Anne Lepère est artiste sonore et Diederik Peeters créateur de spectacles et performeur. Ensemble, iels ont réalisé la conférence performée Apparitions schizophoniques, donnée au Centre Wallonie-Bruxelles le 10 juillet 2020.
Comment en êtes-vous venu·e·s à vous intéresser au son ? En particulier, je suis frappée par le fait que vous vous intéressiez tous les deux à l’invisible, que ce soit le spiritisme ou l’astrologie.
Anne Lepère Je relie fortement l’astrologie au son car la vibration des planètes évoque la vibration sonore et elle me permet également d’avancer dans mon travail créatif, seule ou avec d’autres. Mais d’une manière plus large, le fait d’être à l’écoute donne une forme de réception à tout ce qui n’est pas visible. Quand on entend la vibration sonore, elle peut s’incarner et nous mettre en lien avec la matière. Une vibration sonore nous place à l’écoute de choses minuscules : par exemple, une onde sonore met en mouvement des grains de sable qui deviennent ainsi visibles, alors qu’on ne les aurait peut-être pas vus dans leur immobilité. Le son permet de mobiliser des espaces d’attention qui sont plus infimes, plus discrets. C’est une manière d’accorder de l’importance à ce qui est minoritaire et d’ailleurs cet art lui-même est considéré comme mineur. C’est se mettre à l’écoute, non seulement de sons, mais aussi du vivant qu’on n’entend pas d’habitude. Grâce au travail sonore, leur parole peut prendre vie, elle peut être archivée et retrouver une nouvelle place dans le collectif.
Diederik Peeters Je ne sais pas vraiment d’où vient ma fascination pour le son, c’est quelque chose de très intuitif. J’ai toujours beaucoup aimé la musique, je joue un peu de guitare et de trompette. Mais je suis aussi cinéphile et j’ai commencé à m’intéresser au son par le biais du cinéma. J’ai beaucoup lu le théoricien du cinéma Michel Chion, qui s’intéresse à la manière dont on reçoit le son : remarquer par exemple que le son qu’on entend dans une certaine scène est le reflet de ce qui se joue dans l’imagination d’un personnage et non de la réalité du film. Les liens entre son et invisible, en particulier avec le spiritisme, sont seulement venus dans ce dernier projet Apparitions. Le point de départ en était la notion de voix désincarnée, cette voix invisible, sans corps, que les Grecs connaissaient déjà et qui est liée aux esprits, car dès que l’on coupe le corps de la voix, c’est la voix de Dieu ou d’un fantôme qui apparaît. Le spectacle s’est axé de plus en plus sur les liens entre la science, la technologie et le surnaturel ou la magie et j’ai fini par laisser tomber la voix désincarnée. Je suis aussi très intrigué par la capacité du son à créer des images dans la tête des gens avec des moyens minimes. C’est de la magie. J’aime les clichés, les archétypes comme le tictac d’une montre, qui crée immédiatement des images.
Pourriez-vous m’en dire plus sur le spectacle sur lequel vous avez travaillé ensemble ?
DP Il s’intègre dans un cadre plus large nommé Apparitions : pendant deux ans, j’ai créé toute une série de petites œuvres autour des thématiques évoquées plus haut. Il y a eu plusieurs formats, dont un spectacle (Apparitions), une installation dans une galerie d’art et une pièce radiophonique. En lien avec notre conversation d’aujourd’hui, il y a eu une conférence performée, Apparitions schizophoniques, au Centre Wallonie Bruxelles à Paris le 10 juillet 2020, en collaboration avec Anne, au cours de laquelle je reliais Thomas Edison, Dracula et le black métal norvégien par la voix désincarnée, tandis qu’Anne proposait une création sonore liée à l’astrologie.
AL Pour ce spectacle, j’ai créé un cheminement sonore qui faisait apparaître un paysage sur la scène, composé de souffles à peine perceptibles et de ululements. L’astrologie s’est assez vite jointe au travail sonore : je compose beaucoup avec des diapasons, qui sont des fréquences pures associées aux vibrations de certaines planètes. Par rapport au thème astral de la conférence, j’avais proposé qu’on entende la variation de vibrations entre un ré et un ré dièse au diapason, car c’était le champ vibratoire le plus propice pour la réception de ce moment-là à Paris (en connexion avec Saturne reliée à la fréquence 147,85 Hz). J’ai composé une séquence sonore qui est revenue à différents moments de la conférence et qui était amenée entre autres par Diederik, qui jouait du diapason sur scène.