Memento mori

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Cabaret

Memento mori

Entretien avec Olivier Py

Le 1 Nov 2023
Sabine Devieilhe dans Les Mamelles de Tirésias, création d’Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, 2023. Photo Vincent Pontet.
Sabine Devieilhe dans Les Mamelles de Tirésias, création d’Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, 2023. Photo Vincent Pontet.
Sabine Devieilhe dans Les Mamelles de Tirésias, création d’Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, 2023. Photo Vincent Pontet.
Sabine Devieilhe dans Les Mamelles de Tirésias, création d’Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, 2023. Photo Vincent Pontet.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

L’écran Iphone laisse appa­raître le vis­age d’Olivier Py, à Athènes, où il met en scène Madama But­ter­fly de Puc­ci­ni, pour l’ouverture du fes­ti­val d’Épidaure. Je véri­fie l’heure, gar­di­en d’un temps très pré­cieux pour ce grand être de théâtre, ponctuel, pressé, fort affairé. Il est 14 h 14. Dans la philoso­phie de Carl Jung, qui célèbre la syn­chronic­ité des êtres et des heures, ce chiffre miroir sym­bol­ise la libéra­tion, le change­ment de vie, le sen­ti­ment d’exister. Une sig­ni­fi­ca­tion prop­ice au rap­port ultra-néces­saire qu’entretient Olivi­er Py avec le cabaret : « Pour moi, c’est une dou­ble vie, au(x) genre(s) fluide(s), un dia­logue avec la Mort. C’est une pose étanche à l’art dit noble ; le cabaret débar­rasse de l’intellect. » Dans un monde poli­ti- que­ment (très) cor­rect, je lui demande si le cabaret ne serait pas le dernier repli du sub­ver­sif ? « Oui, c’est une petite oasis dans un désert d’ennui, une expéri­ence spir­ituelle forte ; on se débar­rasse des cram­pes de la nota­bil­ité, de l’effet Ikea, de l’art qui va avec tout, d’une entre­prise de lis­sage idéologique et intel­lectuelle, on se réveille du songe bour­geois. La nuit, le masque pub­lic tombe, c’est un vio­lent mir­a­cle. » Très vite, il par­le du cabaret comme d’un phénomène de dis­pari­tion, un « memen­to mori. Sur scène, je mour­rais pour ne plus être moi. C’était surtout un pré­texte pour rejoin­dre mes copines et tacler le bour­geois. Pour mon pre­mier numéro, j’incarnais une lanceuse de couteaux : des couteaux sales, effrayants, moches, jolis aus­si. » Puis, il est ques­tion d’une appari­tion, mar­i­ale, stu- péfi­ante : celle de Miss Knife, la per­sona trav­es­tie de Py, qui con­naît tout de suite, un suc­cès reten­tis- sant. Habil­lé d’une « robe de per­le de jais noir, qui apparte­nait à mon arrière-grand-mère », Olivi­er Py chante ses pro­pres écrits, des bal­lades inso­lentes et douloureuses comme le Tan­go du sui­cidaire, sou­vent seul, accom­pa­g­né d’un piano, de quelques musi­ciens. CDs, pas­sages télévisés, con­certs, scènes européennes, et même jusqu’à la pres­tigieuse Brook­lyn Acad­e­my of Music, à New York.

Sabine Devieilhe dans Les Mamelles de Tirésias, création d’Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, 2023. Photo Vincent Pontet.
Sabine Devieil­he dans Les Mamelles de Tirésias, créa­tion d’Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, 2023. Pho­to Vin­cent Pon­tet.

« J’incarnais un para­doxe : directeur de théâtre la journée, trav­elot la nuit. » Sa Miss Knife fait entr­er le camp dans l’institution. Olivi­er Py ira jusqu’à inclure Madame Arthur au fes­ti­val d’Avignon, une pre­mière dans l’histoire de la pro­gram­ma­tion. Il se veut vig­i­lant face à la « récupéra­tion insti­tu­tion­nelle » du cabaret, « à la com­mer­cial­i­sa­tion de cet art de l’undergound », car, selon lui, il ne faut pas que le cabaret perde « sa noblesse mar­ginale ». Je souhaite revenir un instant sur le style camp, dont il affec­tionne par­ti­c­ulière­ment cet humour si par­ti­c­uli­er, « inadéquat à la bonne société ». « On m’a tou­jours dit : tu dois écrire des comédies, ce sont tes meilleures pièces. » Il entre en rési­dence, en « instance de mobil­i­sa­tion », à la Char­treuse, pour se lancer dans une adap­ta­tion du mythe d’Orphée. Il cherche, tri­t­ure cette matière, s’ennuie. Un soir, il sort à l’Esclave, un bar LBGTQ+ de la rue Joseph- Ver­net. L’ambiance est frag­ile. Une drag monte sur la petite scène, avec un cos­tume jaune assez moche ; silence dans la salle. Alors, elle bal­ance : « Quoi ?
Vous n’avez jamais vu un œuf mimosa ? Les gorges pro­fondes des habitués lâchent des rires déments, Olivi­er Py, lui, reste scotché face à cette réplique insen­sée. Il retourne dans sa cham­bre et réin­vestit son écri­t­ure dans le sou­venir hilare de cette queen jaune d’œuf. Si on observe la dra­maturgie des œuvres scéniques de Py, le style cabaret s’infiltre régulière­ment : dans La Ser­vante déjà, sa créa­tion phare, ce moment piv­ot dans sa car­rière artis­tique, il y fai­sait des numéros, des inter­mèdes chan­tés lors des dif­férents entractes (La Ser­vante durait plus de huit heures), où per­son­ne ne le recon­nais­sait ; et, plus récem­ment, dans Les Mamelles de Tirésias – livret de Poulenc et texte d’Apollinaire – au théâtre des Champs-Élysées, avec Patri­cia Petit­bon dans le rôle phare. Le crossover n’étant jamais loin chez Py, il plonge ce réc­it avant-gardiste dans l’univers d’un cabaret de province, un cabaret « faux pau­vre », hyper-sex­u­al­isé, hyper-glam­ourisé (French can­can, revues, danseurs avec masques à gaz, farces, peep-show…). Une sorte de Moulin- Rouge décom­plexé du nom de Zanz­ibar. « Le Zanz­ibar a vrai­ment existé, c’était le pre­mier bar gay d’Europe au début du xxe siè­cle, un grand lieu de lib­erté. » En 2023, au même emplace­ment, se trou­ve un cen­tre com­mer­cial.

L’heure file. Il doit retourn­er à son ser­vice opéra­tique. Il rac­croche. Il est 14 h 41. Dans mes notes, une phrase reste en sus­pens, celle d’un tout jeune Olivi­er Py, 29 ans, face à la caméra du jour­nal télévisé, sous un soleil de plomb avi­gnon­nais. Il dit : « Je crois que l’on peut avoir la sen­sa­tion, en ten­ant la main de celui qu’on aime dans sa main, de se dire : moi je vais mourir, lui aus­si ; mais se dire que cette sen­sa­tion-là, elle, ne mour­ra jamais. » Dans cette phrase, c’est toute la géométrie com­plexe, ontologique du théâtre et du cabaret qui s’exprime, et dont Olivi­er Py sait célébr­er l’imminence et la poésie.

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Olivier Py
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Écrit par Pablo-Antoine Neufmars
Pablo-Antoine Neuf­mars est un poly-amoureux de l’art. Inter­prète en théâtre et danse, il est aus­si pho­tographe et auteur....Plus d'info
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#150 – 151
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