Gérald Kurdian **Hot Bodies – Stand Up

Théâtre
Critique

Gérald Kurdian **Hot Bodies – Stand Up

Le 18 Juil 2020
Hot Bodies – Stand Up (performance), mise en scène, interprétation, photo et vidéo Gérald Kurdian, création au CENTQUATRE-PARIS, 2018. Photo Gérald Kurdian.
Hot Bodies – Stand Up (performance), mise en scène, interprétation, photo et vidéo Gérald Kurdian, création au CENTQUATRE-PARIS, 2018. Photo Gérald Kurdian.

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Hot Bodies – Stand Up (performance), mise en scène, interprétation, photo et vidéo Gérald Kurdian, création au CENTQUATRE-PARIS, 2018. Photo Gérald Kurdian.
Hot Bodies – Stand Up (performance), mise en scène, interprétation, photo et vidéo Gérald Kurdian, création au CENTQUATRE-PARIS, 2018. Photo Gérald Kurdian.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
141

Gérald Kur­dian appa­raît sur scène au début du spec­ta­cle. C’est un homme grand au corps vir­il et à la voix grave, mais il est aus­si vul­nérable, sexy et féminin. Il porte un mini-short en cuir noir et nous mon­tre, sur un grand écran en fond de scène, une pho­to prise au hasard de déam­bu­la­tions. Il s’agit d’un tag représen­tant à peu près ceci :
☐Male
☐Female
☒Fucko

Il s’interroge : s’il sait ce que sig­ni­fient « Male » et « Female », « Fucko » lui est incon­nu. Il décide d’aller en chercher la déf­i­ni­tion dans la « Mai­son des enfants queer », un lieu mys­térieux où règ­nent le désir, la beauté incon­di­tion­nelle de tous les corps et une cer­taine mélan­col­ie. Kur­dian, qui est égale­ment musi­cien et chanteur, entonne Lithi­um de Nir­vana, et le ton naïf et drôle qu’il avait employé jusque-là fait place à une pro­fondeur sur­prenante, empreinte de duende, qui annonce que le périple dans lequel nous nous enga­geons ne sera ni voyeur ni amusé. Ce dont il est ques­tion ici, c’est du plaisir, mais aus­si de la vio­lence incom­préhen­si­ble de l’injonction à être autre que soi et de la noblesse d’y avoir survécu.

Pour que nous cernions mieux ce qui se passe dans la Mai­son, Kur­dian décide de nous en mon­tr­er des pho­tos. « Ma mère adore les dia­po­ra­mas » nous dit-il avant d’en lancer un sur l’écran, accom­pa­g­né d’une muzak1 d’ordinateur un peu folk. Si la présen­ta­tion est ironique, les pho­tos, elles, sont extra­or­di­naires : corps ou morceaux de corps pris dans des intérieurs som­bres et sur­ex­posés, lits défaits, paysages, jambes, sex­es, douch­es, plantes, fleurs. Elles trou­blent à la fois par leur douceur et leur cru­dité, évo­quant un univers où les con­ven­tions qui enclosent le sexe sont retournées. La honte, la gêne, l’exclusivité, les rôles prédéfi­nis, la pos­ses­sion de l’autre sont évincés pour faire place à une inven­tiv­ité totale des rap­ports, des formes et des corps : les iden­tités sont flu­ides et ouvertes, le désir se meut sans attache et sans a pri­ori, le con­sen­te­ment est valeur car­di­nale. Dans cette utopie queer et fémin­iste, le jeu, la ten­dresse, la jouis­sance sont cen­trales ; le plaisir se fait à la fois artis­tique et poli­tique.

Ces pho­tos sur­pren­nent aus­si par leur qual­ité : pris­es sur le vif, elles sont pré­cis­es et sai­sis­santes, et leur esthé­tique fait écho à celles de Nan Goldin et Wolf­gang Till­mans. Mais le tra­vail de Kur­dian, plus ten­dre et plus drôle, s’inscrit en même temps dans une autre généalo­gie d’artistes LGBTQ, tels que les cinéastes Bar­bara Ham­mer (Dyke­tac­tics) et James Bid­good (Pink Nar­cis­sus). Ces œuvres sont délibéré­ment mar­quées par un côté bricolé, les moyens réduits faisant par­tie inté­grante du camp et de ses avatars. Bid­good a réal­isé son film dans son minus­cule apparte­ment new-yorkais ; Goldin pre­nait des pho­tos de ses ami.e.s en soirée, malades, drogué.e.s. Kur­dian se saisit de cette esthé­tique avec jubi­la­tion, par exem­ple en nous mon­trant un clip d’un cli­toris révo­lu­tion­naire en plas­ticine aux petits yeux menaçants, exigeant une éro­tique à sa mesure.

Les pho­tos, les per­son­nages, les sons vont con­tin­uer à se suc­céder : d’abord avec Tarek X (l’alter ego de Kur­dian), puis un garçon trans habité par une sagesse intem­porelle, et enfin une com­mu­nauté de sœurs-sor­cières, qui esquis­sent ensem­ble les con­tours d’un monde dans lequel le sexe se fait créa­teur et guéris­seur, puis­sance naturelle aus­si bien que vecteur par lequel la nature s’accomplit et se régénère sans cesse. Le sexe n’est plus le lieu des trans­gres­sions ou des con­ven­tions – elles n’ont plus de rai­son d’être, car il s’est fait force mys­tique, point de con­tact non seule­ment avec les corps aimés, mais aus­si avec la nature toute entière – plantes, fleurs, ani­maux. Le queer quitte le domaine du poli­tique et du con­tin­gent pour faire un avec la fécon­dité du monde.

Le spec­ta­cle nous invite à nous ouvrir à ce qu’il y a de plus sauvage, doux et vul­nérable en nous. Kur­dian rap­pelle que la sex­u­al­ité est tou­jours en excès des lim­ites que nous lui imposons ; nos corps récla­ment d’autres hori­zons, d’autres pos­si­bles, d’autres réc­its. D’autres images et d’autres voix. Ain­si, Hot­Bod­iesStandUpdévoile un aspect secret et sen­si­ble de la cul­ture queer, loin des mirages d’une Gay Pride ven­due au plus offrant et des corps plas­tiques des séries télévisées. Nous sommes à un autre endroit : celui des cœurs qui souf­frent et des corps qui inven­tent, celui de la blessure sans nom et du plaisir qui crée, des sor­cières en man­tille, des nuits élec­triques, de la soror­ité uni­verselle des êtres. Celui aus­si d’une cul­ture infin­i­ment pré­cieuse, aus­si anci­enne que la per­sé­cu­tion et aus­si invis­i­ble au monde extérieur que le plus intime de soi.

  1. « Muzak » désigne la musique de fond, asep­tisée, que l’on entend partout, dans les salles d’attente, dans les grands mag­a­sins, etc. ↩︎

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Caroline Godart
Caroline Godart est dramaturge, autrice et enseignante. Elle accompagne des artistes de la scène tout...Plus d'info
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