L’autre en nous

Théâtre
Parole d’artiste

L’autre en nous

Le 19 Mar 2020
Guy Freixe devant le masque de Suramarit, sculpté par Erhard Stiefel d’après le masque Topeng Tua de Bali, in L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge de Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine, Théâtre du Soleil, 1985. Photo Martine Franck (collection de l’auteur).
Guy Freixe devant le masque de Suramarit, sculpté par Erhard Stiefel d’après le masque Topeng Tua de Bali, in L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge de Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine, Théâtre du Soleil, 1985. Photo Martine Franck (collection de l’auteur).
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
140
Masque japon­ais du théâtre Nô, Chichi-no-jo. Pho­to DR.

Mes débuts au Théâtre du Soleil n’ont pas été des plus faciles. J’avais beau me trav­e­s­tir en samouraï – nous répé­tions alors Richard II de Shake­speare – rien n’y fai­sait, je ne par­ve­nais pas à me quit­ter moi-même. Un jour, n’en pou­vant plus, avec l’énergie du dés­espoir, c’est-à-dire quand il faut aller chercher son courage jusque dans la moelle de ses os, je suis resté seul dans la salle de répéti­tion pen­dant la pause du déje­uner. Dans le silence, je me suis approché de la boîte des masques et là, j’ai osé ce que je n’avais pas encore fait dans la com­pag­nie : porter un masque. J’ai pris celui du vieil­lard du théâtre Nô, un masque ancien qu’Erhardt Stiefel avait apporté de sa col­lec­tion pour faire des essais. Je l’ai regardé. Lente­ment, je l’ai approché de mon vis­age. Lente­ment, je suis entré dans le creux, dans la nuit du masque. J’ai ouvert les yeux. Le masque me regar­dait…

Ce masque en bois d’un vieil­lard dont les traits ont été fixés au xive siè­cle, au Japon, me rap­pelait mon vieil oncle Jean, poilu de la Grande Guerre, résis­tant de la pre­mière heure, mort depuis quelque temps déjà et en qui se cristalli­sait la fig­ure mythique de l’ancêtre, mais aus­si celle bien réelle de mon père pré­maturé­ment décédé. Face au miroir, mes pro­pres lèvres appa­rais­saient sous la mous­tache en crin de cheval, et l’éclat de mon regard perçait un peu la face sculp­tée du masque, aux rides de bois, à l’énergie farouche. Le per­son­nage que je voulais jouer exis­tait. Le masque en appor­tait la preuve tan­gi­ble. Il était le per­son­nage incar­né. J’ai pen­sé alors avec soulage­ment et une joie libéra­trice : « Si ce n’est pas moi, alors tout va bien. C’est lui qui va jouer. »

Théâtre
Parole d’artiste
Guy Freixe
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Écrit par Guy Freixe
Met­teur en scène, comé­di­en et pro­fesseur en His­toire et esthé­tique des Arts de la scène à l’Université de...Plus d'info
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#140
mai 2025

Les enjeux du masque sur la scène contemporaine

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