y a les deux : il y a les mots ‑les mots dits- et les images. Et les deux sont aus­si forts et c’est ça quiest intéres­sant.

F.C. : Vous aviez ressen­ti, dès le pre­mier film, cette rad­i­cal­ité du tra­vail de Mar­guerite Duras ?

D.S : Oui, absol­u­ment. Mais je sen­tais que ce qu’on était en train de tourn­er n’é­tait pas com­plète­ment sa vision.

F.C. : Et la suite ?

D.S : Ah ! et bien ensuite, il y a eu plusieurs années. Son film suiv­ant a été Détru­ire dit-elle, je crois, dont je n’é­tais pas, et que j’avais trou­vé
être plus une pièce de théâtre qu’un scé­nario. Peut­ être que fai tort, mais c’est comme ça que je le ressen­tais. Et puis il y a eu 68 entre La musi­ca et ses films suiv­ants, il me sem­ble, et cela a fait une grosse dif­férence. 68 a déclenché l’é­clate­ment d’une forme, peut-être. Et pour moi, ça a été lndia song mon film suiv­ant avec elle. C’é­tait en 75. Il est allé à Cannes cette année-là.

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