La montagne magique,  une maison pas comme les autres

Entretien
Théâtre
Jeune Public
Portrait

La montagne magique,  une maison pas comme les autres

Le 28 Mai 2025
Crédit photo Amir Khidojatov
Crédit photo Amir Khidojatov

A

rticle réservé aux abonné.es
Crédit photo Amir Khidojatov
Crédit photo Amir Khidojatov
Article publié pour le numéro

À deux cents mètres de la rue Neuve, en plein cen­tre de Brux­elles, se trou­ve un lieu extra­or­di­naire, dédié à la créa­tion jeune pub­lic. La Mon­tagne mag­ique (com­muné­ment appelée la Moma) a su con­tre­car­rer l’inhospitalité des zones marécageuses sur lesquelles elle a été con­stru­ite, pour devenir un théâtre ouvert à tous·tes, où l’accueil, la con­vivi­al­ité et la fête sont des règles d’or. Avant d’être mon­tagne, elle était mai­son. Depuis 1801, son entrée cochère a vu défil­er bon nom­bre de calèch­es et de hauts-de-forme. Puis, au début du XXe siè­cle, elle est dev­enue une banque colo­niale, avec la créa­tion d’une salle des guichets et d’une salle des cof­fres. On lui a ajouté une ver­rière et des portes blind­ées, encore présentes aujourd’hui. En 1972, la Ville de Brux­elles a ouvert une nou­velle page en y inau­gu­rant le Théâtre des Jeunes de la Ville de Brux­elles.

Mais, d’abord, petit rap­pel his­torique… 

Au début des années 1970, la Bel­gique entame un tour­nant vers le fédéral­isme, avec la créa­tion de trois com­mu­nautés cul­turelles. L’enseignement et la cul­ture sont les pre­miers domaines à être scindés. Et que recou­vre le pre­mier décret de (l’ancêtre de) la Com­mu­nauté française ? Le théâtre jeune pub­lic, qui est en pleine effer­ves­cence ! La spé­ci­ficité de ce décret est de don­ner l’ensemble des moyens de pro­duc­tion aux com­pag­nies. Deux cen­tres dra­ma­tiques sont créés : Pierre de Lune à Brux­elles et le Cen­tre dra­ma­tique de Wal­lonie pour l’enfance et la jeunesse  Le décret sous-tend une volon­té de décen­tral­i­sa­tion et de démoc­ra­ti­sa­tion de la cul­ture. Les com­pag­nies pren­nent d’assaut les écoles pour y jouer leur spec­ta­cle ; mal­heureuse­ment, les con­di­tions y sont sou­vent mau­vais­es (pas facile de trans­former une salle de gym ou une can­tine en boîte noire…). Par­al­lèle­ment, des cen­tres cul­turels, avec des out­ils pro­fes­sion­nels, voient le jour un peu partout. 

C’est dans ce con­texte que la Ville crée un lieu hors du com­mun. Au Théâtre des Jeunes de la Ville de Brux­elles, de jeunes adultes appren­nent l’alphabet du théâtre pour enfants : fab­ri­ca­tion de mar­i­on­nettes, créa­tion de cos­tumes, cours de chant et d’escrime… Par­mi ell·eux, on trou­ve des pro­fils divers : des enseignant.es, des uni­ver­si­taires (sci­ences économiques, phi­lo…) ou encore un fac­teur… Pen­dant vingt ans, son directeur, Mar­cel Cornélis, et la comé­di­enne Monique Ver­lay for­ment des artistes et – quand iels ne sont pas occupé·es à mon­ter les pièces qu’il écrit – il les emmène avec lui à Paris, pour voir ce qui se fait là-bas et pren­dre le déje­uner chez son ami Brassens. C’est dans ces années-là que se ren­con­trent les jeunes qui for­meront plusieurs com­pag­nies jeune pub­lic belges fran­coph­o­nes qui tra­verseront les années : la Galafronie, le Papyrus, la Cas­quette, Gare cen­trale, Sac à dos, les Mutants, le Théâtre Isaocèle… Ou encore Yolande More­au. C’est qu’ils en ont vu pass­er, du beau monde, ces murs ! Selon les ouï-dire, il y aurait même quelques fan­tômes qui traî­nent de-ci, de-là… 

En 1992, l’aventure s’arrête, le bâti­ment est lais­sé à l’abandon. Trois ans plus tard, l’échevine de la Cul­ture pro­pose à Roger Deldime et Jeanne Pigeon d’y bâtir le théâtre de leurs rêves. Roger Deldime – fon­da­teur du Cen­tre de soci­olo­gie du théâtre à l’ULB et pro­fesseur à Charles-Buls (ancêtre de la Haute École Fran­cis­co-Fer­rer) – est, depuis les années 1970, une per­son­nal­ité incon­tourn­able du secteur. Chercheur émérite, pas­sion­né de péd­a­gogie nou­velle, il est aus­si très proche des artistes et de leur réal­ité. Avec Jeanne, son épouse, comé­di­enne famil­ière du jeune pub­lic, iels sont convaincu·es de l’importance du théâtre pour œuvr­er à l’émancipation et à l’éducation des jeunes. Iels créent la Mon­tagne mag­ique en 1995, du nom du roman éponyme de Thomas Mann. Iels nom­ment trois axes fon­da­men­taux qui guideront leur tra­vail : voir (des œuvres, des spec­ta­cles), faire (expéri­menter les arts vivants via des ate­liers, des ani­ma­tions, des pro­jets artis­tiques…) et se for­mer (en tant qu’accompagnant·es, professeur·es, éducateur·ices, par­ents…). Dix ans après le départ de Roger et Jeanne, ces trois axes sont tou­jours au cen­tre du pro­jet de la Moma.

Depuis 2015, c’est Cali Kroo­nen qui en a repris le flam­beau. Elle m’accueille dans son bureau un ven­dre­di après-midi. Le théâtre est calme. La dernière représen­ta­tion de la journée a eu lieu quelques heures aupar­a­vant. Pour­tant, je crois enten­dre les mur­mures des enfants, leur émer­veille­ment dans le grand escalier, l’écho de leurs rires con­tagieux dans la salle… C’est qu’ici les murs sont mag­iques, ils gar­dent tout. Aujourd’hui, après la représen­ta­tion du matin, un petit garçon s’est esclaf­fé : « C’était le plus beau spec­ta­cle de ma vie ! » Cali s’amuse en me racon­tant l’anecdote : « C’était le plus beau, mais c’était son pre­mier ! » Elle ajoute qu’elle a de la chance : des petits cadeaux comme celui-là, il y en a tous les jours…

Le théâtre jeune pub­lic, Cali est tombée dedans à vingt-six ans. Le réc­it de sa vie pro­fes­sion­nelle est ponc­tué de ren­con­tres, d’opportunités, de rebondisse­ments et – par-dessus tout – imprégné d’une curiosité et d’une pas­sion à toute épreuve qui – toutes expéri­ences cumulées – font d’elle un des couteaux suiss­es du théâtre belge fran­coph­o­ne. Lorsqu’elle ter­mine son cur­sus de mise en scène à l’Insas, Cali sait qu’elle ne veut pas être artiste. Très vite, elle est engagée au cen­tre cul­turel d’Evere, où elle décou­vre son pre­mier spec­ta­cle jeune pub­lic. Elle me con­fie : « J’ai tout de suite pen­sé que je voulais habiter dans ce pays-là. » Lors de notre ren­con­tre, le champ séman­tique de l’habitat revien­dra sou­vent (nor­mal, quand on tra­vaille dans une mai­son !). Au cen­tre cul­turel d’Evere, elle touche à tout : la pro­gram­ma­tion, les ate­liers théâtre, les mon­tages-démon­tages… Après deux années de col­lab­o­ra­tion dans le cadre de « Noël au théâtre », Cali rejoint la CTEJ – en tant que chargée des rela­tions publiques, d’abord, puis des pub­li­ca­tions, et, finale­ment, en tant que codi­rec­trice. En 2015, la Mon­tagne mag­ique cherche sa per­le rare… Une voix lui souf­fle de can­di­dater. Elle con­stitue le dossier et la magie opère : les clés de la Moma lui sont con­fiées.

Ren­con­tre avec Cali Kroo­nen

Crédit photo Amir Khidojatov
Crédit pho­to Amir Khi­do­ja­tov

En 2025, la Mon­tagne mag­ique fêtera ses trente ans et tu souf­fleras tes dix bou­gies à la tête de cette insti­tu­tion… Quelles étaient tes envies quand tu es arrivée ? 

Quand je suis arrivée, on a gardé tout ce qui avait été mis en place par Roger et Jeanne, à l’exception des pub­li­ca­tions. Les envies sont nées des ren­con­tres. On a ren­for­cé des liens avec des per­son­nes (les ados notam­ment) et des lieux (Bronks pour le fes­ti­val Export/Import, par exem­ple) qui nous met­tent en mou­ve­ment. On est à Brux­elles, une ville où on par­le plus de 180 langues. Il est impor­tant de s’ouvrir à d’autres démarch­es artis­tiques, celles de Flan­dre, du Séné­gal, de France, d’Argentine, du Burk­i­na Faso, du Québec, d’Espagne, d’Afrique du Sud, d’Allemagne… et celles du quarti­er voisin. Dans Export/Import, les spec­ta­cles fla­mands, belges fran­coph­o­nes et inter­na­tionaux bous­cu­lent sou­vent les codes scéniques aux­quels s’attendent les adultes et les jeunes. Même les enfants qui ne sont jamais allés au théâtre ont une image pré­cise du théâtre (comme le rideau rouge) qu’on aime cham­bouler.

Dans le même esprit, nous par­ticipons à un pro­jet européen pour viv­i­fi­er l’interculturalité dans la créa­tion jeune pub­lic. 

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Théâtre
Jeune Public
Portrait
Théâtre de la Montagne Magique
Cali Kroonen
135
Partager
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements