Le Cas David Marton

Opéra
Portrait

Le Cas David Marton

Le 29 Juil 2021
David Marton photographié par son scénographe Christian Friedländer à Berlin. © DR
David Marton photographié par son scénographe Christian Friedländer à Berlin. © DR
David Marton photographié par son scénographe Christian Friedländer à Berlin. © DR
David Marton photographié par son scénographe Christian Friedländer à Berlin. © DR
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

« C’est pour ça que j’aime ce pays ! » David Mar­ton prononce cette phrase en nous rejoignant sur l’esplanade de l’Opéra d’Anvers, où il répète Dido and Aeneas. Il pointe du doigt un build­ing type années 70 qui sem­ble avoir poussé pen­dant la nuit et défi­er l’architecture néo-baroque de l’institution fla­mande. Lorsqu’on lui a pro­posé d’écrire son por­trait dans le cadre de ce numéro con­sacré à l’écologie, le met­teur en scène en a été le pre­mier sur­pris : « C’est drôle que vous me con­sid­ériez comme une voix de l’écologie ! Ça ne me serait jamais venu à l’idée ! » Il est vrai qu’au con­traire d’autres artistes comme Jérôme Bel, David Mar­ton n’a jamais revendiqué une con­science écologique : « Je ne vais pas me pren­dre pour un super-héros sous pré­texte que je ne prends pas l’avion. » L’écologie n’est pas le sujet de ses spec­ta­cles, à la dif­férence d’un Philippe Quesne et de son récent Farm Fatale, où une bande d’épouvantails entre en résis­tance con­tre le cap­i­tal­isme dérégulé qui rav­age les forêts, les ter­res et les océans. Aus­si, pos­er la ques­tion de l’écologie à tra­vers l’exemple de David Mar­ton, c’est d’abord s’intéresser à l’invisible, aux couliss­es de la créa­tion, aux pen­sées et aux pra­tiques qui ne sont pas portées en scène mais qui influ­en­cent la pro­duc­tion artis­tique.

Sur l’esplanade de l’Opéra d’Anvers

Au fond, le met­teur en scène hon­grois a un point com­mun avec ce build­ing qui domine la Roo­sevelt­plaats : il n’est pas où on l’attend. Après une for­ma­tion de pianiste à l’Académie Franz Liszt de Budapest, il démé­nage à Berlin pour étudi­er la direc­tion musi­cale et la mise en scène à la Hochschule für Musik Hanns Eisler. Âgé d’une ving­taine d’années, il gravite autour de la Volks­bühne et débute sa car­rière comme col­lab­o­ra­teur de mon­stres sacrés tels que Frank Cas­torf, Christoph Marthaler et Arpád Schilling, avant de faire ses armes dans le vaste réseau des scènes indépen­dantes de la cap­i­tale alle­mande. Com­posant un théâtre inex­tri­ca­ble­ment lié à la musique, il se fait vite remar­quer par les scènes insti­tu­tion­nelles pour l’originalité et la puis­sance formelle de ses pro­duc­tions : Fairy queen oder hätte ich glenn gould nicht ken­nen gel­ernt d’après Pur­cell à la Sophien­saele, Wozzeck puis Lulu d’après Berg, respec­tive­ment à la Volks­bühne et au Schaus­piel­haus Han­nover… En 2009 – 2010, le mag­a­zine Die Deutsche Bühne lui décerne le prix du met­teur en scène de l’année. Il est décou­vert en France grâce à Don Gio­van­ni. Keine Pause d’après Mozart à la MC93, qui lui restera fidèle en pro­gram­mant coup sur coup ses créa­tions suiv­antes, dont Har­mo­nia Cae­lestis d’après le roman de Péter Ester­házy et Le Clavier bien tem­péré d’après Bach. Dans ces titres, tout est bien sûr dans le d’après, qui per­met au met­teur en scène de pren­dre toute lib­erté avec les œuvres dont il s’inspire. Le théâtre de Mar­ton est résol­u­ment post­dra­ma­tique, selon l’expression de Hans-Thies Lehmann : les dif­férentes com­posantes du spec­ta­cle que sont le texte et la musique sont con­sid­érées comme des matéri­aux qui peu­vent être aug­men­tés, retranchés ou mod­i­fiés au cours du proces­sus de créa­tion. 

En tant qu’artiste de théâtre musi­cal, David Mar­ton ne tarde pas à intéress­er les maisons d’opéra, notam­ment La Mon­naie et l’Opéra nation­al de Lyon. Mais il ne renonce pas pour autant aux col­lages et autres mélanges insta­bles qui font la sin­gu­lar­ité de son style : dans son Orfeo ed Euridice, il partage le rôle d’Orfeo entre les voix du con­tre-ténor Christo­pher Ainslie et de la basse Vic­tor Von Halem. Au début de Don Gio­van­ni, l’introduction orches­trale au pre­mier air de Lep­orel­lo est jouée par un tourne-disque tan­dis que le valet s’exerce à diriger un orchestre-fan­tôme. Une approche qu’il pour­suit jusqu’à ce Dido and Aeneas qu’il répète aujourd’hui, pour lequel il a ajouté aux frag­ments de l’opéra de Pur­cell des extraits de l’Énéide de Vir­gile, des com­po­si­tions du gui­tariste de jazz fin­landais Kalle Kari­ma et des inter­ludes de la chanteuse améri­cano-suisse Eri­ka Stucky.

La réserve de David Mar­ton à se con­sid­ér­er comme une voix de l’écologie vient d’abord d’une prise de con­science tar­dive : « J’ai honte de l’avouer mais ça fait seule­ment quelques années que je m’intéresse à ces enjeux. J’ai gran­di en Europe de l’Est, où ces ques­tions n’étaient pas pri­or­i­taires. » Ado­les­cent, dans les rues de Budapest, il se moquait des gens qui arbo­raient des slo­gans verts sur leurs t‑shirts, sans savoir que son Moi du futur les porterait un jour. Lorsqu’il a démé­nagé à Berlin, il s’est lais­sé gag­n­er par l’esprit de la ville. Il a com­mencé à se déplac­er en vélo et à fréquenter les bou­tiques équita­bles : « Mais tout ça est dérisoire. » D’une manière générale, il trou­ve sa généra­tion peu poli­tisée : « Les jeunes qui ont vingt ans aujourd’hui sont beau­coup plus engagés. » Il admire celles et ceux qui ont foi en l’action col­lec­tive, ces vingte­naires qui descen­dent dans la rue man­i­fester ou ces ado­les­cents de #FRIDAYSFORFUTURE qui sèchent les cours pour le cli­mat à l’instigation de l’activiste sué­doise Gre­ta Thun­berg. Lui, fait par­tie des gens qui ne revendiquent rien.

Il y a quelques années, David Mar­ton a arrêté de pren­dre l’avion. Cette déci­sion, qu’il n’a jamais vrai­ment expliquée, a piqué notre curiosité. Elle est la prin­ci­pale rai­son qui nous a don­né envie de par­ler écolo­gie avec lui : une pre­mière fois dans le cadre du groupe Green Opera à La Mon­naie et une sec­onde, dans le cadre de ce numéro. Toute isolée qu’elle soit, cette sim­ple déci­sion oblige à appréhen­der dif­férem­ment le déroule­ment d’une pro­duc­tion, par exem­ple en lim­i­tant les voy­ages pour des réu­nions ou séances de tra­vail de courte durée. Dans un monde opéra­tique large­ment mon­di­al­isé, elle résiste à ce que le philosophe alle­mand Hart­mut Rosa nomme l’accélération du temps. Elle est une ten­ta­tive de l’artiste pour s’approprier un mode de pro­duc­tion dont les con­traintes parais­sent a pri­ori fort éloignées de sa méth­ode de tra­vail.

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David Marton
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Écrit par Aurore Aubouin et Simon Hatab
Aurore Aubouin est respon­s­able de pro­duc­tion artis­tique à La Mon­naie (Brux­elles) et con­sul­tante en man­age­ment cul­turel. Simon Hatab est dra­maturge...Plus d'info
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