À l’entrée de la salle, les enfants spectateur·ice·s déposent leurs peurs, préalablement écrites sur de petits morceaux de papier, dans une boîte dont le couvercle ressemble à une urne. Iels sont accueilli·e·s par l’une des actrices du spectacle, qui les aide à mettre leur peur dans la boîte. « Y a des peurs de quoi là-dedans ? », leur demande-t-elle.
Une fois sur scène, les actrices regardent les enfants, et ouvrent la boîte à peurs. Lumineuse, celle-ci dessine à présent leurs visages dans l’obscurité. Armées de leurs lampes de poche, les actrices sortent les papiers à peurs et les parcourent des yeux. Elles se regardent, parcourent à nouveau les peurs (dans leur tête), se les montrent, regardent les enfants, comme pour signifier avec beaucoup de tendresse qu’elles connaissent maintenant les peurs de chacun·e d’elleux. Elles referment la boîte, la posent sur la table et, au travers du couvercle en papier calque mat qu’elles utilisent comme écran, font apparaître à la lumière de leurs lampes de poche le titre de la première histoire : Quand vient l’orage. Dans une ville stylisée faite de petits personnages archétypaux hauts en couleurs et d’immeubles de papier blanc – théâtres d’ombres et de papier miniatures –, les deux marionnettistes, sur les airs au piano mélancoliques et lumineux de Chilly Gonzales, décomposent et recomposent les espaces, jouent avec l’orage, déchaînent les imaginations, transforment les araignées en terribles et terrifiants monstres rampant sur la ville. Marie a peur du noir, Gisèle d’oublier les choses importantes, Gérard des bruits soudains, et Bigoudi le chien des aspirateurs. Qu’on soit grand·e, petit·e ou à quatre pattes : tout le monde a peur.
D’étranges amis – la seconde histoire – nous plonge dans l’ambiance délicieusement hantée d’une grande maison perdue en pleine forêt. Partant à nouveau d’un théâtre d’ombres en noir et blanc, la scénographie gagne progressivement en reliefs et en couleurs, à l’aide de peintures figuratives serties de cadres dorés nous faisant découvrir l’intérieur de la maison et le ballet singulier qui s’y déroule. Tels les livres d’enfants pop-up, ces tableaux prennent petit à petit vie, traversés par de curieux êtres, qui finissent par prendre la forme de marionnettes. Un chien avec tellement de poils qu’on peine à distinguer sa tête de son arrière-train. Un squelette fantaisiste qui fait le ménage. Un fantôme amoureux. Le lien entre ces apparitions semble être cette vieille dame très distinguée propriétaire des lieux. Est-elle au courant que sa maison est hantée ? Elle ne semble nullement remarquer la présence de ses atypiques colocataires, et ne souhaite qu’une seule chose : prendre un bon bain chaud. C’est sans compter les apparitions d’une grenouille et d’un très beau serpent – certes un peu effrayant, mais pas du tout méchant. Une fois nue – image ô combien interpellante pour nos jeunes spectateur·ice·s et si rare sur nos scènes –, la vieille dame se glisse non sans peine dans sa baignoire, se transforme nonchalamment en sirène et plonge dans les profondeurs d’un océan onirique. Le fantôme danse avec le squelette (déguisé en fantôme pour l’occasion), puis se transforme lui aussi en sirène. Dans cet univers horrifique d’une très grande douceur, ce n’est nullement la volonté de terroriser qui anime ces drôles d’êtres, mais bien un intense désir de communication et de jeu.
Dernière création de la compagnie Les Zerkiens, spécialisée dans la création de spectacles de marionnettes sans parole pour le jeune public, Les Peurs invisibles, mis en scène par Guillaume Hunout, a de quoi nous faire regretter d’avoir plus de dix ans. Ce spectacle témoigne d’une puissance d’invention plastique et scénographique subtile, offrant aux spectateur·ice·s une multiplicité des points de vue et une narration d’une formidable et rare richesse poétique au service d’une ode à l’altérité. Les marionnettistes, Isabelle Pauly et AnneSara Six, délicatement présentes et ingénieusement absentes, font preuve d’une maîtrise technique remarquable et nous livrent un récit à l’efficacité et à la précision rythmique quasi cinématographiques.