Le Grand Orchestre de la Transition

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Le Grand Orchestre de la Transition

Le 29 Juil 2021
Plans de 3 quartiers de Dijon en 2039 réalisés par des étudiants (en ingénierie de la culture) de l’Université de Dijon, 2019.
Plans de 3 quartiers de Dijon en 2039 réalisés par des étudiants (en ingénierie de la culture) de l’Université de Dijon, 2019.
Plans de 3 quartiers de Dijon en 2039 réalisés par des étudiants (en ingénierie de la culture) de l’Université de Dijon, 2019.
Plans de 3 quartiers de Dijon en 2039 réalisés par des étudiants (en ingénierie de la culture) de l’Université de Dijon, 2019.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

Préam­bule 

Ce texte présente un spec­ta­cle col­lab­o­ratif inti­t­ulé Le Grand Orchestre de la Tran­si­tion créé lors du fes­ti­val Itinéraires Sin­guliers le 20 mars 2019 à l’Atheneum, le théâtre du l’Université de Dijon. Un pro­jet conçu et réal­isé dans le cadre du pro­gramme de recherche ASMA (Arts de la scène et Musique dans l’Anthropocène-2016 – 2019). Pen­dant six mois, dif­férents col­lec­tifs dijon­nais ont imag­iné puis représen­té sur des scènes le futur de leur ville, après vingt années de réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Je m’intéresse ici plus par­ti­c­ulière­ment au groupe de théâtre musi­cal que j’ai ani­mé avec ma parte­naire artis­tique, la chanteuse et met­teuse en scène Eva Schwabe. Une présen­ta­tion du spec­ta­cle se trou­ve ICI.

Des réc­its d’accord mais lesquels ?

Dans la for­mi­da­ble effer­ves­cence qui agite actuelle­ment la galax­ie écol­o­giste, la capac­ité à fig­ur­er d’autres chemins que ceux du cap­i­tal­isme néo-libéral tardif (et de plus en autori­taire) est un enjeu cru­cial. Des types d’activisme comme le Mou­ve­ment des Villes en Tran­si­tion, les occu­pa­tions de ZAD ou les récentes organ­i­sa­tions Youth for Cli­mate ou Extinc­tion Rebel­lion, de très nom­breux travaux académiques et une myr­i­ade d’initiatives artis­tiques explorent avec leurs out­ils spé­ci­fiques de nou­velles façons de mobilis­er, d’agir dans des ter­ri­toires, de réfléchir à d’autres façons de penser le monde et de dessin­er des futurs. Pourquoi ? Parce que ces mou­ve­ments ont notam­ment com­pris que les trans­for­ma­tions écologiques ne peu­vent se lim­iter à des change­ments d’infrastructures et d’énergie. Il ne faut pas seule­ment chang­er de chaudière mais aus­si chang­er de monde. Pré­cisé­ment, dans le monde artis­tique et notam­ment du côté des arts de la scène, de nom­breux artistes et insti­tu­tions ten­tent d’initier de nou­veaux réc­its, de racon­ter des his­toires dif­férem­ment. Même s’il est impos­si­ble d’inventorier tous les spec­ta­cles qui s’attellent à cette tâche, nom­bre d’entre eux passent des mes­sages généraux au pub­lic. Je pense par exem­ple au spec­ta­cle musi­cal Requiem dans lequel le met­teur en scène Romeo Castel­luc­ci asso­cie l’œuvre du même nom de Mozart et quelques autres par­ti­tions afin d’évoquer les peu­ples dis­parus et l’extinction prochaine de l’espèce humaine. D’une façon voi­sine, de nom­breux pro­jets musi­caux s’efforcent de ren­dre com­préhen­si­ble des con­cepts tels que l’anthropocène, les pol­lu­tions, l’urgence cli­ma­tique etc. Plutôt que de dis­cuter la qual­ité esthé­tique de ces spec­ta­cles, ce qui inter­roge ici c’est le côté hors-sol et général(iste) de cette approche. En effet, de nom­breuses expéri­ences passées ou actuelles, de la lutte de paysans japon­ais con­tre l’installation de mines à la récente mobil­i­sa­tion des gilets jaunes, nous ont effet appris que, selon le ter­ri­toire où l’on réside, sa con­di­tion sociale, son genre, si l’on est racisé.e ou pas, l’injustice envi­ron­nemen­tale n’affecte pas les humains de la même manière. Si l’espèce humaine implique bien une com­mu­nauté de des­tin, chaque per­son­ne n’est pas men­acée, et encore moins respon­s­able, de la même manière. De même, l’essor de la fig­ure de Gre­ta Thun­berg et des mou­ve­ments comme Youth for Cli­mate ont mon­tré qu’il s’agit moins aujourd’hui d’alerter les pop­u­la­tions sur les périls envi­ron­nemen­taux que d’exiger que les gou­verne­ments et les insti­tu­tions inter­na­tionales agis­sent vrai­ment. Dans une telle per­spec­tive, les respon­s­abil­ités prin­ci­pales des désas­tres écologiques se trou­vent plutôt du côté des firmes (sou­vent transna­tionales) qui exploitent le monde et pil­lent les pays pau­vres que des indi­vidus

Enfin, il faut remar­quer que ces spec­ta­cles qui nous aler­tent – par­fois avec beau­coup de tal­ent – sur des périls généraux sont le plus sou­vent mis en œuvre par des artistes et des réseaux pro­fes­sion­nels dont la répu­ta­tion et la notoriété sont inverse­ment pro­por­tion­nelles à leur attache à un ter­ri­toire.

A con­trario d’une démarche hors-sol et cen­trée sur le fait d’expliciter des con­cepts et de respon­s­abilis­er les indi­vidus, le pro­jet Le Grand Orchestre de la Tran­si­tion se pro­po­sait d’imaginer des futurs situés dans un ter­ri­toire pré­cis et que ceux-ci soient conçus, racon­tés et présen­tés sur des scènes par des col­lec­tifs qui y vivent. Plutôt que de met­tre en scène le désas­tre, il s’agissait plutôt de représen­ter et faire enten­dre des espaces com­muns. Nous avons donc pro­posé à des col­lec­tifs d’imaginer leur vie en 2039, après 20 ans de réchauf­fe­ment cli­ma­tique et de con­cevoir et de racon­ter tout cela avec des vocab­u­laires artis­tiques et en par­ti­c­uli­er de la musique et du théâtre.

Le mur de textes, Le Grand Orchestre de la transition, textes écrits par des patients de l’espace des expressions Bachelard (Dijon). Théâtre de l’Atheneum, Dijon, 20 mars 2019. Photo Marion Boisard.
Le mur de textes, Le Grand Orchestre de la tran­si­tion, textes écrits par des patients de l’espace des expres­sions Bachelard (Dijon). Théâtre de l’Atheneum, Dijon, 20 mars 2019. Pho­to Mar­i­on Bois­ard.

Les pupitres du Grand Orchestre de la Tran­si­tion

Après une série de ren­con­tres avec dif­férentes struc­tures dijon­nais­es, des appels d’offres et de sol­lic­i­ta­tions extérieures, l’équipe du Grand Orchestre de la Tran­si­tion prend forme au début de l’automne 2018. Elle com­prend cinq col­lec­tifs. 

- Une quin­zaine d’étudiant.e.s de l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon (l’ancienne École des beaux-arts), accompagné.e.s par Nico­las Thiri­on – com­pos­i­teur et respon­s­able du Cen­tre nation­al de créa­tion musi­cale de Dijon Why Note – et Jean-Christophe Denoux, com­pos­i­teur et enseignant dans l’école. Nous leur pro­posons d’imaginer les ambiances sonores d’une par­tie du cen­tre-ville en 2039 et leur four­nissons une carte où fig­urent cer­taines rues et des places de cette par­tie de la ville. Lors de sa pre­mière réu­nion, le groupe décide d’enregistrer des sons en extérieur et d’utiliser des logi­ciels de créa­tion sonore. 

- Le deux­ième groupe est com­posé des patient.e.s et des thérapeutes du Cen­tre Bachelard des Expres­sions, un ser­vice d’art thérapie du départe­ment de psy­chi­a­trie du CHU de Dijon. Doté de ses pro­pres locaux et d’une équipe spé­cial­isée, Bachelard pro­pose à des per­son­nes souf­frant de trou­bles men­taux de par­ticiper col­lec­tive­ment à des ate­liers de pra­tiques artis­tiques. Son directeur Alain Vasseur est égale­ment l’un des fon­da­teurs et ani­ma­teurs du fes­ti­val dijon­nais Itinéraires Sin­guliers dédié à l’art brut et à la lutte con­tre l’exclusionLe Grand Orchestre de la Tran­si­tion sera d’ailleurs présen­té pen­dant le fes­ti­val. Les locaux du Cen­tre des Expres­sions se situent à Fontaine d’Ouche, un quarti­er pop­u­laire con­stru­it en toute hâte à la fin des années 1960 aux abor­ds du grand lac Kir et d’un grand parc. C’est donc ce ter­ri­toire qui sera imag­iné par ce groupe en 2039.

 — Un groupe théâtre issu de l’association étu­di­ante de théâtre uni­ver­si­taire à Dijon (TUD) est spé­ciale­ment con­sti­tué pour le pro­jet. Il est com­posé de qua­tre étudiant.e.s, d’un jeune serveur et d’un pho­tographe, et ani­mé par Didi­er Doumer­gue, un met­teur en scène messin doté d’une longue expéri­ence avec des ama­teurs. Ce groupe décide de situer ses his­toires sur le cam­pus de l’Université en 2039.

 — Une ving­taine d’étudiant.e.s d’un mas­ter de l’Université dédié aux métiers du spec­ta­cle tra­vail­lent avec Marielle Nidi­au-Bour­dot, une artiviste enseignant le graphisme dans la for­ma­tion. Ce groupe va réalis­er des plans, des maque­ttes, des instal­la­tions, des vidéos à pro­pos des trois quartiers où se déroulent les actions.

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François Ribac, compositeur de théâtre musical et sociologue est maître de conférences (HDR) à l’Université...Plus d'info
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