À l’occasion des répétitions de Tirésias en mars 2020 et à quelques jours d’un premier confinement, Guy Cassiers et Katelijne Damen nous accordent un entretien qui dévoile quelques secrets de leur complicité au travail.
Chloé Larmet : Katelijne Damen et Guy Cassiers, cela fait maintenant plus de 10 ans que vous travaillez ensemble. Pourriez-vous me raconter la façon dont vous vous êtes rencontrés ?
TOUS LES DEUX : Bien plus, près de 15 ans je crois !
GUY : Cela fait 12 ans que nous sommes à Toneelhuis mais on travaillait déjà ensemble au RO Théâtre (le théâtre de la ville de Rotterdam). C’est là-bas que nous nous sommes rencontrés. On en parlait ensemble tout à l’heure d’ailleurs en se rappelant tout ce qu’on avait fait ensemble. Dès le départ, le premier spectacle était… très spécial !
KATELIJNE : C’était fantastique. Très bizarre quand on y réfléchit oui. Je me souviens, les autres acteurs de la compagnie se demandaient : mais qu’est-ce que c’est ? C’est pas du théâtre ça !
GUY : A l’époque, Pim Fortuyn venait de remporter les élections – un homme politique de droite, voire d’extrême-droite. Alors que Rotterdam était très identifiée au socialisme, tout a basculé en une élection. Le mot socialiste était devenu une insulte ; les artistes, les théâtres, tous étaient qualifiés d’élitistes. Partout, même dans les journaux, il y avait consensus : les artistes sont trop éloignés des spectateurs. Alors pour ce premier spectacle qu’on a fait ensemble on s’est dit : d’accord, créons le dialogue et posons vraiment la question : qu’est-ce que signifie « élitiste » ? On a créé un spectacle très difficile, compliqué et on a ouvert les portes. Le deal, c’était : les billets sont gratuits, mais le spectateur vient en avance et reste après la représentation pour parler. C’était remarquable ! La grande salle où nous avons joué pendant trois semaines était pleine, les gens venaient et voulaient vraiment parler ensemble de cette question : qu’est-ce que l’élite ? C’était une expérience exceptionnelle parce que le dialogue et la confrontation ont vraiment changé quelque chose.
CL : Changé quelque chose pour vous ?
GUY : Et pour le spectateur aussi. Certaines personnes n’étaient jamais entrées dans un théâtre auparavant, se disant que c’était trop loin de leur travail, de leur pensée. Au théâtre, on peut entendre le point de vue de l’autre, on peut partager une même expérience, ensemble. Ça ne signifie pas que tout le monde s’est dit, ça y est, maintenant on aime le théâtre mais c’est une question de respect pour l’autre. Je suis convaincu que changer les mentalités est possible grâce au théâtre, même si on ne connaîtra jamais vraiment l’impact que le spectacle a eu sur chaque spectateur. C’était pour moi une très belle expérience. C’est ainsi que tout a commencé avec Katelijne !
CL : Et depuis vous ne vous êtes quasiment plus quittés.
GUY : Et non. Rires
KATELIJNE : C’était la première fois que je faisais un spectacle avec des caméras, je découvrais une autre façon de travailler avec le son. Les caméras et les micros étaient rassemblés au centre comme une sorte de lustre et on pouvait prendre le micro puis le laisser. C’était une découverte pour moi. Il y a immédiatement eu une forme de…
GUY : compréhension ?
KATELIJNE : Pas seulement, il y a autre chose… J’aime beaucoup la manière qu’a Guy de penser dans les images. Même si je n’ai pas tourné beaucoup de films au cinéma, j’ai un peu d’expérience en la matière et ce que j’aime beaucoup c’est le flirt avec une caméra et la technique. Savoir que si je me tiens là, je peux jouer de telle ou telle façon avec la caméra, qu’elle fera cela ou ceci. C’est 2 cette combinaison, cet agencement entre la technique et le jeu que je trouve chez Guy. Son théâtre reçoit souvent l’étiquette de stylisé, de sobre, d’abstrait, d’un théâtre qui ne laisse pas beaucoup d’espace au jeu. Je n’ai jamais senti que je ne pouvais pas jouer avec lui, bien au contraire ! C’est vrai que c’est un peu limité parfois (rires) mais pour moi c’est une sorte de défi. Souvent, je suis chez moi et j’ai le fantasme de me dire : demain, je vais jouer comme si j’étais sur un terrain de foot. Le lendemain, j’arrive aux répétitions et Guy me dit : tu peux aller de là à là, et c’est tout. Le défi, c’est alors de réussir à faire tout ce que j’avais prévu dans mon imagination, de réussir à jouer au foot dans les frontières de cet espace. C’est très stimulant, pour moi comme pour Guy je crois. Avec le temps, on s’est mis à penser à la même chose en même temps parfois. C’est très étrange. Je n’ai jamais connu ça avec un metteur en scène.
GUY : Mais en même temps…