Bacchantes1 est une fiction de Céline Minard à partir de laquelle j’ai créé une pièce de théâtre musical enregistrée puis diffusée à l’aide d’un dispositif sonore de synthèse. Nous verrons comment ce Hörspiel (littéralement « jeu pour l’oreille » en allemand) s’inscrit dans le prolongement d’un travail personnel d’exploration des stratégies artistiques et des corrélations entre divers modes d’écoute musicales, la narration et la fiction.
Une recherche artistique autour du théâtre
Quelle que soit la forme de la création dans laquelle je suis impliqué – purement musicale, théâtrale ou mêlant les deux, opéra, installation, etc. – je m’efforce d’y créer une cohérence en forçant artificiellement un aller-retour continu entre un formalisme personnel (mon imagination) et la nécessité des réalités qui matérialisent une pièce. Une partie de mon travail consiste à construire consciemment une convergence d’où émerge une identité artistique dans chaque œuvre. Je tente ainsi de trouver un mode d’expression commun autour d’un même objet par des biais différents de celui du metteur en scène ou du dramaturge ; parfois même nécessairement surprenants. Selon moi, c’est cette multidisciplinarité qui crée une force agrégeante nécessaire. De cette dernière résulte une esthétique post-moderniste, pertinemment floue et non assumée, faite d’un patchwork de styles variés au service de la pièce cependant. Cette induction réciproque entre éléments fait exister une information qui se propage de l’infinitésimal au macroscopique. L’informatique engendrant des quantités astronomiques d’informations est ainsi fort utile. C’est la part qualitative de cette information qui met en relation la composition musicale avec le texte, le jeu sur le plateau, la lumière. Sa véracité n’apparaît au public qu’au moment de la représentation et permet donc de librement placer le moment des décisions subjectives musicales. Une partie de mon travail consiste ainsi à créer et à organiser une cohérence entre l’information sous-jacente et ce qu’elle doit véhiculer et finalement symboliser. Je pense constamment une pièce de théâtre à la fois en tant que telle et comme une pièce de théâtre musical dont les éléments musicaux ne sont pas qu’informationnels ou quantitatifs. Ils font partie intégrante des dimensions de la pièce sans pour autant en prendre la primauté.
Représentations et simulations
Le fait que l’idée de représentation soit une notion commune entre le théâtre et la musique permet d’associer commodément des concepts, des symboles, voire des pratiques. Toutefois, cette notion ne reste qu’un outil de mise en relation invisible dans la pièce finale afin d’éviter que cette dernière ne parle que d’elle- même. Le figuré du texte, parfois naturaliste, et surtout le jeu des comédiens se combinent ainsi avec l’abstraction musicale. Cet assemblage de représentations me permet de passer continûment d’un texte distinct à un chant musical. C’est le chant parlé de Wagner : le Sprechgesang. Les outils informatiques que je construis utilisent une représentation des éléments par le biais de la logique et du chiffre. Loin des raisonnements structurels historiques, la logique décrite ici est plus une méthode irrationnelle, un automatisme transcendantal et quasi surréaliste qu’un raisonnement informatique cartésien ou déterministe. La cohérence, ou son contraire, reste cependant de mise. Je renomme « code art » ces programmes qui ne sont ni des logiciels, ni des instruments mais plutôt des œuvres d’art. Les accidents et l’exploration de l’aléatoire sont aussi pour moi d’une importance primordiale en théâtre car ils s’associent a fortiori avec l’expérimentation. Par exemple, je me hasarde à m’interdire des formes, des articulations ou harmonies classiques. L’ordinateur est un excellent outil pour cela du fait qu’il n’est pas toujours déterministe, trop complexe à maîtriser. Les non-sens, ou contresens transgressés, me permettent de contrôler avec précision la distance avec le texte. Je peux être en totale opposition ou connexion presque didactique avec le contexte de la dramaturgie. Ceci donne une consistance à l’identité musicale dans la pièce. Il m’a par exemple fallu du temps pour admettre que le kitsch pouvait servir de repère culturel fort. Ceci ouvre la porte sur un monde simulé, irréaliste et imprévisible, qui comporte une autonomie de laquelle émerge une forme. Parler de mondes, d’imaginaires et de simulations serait-il une forme de post-romantisme « digital » ou de néo- futurisme musical ? Mes œuvres architecturales sonores se fabriquent aussi par la simulation en répétant à l’infini un même processus. Cette expérimentation réitérée peut en définitive être considérée comme absolue, comme une œuvre… finie.
Matérialisation de Bacchantes
J’ai placé les Bacchantes de Céline Minard dans un univers naïf de science-fiction cyberpunk. Le lieu dans lequel se passe l’action et le ton humoristique ininterrompu des comédiens enregistrés m’ont obligé à situer cette musique purement synthétique dans une temporalité continue, presque sans respiration, à la limite de l’asphyxie. Ce choix esthétique, plastique, était majeur et reste en cohérence avec le reste de mon travail. L’étranglement de cette abondance se dompte de plusieurs façons, en dispersant ou zoomant la densité des sources sonores comme au cinéma. Les multiples positions et déplacements font partie intégrante de la composition. Autant que l’espace de diffusion 3D synthétique réalisé à l’aide d’un système de 64 haut-parleurs appelé ambisonie. Cette sphère de haut- parleurs est un élément de scénographie accentuant l’aspect futuriste choisi à l’aide de sons dont les timbres ne se superposent pas entre eux : les sons fabriqués sont faits de graves et d’aigus et n’interfèrent ainsi pas avec les dialogues continus. Les couleurs sonores résultantes correspondent parfaitement à l’identité que je me suis construite en dehors du théâtre. Enfin, j’aère le tout avec des rythmes.
La structure musicale et les sons sont faits de très courts silences, de rythmes infinitésimaux si rapides qu’ils créent des timbres apparemment continus et intangibles. Ça gratte.