Ne mosquito pas 14

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Théâtre
Critique

Ne mosquito pas 14

Le 14 Déc 2020
Micha Goldberg et Rosie Sommers dans Ne mosquito pas 14, mise en scène Collectif Ne Mosquito pas, création à Decoratelier (Bruxelles), septembre 2020. Photo Norma Prendergast.
Micha Goldberg et Rosie Sommers dans Ne mosquito pas 14, mise en scène Collectif Ne Mosquito pas, création à Decoratelier (Bruxelles), septembre 2020. Photo Norma Prendergast.

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Micha Goldberg et Rosie Sommers dans Ne mosquito pas 14, mise en scène Collectif Ne Mosquito pas, création à Decoratelier (Bruxelles), septembre 2020. Photo Norma Prendergast.
Micha Goldberg et Rosie Sommers dans Ne mosquito pas 14, mise en scène Collectif Ne Mosquito pas, création à Decoratelier (Bruxelles), septembre 2020. Photo Norma Prendergast.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Bruxelles, ce qui s'y trame
142

« Ne mos­qui­to pas » est un col­lec­tif brux­el­lois qui rassem­ble des danseurs, des met­teurs en scène, des comé­di­ens tant néer­lan­do­phones que fran­coph­o­nes et des amis venus d’un peu partout. Ensem­ble, ils déci­dent l’été dernier de créer un pro­jet se décli­nant autour de plusieurs solos ayant pour thème « if you at first don’t succeed/failure may be your style1 ». Durant de courts ate­liers en amont des spec­ta­cles, ils se plon­gent dans leurs archives per­son­nelles où sont enter­rés leurs sou­venirs d’auditions douloureuses, de répéti­tions dif­fi­ciles, de per­for­mances gênantes, mais égale­ment les tribu­la­tions de leurs vies sou­vent pré­caires. En s’interrogeant sur les normes qui for­ment leurs pra­tiques, ils pro­duisent du matériel scénique qui exprime la rela­tion entre art et échec ; les « ratés » cessent d’être des obsta­cles pour devenir les points de départ de leurs créa­tions.

Le mer­cre­di 2 sep­tem­bre 2020, face à un pub­lic réu­ni en plein air sur le grand gradin de bois de Dec­o­rate­lier2, la représen­ta­tion de Ne mos­qui­to pas 14 com­mence par un speech qui don­nera le ton des solos présen­tés durant la soirée :

Nous avons col­lec­té nos mau­vais­es idées et nous les avons ren­dues pires. Nous avons joué avec notre atti­rance pour le ‘bad­taste’ et avons cher­ché à imag­in­er notre ‘los­er’ intérieur’. En ce sens, nous tâchons d’adopter l’échec comme moyen de nous exprimer sur scène. Via notre ‘lose atti­tude’, nous réfléchissons à des manières de remet­tre en ques­tion une société motivée essen­tielle­ment par le suc­cès. « Ne mos­qui­to pas » est un work in progress qui, à chaque représen­ta­tion, compte de nou­veaux artistes. Il y a deux mois, Simon rêvait d’un marathon de200 solos avec des per­formeurs de toutes sortes. Ce soir, il n’y en aura que cinq.

Face à la dés­in­vol­ture joyeuse de cette intro­duc­tion, nous savons que nous serons les témoins de ce que nous n’avons pas l’habitude de voir : la « non-ambi­tion » comme moteur pour représen­ter la beauté de la faille.

Je repense à cette phrase de Mar­cel Mar­iën : « Il n’y a aucun mérite à être quoi que ce soit », et je souris déjà avec ent­hou­si­asme. Sur l’estrade cir­cu­laire, une petite troupe s’affaire. La sono est posée dans un coin à même le sol et de rares cos­tumes et acces­soires sont éparpil­lés ici et là. Micha Gold­berg enfile une sorte de com­bi­nai­son argen­tée à laque­lle est accrochée une queue de pois­son et s’assied sur un tabouret. Une jeune fille, Rosie Som­mers, s’avance sur le devant de la scène et prend la parole en français avec un fort accent fla­mand. Tout dans son atti­tude traduit la cat­a­stro­phe à venir. « La chute » nous ayant été annon­cée dès l’ouverture du spec­ta­cle, j’attends le moment où, comme au cirque, elle se cassera la fig­ure, et m’interroge sur la lim­ite trou­ble qui opère ici entre voyeurisme et cathar­sis.

Micha Goldberg et Rosie Sommers dans Ne mosquito pas 14, mise en scène Collectif Ne Mosquito pas, création à Decoratelier (Bruxelles), septembre 2020. Photo Norma Prendergast.
Micha Gold­berg et Rosie Som­mers dans Ne mos­qui­to pas 14, mise en scène Col­lec­tif Ne Mos­qui­to pas, créa­tion à Dec­o­rate­lier (Brux­elles), sep­tem­bre 2020. Pho­to Nor­ma Pren­der­gast.

Très vite, on com­prend que Rosie se promène dans un musée en atten­dant son ren­dez-vous Tin­der. Il arrive, et on décou­vre qu’elle est une artiste fraîche­ment diplômée qui, à cause de la crise du Covid, a vu toutes ses rési­dences annulées. Inscrite depuis peu au CPAS, elle nous par­le des boîtes de con­serve qui con­stituent l’essentiel de son col­is ali­men­taire et qui ressem­blent en tout point à cette œuvre d’art exposée à côté d’elle. Après avoir embrassé fougueuse­ment son parte­naire, elle se voit offerte comme par enchante­ment la chance de faire une per­for­mance au milieu du musée. Débar­rassée de ses vête­ments, elle nous livre dans un anglais aux accents alle­mands (plus per­for­ma­tique selon elle) le sou­venir des com­potes de pommes que lui fai­sait sa grand-mère quand elle était enfant. Dif­fi­cile de dire si nous sommes tou­jours dans le con­texte nar­ratif décrit plus haut ou dans un délire psy­cho-hyp­no­tique, mais en tout cas une chose est sûre : Fail­ure is def­i­nite­ly her style.

S’ensuivent les solos d’Anna Franziska Jäger, Micha Joseah Bar­ratt-Due Gold­berg, Sophie Melis et Simon Van Schuylen­bergh. Avec un humour déca­pant, une cor­po­ral­ité très engagée et une esthé­tique bric-à-brac, tous nous par­lent de leurs dif­fi­cultés d’être ou non à la hau­teur. La hau­teur, c’est la dis­tance ver­ti­cale entre deux objets mais aus­si la mesure des exi­gences qui nous sont imposées dans un monde où il s’agit d’être tou­jours plus per­for­mant, créatif, attrac­t­if, courageux, docile et fort à la fois. Et c’est pour cette rai­son que ce que nous pro­pose le groupe « Ne mos­qui­to pas » est si régénérant : leurs égare­ments, leurs doutes, leur fragilité loufoque sont comme un miroir dans lequel ne se reflète plus ni beauté ni laideur, mais seule­ment le récon­fort d’être face à une authen­tic­ité débar­rassée de con­sid­éra­tions con­v­enues.


  1. « Si vous ne réus­sis­sez pas du pre­mier coup, l’échec peut être votre style. » ↩︎
  2. Cette struc­ture fait l’objet d’un arti­cle de Karoli­na Svo­bodo­va p. 64. ↩︎

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Manah Depauw
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