Sanctuaire sauvage (Collectif Rafale): aux frontières du visible et du sensible

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Sanctuaire sauvage (Collectif Rafale): aux frontières du visible et du sensible

Le 11 Fév 2023
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

Un père emmène sa jeune fille dans la forêt de son enfance, un espace qu’il affec­tionne tout par­ti­c­ulière­ment, car pro­pre à l’imaginaire. Il fait nuit. Elle a peur, lui non : aveu­gle depuis la nais­sance, il con­naît par cœur les chemins sen­soriels de l’endroit. Privée de lumière, elle expéri­mente alors pour la pre­mière fois, juchée sur les épaules de son père, la tra­ver­sée d’un monde qu’elle ne voit pas, mais qu’elle sent tout autour d’elle. Aujourd’hui adulte, elle se tient devant nous, et nous racon­te cette his­toire, d’abord en mots, puis en voltiges. C’est aus­si, dans les couliss­es, l’histoire de deux sœurs, l’une scéno­graphe (Cécile Mas­sou) et l’autre cir­cassi­enne (Sonia Mas­sou), dont le père n’a jamais vu le tra­vail, parce que lui-même aveu­gle. Sanc­tu­aire sauvage appa­raît comme une métaphore scénique de la ren­con­tre entre deux mon­des et des rela­tions sin­gulières que chacun·e entre­tient au vis­i­ble et au sen­si­ble. Poé­tique donc, cette tra­ver­sée de la forêt à laque­lle nous sommes invité·e·s ne se donne jamais à voir de manière lit­térale. Les réc­its du père (enreg­istrés) et de la fille (en adresse pub­lic) con­tex­tu­alisent les référents imag­i­naires du spec­ta­cle (le père, la fille, la forêt, le vil­lage en cam­pagne, la grand-mère au coin du feu), sans jamais que ceux-ci nous soient imposés par la suite.

Sonia Massou et Julien Pierrot dans Sanctuaire sauvage, mise en scène Collectif Rafale, création 2019 au Théâtre Varia, Bruxelles. Photo Tilman Pfäfflin.
Sonia Mas­sou et Julien Pier­rot dans Sanc­tu­aire sauvage, mise en scène Col­lec­tif Rafale, créa­tion 2019 au Théâtre Varia, Brux­elles. Pho­to Tilman Pfäf­flin.

Œuvre col­lec­tive cir­cassi­enne du Col­lec­tif Rafale, sonore et scéno­graphique, Sanc­tu­aire sauvage fait le pari d’une forme acces­si­ble à un pub­lic malvoy­ant, jouant des rela­tions sen­si­bles et com­plex­es entre ombre et lumière, fra­cas et silence, courant d’air et tem­pête orageuse. Évolu­ant dans une scéno­gra­phie épurée rap­pelant la mise en espace tra­di­tion­nelle des cirques sous chapiteau (cer­cle au cen­tre et spectateur·ice·s autour, assis·e·s sur des gradins très proches de la scène), les trois circassien·ne·s Julien Pier­rot, Thibaut Lez­er­vant et Sonia Mas­sou ne cessent de jouer avec la con­trainte – mais n’est-ce pas plutôt avec l’horizon ? Il ne s’agit ici plus de don­ner à voir, mais bien de don­ner à sen­tir. Com­ment don­ner à sen­tir le cirque ? La rela­tion entre un por­teur et une voltigeuse ? Com­ment trans­met­tre à tous·te·s le fris­son de la chute pos­si­ble d’un corps dans un numéro de main à main ? La vir­tu­osité d’un jon­gleur acro­bate ? La flu­id­ité d’un mou­ve­ment ? Le mou­ve­ment en lui-même ? Le par­ti pris dra­maturgique n’est cepen­dant nulle­ment celui d’une adap­ta­tion néga­tive, mais bien d’une affir­ma­tion esthé­tique et artis­tique : l’audiodescription fusionne avec les pra­tiques cir­cassi­ennes, scéno­graphiques et sonores. Por­teur et voltigeur·euse·s décrivent au présent l’immense et intense tra­vail de con­cen­tra­tion physique et men­tal – en principe invis­i­ble – qui leur per­met de garder l’équilibre ; mais aus­si leurs sen­sa­tions, douleurs, craintes, soulage­ments, nous détour­nant de notre habi­tude de corps en scène per­for­mants et par­faite­ment silen­cieux. Les balles du jon­gleur acro­bate sont sonorisées, jouant ain­si avec le principe d’une audiode­scrip­tion poétisée, car ryth­mique et musi­cale. Les créa­tions lumière (Anaïs Ruales), sonore (Vic­tor Praud) et scéno­graphique (Cécile Mas­sou) offrent au pub­lic une expéri­ence sen­si­ble et sen­suelle d’une générosité et d’une finesse rares. 

Sanc­tu­aire sauvage est donc l’affirmation d’un geste philosophique et poli­tique : penser une œuvre en ter­mes d’inclusivité des publics per­met l’élargissement des pos­si­bles d’expression, la réin­ven­tion des codes. Cela sig­ni­fie que penser une inclu­siv­ité des publics n’est pas affaire de pré­sup­po­si­tion lim­i­tante, mais bien d’ouverture de nos pra­tiques artis­tiques à une mul­ti­plic­ité de rap­ports au monde et de rela­tions au sen­si­ble. C’est la per­spec­tive de l’émergence de nou­veaux lan­gages scéniques. Toute cette réflex­ion donne nais­sance à un spec­ta­cle d’une sim­plic­ité boulever­sante et d’une clarté rad­i­cale, sai­sis­sant au vol ce qu’il y a d’essentiel dans la présence d’un corps en scène, l’adresse à un pub­lic, porter, être por

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Écrit par Marthe Degaille
Marthe Degaille est actrice, autrice et met­teuse en scène. Les­bi­enne et fémin­iste, ses pra­tiques sont mar­quées par son...Plus d'info
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