Du hörspiel au hors-jeu : situation audio-narrative des Bacchantes

Musique
Parole d’artiste

Du hörspiel au hors-jeu : situation audio-narrative des Bacchantes

Le 20 Avr 2022
Schéma d’installation de la sphère de haut-parleurs pour Les Bacchantes au Centre Pompidou, 2020. Jérémie Henrot.
Schéma d’installation de la sphère de haut-parleurs pour Les Bacchantes au Centre Pompidou, 2020. Jérémie Henrot.

A

rticle réservé aux abonné.es
Schéma d’installation de la sphère de haut-parleurs pour Les Bacchantes au Centre Pompidou, 2020. Jérémie Henrot.
Schéma d’installation de la sphère de haut-parleurs pour Les Bacchantes au Centre Pompidou, 2020. Jérémie Henrot.
Article publié pour le numéro
146

Bac­cha­ntes1 est une fic­tion de Céline Minard à par­tir de laque­lle j’ai créé une pièce de théâtre musi­cal enreg­istrée puis dif­fusée à l’aide d’un dis­posi­tif sonore de syn­thèse. Nous ver­rons com­ment ce Hör­spiel (lit­térale­ment « jeu pour l’oreille » en alle­mand) s’inscrit dans le pro­longe­ment d’un tra­vail per­son­nel d’exploration des straté­gies artis­tiques et des cor­réla­tions entre divers modes d’écoute musi­cales, la nar­ra­tion et la fic­tion.

Une recherche artis­tique autour du théâtre

Quelle que soit la forme de la créa­tion dans laque­lle je suis impliqué – pure­ment musi­cale, théâ­trale ou mêlant les deux, opéra, instal­la­tion, etc. – je m’efforce d’y créer une cohérence en forçant arti­fi­cielle­ment un aller-retour con­tinu entre un for­mal­isme per­son­nel (mon imag­i­na­tion) et la néces­sité des réal­ités qui matéri­alisent une pièce. Une par­tie de mon tra­vail con­siste à con­stru­ire con­sciem­ment une con­ver­gence d’où émerge une iden­tité artis­tique dans chaque œuvre. Je tente ain­si de trou­ver un mode d’expression com­mun autour d’un même objet par des biais dif­férents de celui du met­teur en scène ou du dra­maturge ; par­fois même néces­saire­ment sur­prenants. Selon moi, c’est cette mul­ti­dis­ci­pli­nar­ité qui crée une force agrégeante néces­saire. De cette dernière résulte une esthé­tique post-mod­erniste, per­tinem­ment floue et non assumée, faite d’un patch­work de styles var­iés au ser­vice de la pièce cepen­dant. Cette induc­tion réciproque entre élé­ments fait exis­ter une infor­ma­tion qui se propage de l’infinitésimal au macro­scopique. L’informatique engen­drant des quan­tités astronomiques d’informations est ain­si fort utile. C’est la part qual­i­ta­tive de cette infor­ma­tion qui met en rela­tion la com­po­si­tion musi­cale avec le texte, le jeu sur le plateau, la lumière. Sa vérac­ité n’apparaît au pub­lic qu’au moment de la représen­ta­tion et per­met donc de libre­ment plac­er le moment des déci­sions sub­jec­tives musi­cales. Une par­tie de mon tra­vail con­siste ain­si à créer et à organ­is­er une cohérence entre l’information sous-jacente et ce qu’elle doit véhiculer et finale­ment sym­bol­is­er. Je pense con­stam­ment une pièce de théâtre à la fois en tant que telle et comme une pièce de théâtre musi­cal dont les élé­ments musi­caux ne sont pas qu’informationnels ou quan­ti­tat­ifs. Ils font par­tie inté­grante des dimen­sions de la pièce sans pour autant en pren­dre la pri­mauté.

Représen­ta­tions et sim­u­la­tions

Installation des Bacchantes, T2G Gennevilliers, novembre 2020. Photo Olivier Pasquet.
Instal­la­tion des Bac­cha­ntes, T2G Gen­nevil­liers, novem­bre 2020. Pho­to Olivi­er Pas­quet.

Le fait que l’idée de représen­ta­tion soit une notion com­mune entre le théâtre et la musique per­met d’associer com­mod­é­ment des con­cepts, des sym­bol­es, voire des pra­tiques. Toute­fois, cette notion ne reste qu’un out­il de mise en rela­tion invis­i­ble dans la pièce finale afin d’éviter que cette dernière ne par­le que d’elle- même. Le fig­uré du texte, par­fois nat­u­ral­iste, et surtout le jeu des comé­di­ens se com­bi­nent ain­si avec l’abstraction musi­cale. Cet assem­blage de représen­ta­tions me per­met de pass­er con­tinû­ment d’un texte dis­tinct à un chant musi­cal. C’est le chant par­lé de Wag­n­er : le Sprechge­sang. Les out­ils infor­ma­tiques que je con­stru­is utilisent une représen­ta­tion des élé­ments par le biais de la logique et du chiffre. Loin des raison­nements struc­turels his­toriques, la logique décrite ici est plus une méth­ode irra­tionnelle, un automa­tisme tran­scen­dan­tal et qua­si sur­réal­iste qu’un raison­nement infor­ma­tique cartésien ou déter­min­iste. La cohérence, ou son con­traire, reste cepen­dant de mise. Je renomme « code art » ces pro­grammes qui ne sont ni des logi­ciels, ni des instru­ments mais plutôt des œuvres d’art. Les acci­dents et l’exploration de l’aléatoire sont aus­si pour moi d’une impor­tance pri­mor­diale en théâtre car ils s’associent a for­tiori avec l’expérimentation. Par exem­ple, je me hasarde à m’interdire des formes, des artic­u­la­tions ou har­monies clas­siques. L’ordinateur est un excel­lent out­il pour cela du fait qu’il n’est pas tou­jours déter­min­iste, trop com­plexe à maîtris­er. Les non-sens, ou con­tre­sens trans­gressés, me per­me­t­tent de con­trôler avec pré­ci­sion la dis­tance avec le texte. Je peux être en totale oppo­si­tion ou con­nex­ion presque didac­tique avec le con­texte de la dra­maturgie. Ceci donne une con­sis­tance à l’identité musi­cale dans la pièce. Il m’a par exem­ple fal­lu du temps pour admet­tre que le kitsch pou­vait servir de repère cul­turel fort. Ceci ouvre la porte sur un monde simulé, irréal­iste et imprévis­i­ble, qui com­porte une autonomie de laque­lle émerge une forme. Par­ler de mon­des, d’imaginaires et de sim­u­la­tions serait-il une forme de post-roman­tisme « dig­i­tal » ou de néo- futur­isme musi­cal ? Mes œuvres archi­tec­turales sonores se fab­riquent aus­si par la sim­u­la­tion en répé­tant à l’infini un même proces­sus. Cette expéri­men­ta­tion réitérée peut en défini­tive être con­sid­érée comme absolue, comme une œuvre… finie.

Matéri­al­i­sa­tion de Bac­cha­ntes

J’ai placé les Bac­cha­ntes de Céline Minard dans un univers naïf de sci­ence-fic­tion cyber­punk. Le lieu dans lequel se passe l’action et le ton humoris­tique inin­ter­rompu des comé­di­ens enreg­istrés m’ont obligé à situer cette musique pure­ment syn­thé­tique dans une tem­po­ral­ité con­tin­ue, presque sans res­pi­ra­tion, à la lim­ite de l’asphyxie. Ce choix esthé­tique, plas­tique, était majeur et reste en cohérence avec le reste de mon tra­vail. L’étranglement de cette abon­dance se dompte de plusieurs façons, en dis­per­sant ou zoomant la den­sité des sources sonores comme au ciné­ma. Les mul­ti­ples posi­tions et déplace­ments font par­tie inté­grante de la com­po­si­tion. Autant que l’espace de dif­fu­sion 3D syn­thé­tique réal­isé à l’aide d’un sys­tème de 64 haut-par­leurs appelé ambisonie. Cette sphère de haut- par­leurs est un élé­ment de scéno­gra­phie accen­tu­ant l’aspect futur­iste choisi à l’aide de sons dont les tim­bres ne se super­posent pas entre eux : les sons fab­riqués sont faits de graves et d’aigus et n’interfèrent ain­si pas avec les dia­logues con­ti­nus. Les couleurs sonores résul­tantes cor­re­spon­dent par­faite­ment à l’identité que je me suis con­stru­ite en dehors du théâtre. Enfin, j’aère le tout avec des rythmes.

La struc­ture musi­cale et les sons sont faits de très courts silences, de rythmes infinitési­maux si rapi­des qu’ils créent des tim­bres apparem­ment con­ti­nus et intan­gi­bles. Ça grat­te.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Musique
Parole d’artiste
Création sonore
Olivier Pasquet
Partager
Olivier Pasquet
Olivier Pasquet est compositeur de musique et plasticien. Son travail est fréquemment basé sur l’écriture...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements