L’hybridité à l’œuvre : les arts de la marionnette en France aujourd’hui

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Réflexion

L’hybridité à l’œuvre : les arts de la marionnette en France aujourd’hui

Le 18 Fév 2023
I Killed the Monster, interprétation et mise en scène de Gildwen Peronno/Cie RoiZIZO théâtre, création 2018. Photo Patrick Argirakis.
I Killed the Monster, interprétation et mise en scène de Gildwen Peronno/Cie RoiZIZO théâtre, création 2018. Photo Patrick Argirakis.
I Killed the Monster, interprétation et mise en scène de Gildwen Peronno/Cie RoiZIZO théâtre, création 2018. Photo Patrick Argirakis.
I Killed the Monster, interprétation et mise en scène de Gildwen Peronno/Cie RoiZIZO théâtre, création 2018. Photo Patrick Argirakis.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
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Dans l’expression « arts de la mar­i­on­nette », le mot « mar­i­on­nette » est un terme générique pour désign­er aujourd’hui toute forme théâ­trale dans laque­lle l’inanimé s’anime. Cet inan­imé, qui en l’occurrence peut être une mar­i­on­nette, un objet, une matière, un corps, une image, des mots, des ombres, de la lumière, une machine… s’anime sous l’impulsion d’un manip­u­la­teur, d’un comé­di­en-inter­prète, d’un corps danseur ou cir­cassien le temps d’une représen­ta­tion.

Le champ est donc très vaste et très libre. Il s’invente, se renou­velle sans cesse au gré de l’évolution et des ren­con­tres des dif­férentes dis­ci­plines en jeu. Ouvert sur son époque, il est friand des hybrid­ités générées par divers croise­ments que ses artistes se plaisent à mul­ti­pli­er : tra­di­tion, tech­nolo­gies de pointe, his­toire, arts numériques, pat­ri­moine, cul­tures, anthro­polo­gie, sci­ences, mou­ve­ments artis­tiques, musique, arts plas­tiques, danse, cirque, arts de la rue, arts forains, pein­ture, écri­t­ures théâ­trales con­tem­po­raines, textes clas­siques, lit­téra­ture, philoso­phie, ciné­ma, doc­u­men­taire… Dans l’expression « arts de la mar­i­on­nette », il faut donc enten­dre les mar­i­on­nettes sous toutes leurs formes et leurs arts asso­ciés.

On con­sid­ère donc qu’une forme relève des arts de la mar­i­on­nette dès lors que sur le plateau du théâtre se mélan­gent divers­es dis­ci­plines artis­tiques et que l’on dépasse le champ théâ­tral clas­sique du jeu de l’acteur et du texte. Le sens n’est plus ou pas seule­ment porté par le texte, il se dégage ou se développe dans le jeu, le mou­ve­ment, dans la rela­tion à l’espace, aux corps, aux objets, à la mar­i­on­nette, à la matière, à l’image, à la lumière, aux dis­posi­tifs scéno­graphiques, aux machines inven­tées… De ces inter­re­la­tions naît alors un lan­gage spé­ci­fique, nou­veau à chaque représen­ta­tion, dont vont s’emparer les spec­ta­teurs, un lan­gage dif­férent et unique pour cha­cun, qui échappe bien sou­vent à leurs auteurs. Quel que soit son âge, le spec­ta­teur est act­if. Il mobilise ses sens, son imag­i­na­tion est au tra­vail, son intel­li­gence dépassée par l’émotion que génèrent l’esthétique et l’inventivité des mar­i­on­nettes et des dis­posi­tifs, la vir­tu­osité de la manip­u­la­tion ou encore l’inattendu. Il est com­plice de l’illusion qui se crée devant lui, devenant instan­ta­né­ment parte­naire de jeu. C’est donc un art du jeu, jeu entre l’inerte et le vivant, jeu entre le manip­u­la­teur et ses mar­i­on­nettes ou ses objets, jeu entre les artistes et les spec­ta­teurs. On le retrou­ve avec les mar­i­on­nettes de toutes sortes, à gaine, sur table, à tige, sur l’eau… en castelet ou à vue, avec le théâtre d’ombres, le théâtre de papi­er… de fac­ture et d’écriture tra­di­tion­nelle ou con­tem­po­raine. Il est présent dans les formes de théâtre où sont manip­ulées matières, struc­tures, mécan­ismes et machines inven­tées, ain­si que dans le théâtre d’objets qui allie art de l’acteur, art du con­te, jeu d’échelles, procédés ciné­matographiques. 

Il est fréquent dans le cirque con­tem­po­rain où les agrès devi­en­nent scéno­gra­phie et élé­ments sig­nifi­ants, dans la danse con­tem­po­raine quand les danseurs jouent avec les objets, les cos­tumes, les mots… dans le théâtre musi­cal quand par­ti­tion, voix, instru­ments et objets sonores ne font qu’un. On est séduit par la vir­tu­osité de la manip­u­la­tion et des corps, mais on y appré­cie aus­si l’ouverture poé­tique sur le monde, sur l’humanité, qui ques­tionne nos rap­ports soci­aux et poli­tiques. 

La mar­i­on­nette est un art à la fois pop­u­laire et prospec­tif. Il s’adresse à tous – tout âge et toute cul­ture –, il expéri­mente et innove. Les mar­i­on­net – tistes ne tra­vail­lent pas seuls. Ils sont regroupés en com­pag­nies ou col­lec­tifs qui réu­nis­sent toutes les com­pé­tences néces­saires : auteurs, manip­u­la­teurs, con­struc­teurs, comé­di­ens, met­teurs en scène, scéno­graphes, musi­ciens, plas­ti­ciens, infor­mati­ciens, tech­ni-ciens… Ils se sont ren­con­trés pen­dant leur for­ma­tion ini­tiale – école d’art, école de théâtre, con­ser­va­toire de musique, ESNAM (École supérieure nationale des arts de la mar­i­on­nette à Charleville-Méz­ières…) – ou con­tin­ue (stage, work­shop…). Du temps est néces­saire pour pro­duire leurs spec­ta­cles : pour la con­cep­tion et la con­struc­tion des mar­i­on­nettes ou dis­posi­tifs, pour l’écriture sou­vent en aller-retour avec le jeu au plateau, pour les répéti­tions au plateau en aller-retour avec l’atelier de con­struc­tion. Et enfin du temps pour la con­fronta­tion avec le pub­lic qui vien­dra ter­min­er l’œuvre. Il faut aus­si des moyens financiers pour lancer la pro­duc­tion et organ­is­er la dif­fu­sion. Cer­taines com­pag­nies sont sub­ven­tion­nées par les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales. Elles sont recon­nues et aidées par des struc­tures de pro­gram­ma­tion. Pour d’autres, le départ est sou­vent dif­fi­cile, il faut de la pugnac­ité pour ren­con­tr­er les pro­gram­ma­teurs, trou­ver un pre­mier lieu de dif­fu­sion, et décrocher une pre­mière sub­ven­tion… Cette pre­mière étape mar­que l’entrée dans le réseau pro­fes­sion­nel, elle est dif­fi­cile à franchir. Chez les mar­i­on­net­tistes, cepen­dant, il y a une vraie cul­ture de l’entraide. La mar­i­on­nette ayant longtemps été à la marge du théâtre, elle a dévelop­pé ses pro­pres ressources dans un réseau organ­isé pour pal­li­er les man­ques dus à sa spé­ci­ficité : lieux, ate­liers, out­ils, espaces de ren­con­tre et de réflex­ion…

Des com­pag­nies « chevron­nées » ont ain­si don­né nais­sance aux lieux-com­pag­nies mis­sion­nés pour le com­pagnon­nage. Il y en a aujourd’hui huit en France : Le Bouf­fou Théâtre à la Coque (Hen­nebont – Bre­tagne), Le Jardin par­al­lèle (Reims – Grand Est), Le Tas de Sable – Ches Pans­es Vertes (Amiens – Hauts-de-France), La Nef – Man­u­fac­ture d’utopies (Pan­tin – Île-de-France), Le Théâtre aux Mains Nues (Paris – Île-de-France), Odradek/Compagnie Pupel­la-Noguès (Quint-Fon­seg­rives – Occ­i­tanie), le Théâtre Halle Rou­blot (Fonte­nay-sous-bois), Le Vélo Théâtre (Apt – Provence-Alpes-Côte‑d’Azur). Elles dis­posent d’un ate­lier de con­struc­tion et d’un plateau de répéti­tion. Leur util­i­sa­tion ne se lim­ite pas à la créa­tion de leurs spec­ta­cles. Elles accueil­lent d’autres artistes, les con­seil­lent, aident à la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion, dévelop­pent de la for­ma­tion, sous forme d’ateliers réguliers, de stages ou de mas­ter class­es… Ce com­pagnon­nage per­met des échanges, des ouver­tures vers d’autres arts, encour­age des regards croisés entre artistes, rend pos­si­bles les con­fronta­tions avec les publics, les expéri­men­ta­tions, la recherche, la fab­ri­ca­tion, la trans­mis­sion de tech­niques, de savoir-faire, d’histoires du méti­er… Cer­taines s’engagent aus­si dans l’accompagnement admin­is­tratif, voire dans la pro­duc­tion déléguée, per­me­t­tant ain­si aux jeunes artistes sor­tant de l’école de se con­sacr­er pleine­ment à la créa­tion.

Elles sont à l’initiative de ren­con­tres avec les publics en organ­isant sor­ties de rési­dence ou fes­ti­vals, et dévelop­pent dans leurs ter­ri­toires tout un tra­vail de péd­a­gogie. Tra­vail impor­tant non seule­ment pour la con­nais­sance de cet art et de ses mul­ti­ples facettes, sa recon­nais­sance et son développe­ment, mais aus­si pour faire tomber les a pri­ori réduc­teurs. Et c’est un con­stat : dans les régions de France où il y a des lieux de dif­fu­sion des arts de la mar­i­on­nette, il y a du pub­lic curieux, prêt à pren­dre les risques de la décou­verte. Et cela est fon­da­men­tal pour toute la créa­tion con­tem­po­raine.

Les struc­tures de pro­gram­ma­tion sont donc essen­tielles. Elles peu­vent s’engager dans la copro­duc­tion et/ou dans l’accompagnement d’équipes. Cer­taines sont iden­ti­fiées arts de la mar­i­on­nette : Le Mouf­fe­tard à Paris, l’Espace Jéliote d’Oloron-Sainte-Marie, L’Hectare de Vendôme, Le Théâtre de Laval, Le Sabli­er en Nor­mandie, Le Tas de Sable à Amiens et le Théâtre à la Coque à Hen­nebont. Elles vien­nent d’être label­lisées cen­tres nationaux de la mar­i­on­nette (CNMa), label nation­al récent. On compte aus­si l’Institut inter­na­tion­al de la mar­i­on­nette à Charleville-Méz­ières, deux cen­tres dra­ma­tiques nationaux dirigés par des mar­i­on­net­tistes, le TJP à Stras­bourg et, dernière­ment, le CDN de Rouen. À cela s’ajoutent les fes­ti­vals : un mon­di­al à Charleville-Méz­ières, des fes­ti­vals d’envergure nationale en Île-de-France, à Stras­bourg, à Mire­poix, des fes­ti­vals en région à Toulouse, Mar­seille, Apt, Amiens, le fes­ti­val off d’Avignon où les mar­i­on­nettes sont très présentes… des fes­ti­vals de prox­im­ité à l’initiative des com­pag­nies, fes­ti­vals de rue, fes­ti­vals tout pub­lic, fes­ti­val jeune pub­lic…

Les arts de la mar­i­on­nette sont donc des arts de l’hybridité, une hybrid­ité à tous les niveaux : de la créa­tion artis­tique, de l’organisation de la pro­duc­tion et de la dif­fu­sion, et des publics. 

À POILS, écriture et mise en scène d’Alice Laloy, création 2020 à la Comédie de Colmar – CDN Alsace Grand Est. Photo Jean-Louis Fernandez.
À POILS, écri­t­ure et mise en scène d’Alice Laloy, créa­tion 2020 à la Comédie de Col­mar – CDN Alsace Grand Est. Pho­to Jean-Louis Fer­nan­dez.

Des arts d’aujourd’hui en somme !

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Écrit par Graziella Végis
Gra­ziel­la Végis est con­seil­lère artis­tique, vice-prési­dente de THEMAA.Plus d'info
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