Sur les scènes contemporaines, l’image est omniprésente à côté du vivant : images filmées en direct ou préenregistrées, vidéo d’art, références cinématographiques, performances numériques… Ces combinaisons sont de plus en plus courantes, les aborder aujourd’hui permet un état des lieux, à la recherche d’un renouvellement. Alternatives théâtrales a déjà fait paraître deux publications dédiées à ces questions : le numéro Extérieur cinéma en 2009 et un ouvrage consacré à l’art vidéo dans les opéras de Krzysztof Warlikowski, cosigné par Denis Guéguin et Leyli Daryoush. Il était temps d’y revenir.
Après plus d’une quarantaine d’années d’histoire et de mariages plus ou moins heureux entre les arts de la scène et une partie des arts visuels (ceux liés aux techniques nouvelles, le cinéma, l’art vidéo et l’art numérique qui devient à son tour un incontournable), nous souhaitions interroger, avec le recul nécessaire, où en est leur potentiel de création. En quoi font-ils aujourd’hui partie intégrante du langage théâtral ? Est-ce aussi à travers eux que le théâtre continue d’explorer ses fondements et ses limites ? Nous avons tenté d’y répondre en nous intéressant à quelques figures belges, françaises et internationales incontournables, telles Guy Cassiers et Katelijne Damen, Anne- Cécile Vandalem, Thomas Ostermeier, Christophe Honoré, Cyril Teste, Brett Bailey… Nous y avons réfléchi en interviewant Fabrice Murgia, créateur chevronné de performances filmiques et directeur du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, en enquêtant sur des propositions artistiques de lieux complices comme le CENTQUATRE-PARIS, partenaire de ce numéro qui nous a ouvert, entre autres, les portes du numérique auprès de Laurent Bazin, Hayoun Kwon, Ismaël Joffroy Chandoutis, Clément Cogitore.
Nous avons cherché les voies de la cinémato-graphicité au théâtre – pendant de la théâtralité au cinéma1– avec par exemple l’artiste Jorge León, songé à l’imaginaire qui en ressort avec notamment Wladyslaw Znorko, envisagé la place particulière du théâtre documentaire avec le groupe Berlin ou l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib. Nous nous sommes inquié- tées, pour les artistes au plateau, du poids et du choc de l’image ! Nous nous sommes demandé si les images projetées sur scène – quel que soit le support technique – pouvaient être l’avenir du théâtre ? ! Nous nous sommes intéressées aux créateurs d’art total qui explorent volontiers les possibles de l’opéra et de l’art vidéo, du côté de la mise en scène avec Romeo Castellucci et Katie Mitchell ou de la création vidéo avec Will Duke. Nous avons relevé les problématiques posées par la cohabitation de différents arts avec la créatrice lumière Dominique Bruguière. Nous avons recueilli des paroles d’artistes qui convient sur scène des figures inanimées, des chanteurs et des projections vidéo – telle la marionnettiste norvégienne Yngvild Aspeli, qui ont appris à danser pendant les spectacles, caméra à l’épaule – telle la camerawoman Aurélie Lepocq. Nous avons fait des pas de côté avec des créateurs d’installations vidéo et d’images au sens large, comme Christian Boltanski…
En ouvrant ce numéro avec un texte historique et théorique, l’universitaire suisse Izabella Pluta nous a aidées à penser ces évolutions artistiques en lien avec les avancées technologiques, et nous a rappelé que ces pratiques entrées dans l’ère du numérique, sont apparues dès la fin du XIXe siècle. Des premières fantasmagories aux dogmes d’aujourd’hui, le panorama est large, nous aurions aimé entrer plus avant dans l’expérimentation de nombreux artistes, mais il nous a paru important de positionner des incontournables dans une approche transversale, comme Robert Lepage ou Denis Marleau, Krystian Lupa, mais aussi Elizabeth LeCompte et le Wooster Group, Julien Gosselin ou le Collectif MxM qui, avec Cyril Teste, inscrit la performance filmique dans une charte de création.
Nous remercions plus que jamais tous les contributeurs de ce numéro, avec qui nous avons eu le plaisir d’échanger, et de continuer à penser au cœur du confinement. Nous remercions les fidèles partenaires d’Alternatives théâtrales qui sont, avec les artistes, directement frappés par cette crise sanitaire, empêchés d’ouvrir leurs portes aux spectateurs, et qui malgré tout nous permettent de jouer notre rôle d’éditeur spécialisé. Remerciements particuliers au CENTQUATRE-PARIS et au Festival d’Avignon qui nous accueillent pour le lancement de ce numéro à l’automne 2020, ainsi qu’au Théâtre National Wallonie-Bruxelles, avec qui nous inventerons d’autres temps de rencontres ! Remerciements sincères à nos lecteurs, qui savent que la littérature et l’art ouvrent vers des ailleurs.