Plutôt que de s’adresser seulement aux spectateurs « jeune public » et à leur famille, certains artistes comme Olivier Letellier créent explicitement pour tous ceux qui n’ont pas l’habitude d’aller au théâtre, quel que soit leur âge. Le directeur des Tréteaux de France-Centre dramatique national témoigne.
Responsable d’une structure itinérante, le CDN-Les Tréteaux de France, Olivier Letellier collabore régulièrement avec des structures de la filière jeune public1 et choisit de jouer dans des lieux non théâtraux. À partir de textes contemporains, le metteur en scène invente des formes qui peuvent inclure le public, par exemple en invitant les spectateurs à donner directement la réplique aux interprètes en lisant le texte à voix haute, comme dans les étonnantes pièces participatives de la série Parcours KILLT.
« Il faut reconnaître qu’il n’est pas forcément facile de pousser la porte d’un théâtre. C’est pourquoi nous présentons nos spectacles dans des lieux du quotidien, comme les gymnases par exemple. Nous multiplions les partenariats avec d’autres structures culturelles pour activer toutes les courroies de transmission possibles avec les territoires. Notre mission est d’être invités chez les gens, pour pouvoir ensuite les inviter chez nous, c’est-à-dire dans notre univers artistique. Notre projet est de valoriser les écritures dramatiques contemporaines en nous adressant particulièrement à un public jeune dans son expérience de spectateur ou de spectatrice. Nous nous adressons aux habitants, pas à des spectateurs spécialisés.
Depuis trente ans que je fais du théâtre dit ‘’jeune public’’2, j’ai toujours affirmé que la création ‘’jeune public’’ s’adresse en fait à tout le monde, contrairement aux spectacles pour adultes, qui, en réalité, excluent une partie du public. Souvent, quand un parent accompagne son enfant au spectacle et se prépare à rester en retrait, il est surpris d’être touché, de se faire, pour ainsi dire, ‘’cueillir’’ par le spectacle. L’artiste qui s’adresse au ‘’public jeune’’ se positionne non par rapport à l’œuvre qu’il crée, mais par rapport au public à qui il s’adresse. Il prend avant tout en considération les destinataires du spectacle en se demandant ce qu’il veut partager avec eux. Cela a pour effet de décentrer l’artiste de son ego. Se mettre au service du public, c’est une école d’humilité.
Aujourd’hui, nous constatons que de plus en plus d’adultes sans enfants, retraités et retraitées ou non, se rendent à des spectacles dits ‘’jeune public’’, parfois en allant assister à des représentations scolaires, en journée. Ces personnes savent qu’elles verront des spectacles plus ouverts, qui ne nécessitent pas d’avoir des références particulières ou de maîtriser certains codes intellectuels.
Il faut souligner que le mélange des générations crée du lien et enrichit le vécu des spectateurs. Je me souviens d’une représentation dans un lycée professionnel où des classes de maternelle étaient également conviées. Nous avions demandé aux adolescents de prendre en charge l’accueil des tout-petits : devoir faire attention aux plus jeunes les a transformés positivement, y compris dans leur attitude vis-à-vis du spectacle. Je crois que vivre des émotions collectivement est fondamental. Et c’est de plus en plus rare, car nous sommes souvent retranchés derrière nos écrans, ce qui crée une pudeur émotionnelle. Vibrer ensemble apporte une sorte de liberté dans l’expression des émotions. Cette expérience, en plus du spectacle lui-même, peut nous faire grandir, quel que soit notre âge. »
Propos recueillis par Naly Gérard
- Par exemple, avec le Totem, scène conventionnée Art Enfance Jeunesse ; Scènes d’enfance-Assitej (pour La Fédération des lucioles, qui a eu lieu entre septembre 2024 et mars 2025, voir : www.lafederationdeslucioles.com) ; le Lavoir moderne parisien, pour le festival le Lavoir moderne en famille, du 8 au 19 avril 2025, voir : lavoirmoderneparisien.com/le-lavoir-en-famille‑3. ↩︎
- Il a signé notamment le spectacle Oh Boy !, Molière du jeune public 2010, toujours au répertoire de l’artiste. ↩︎