Le jardinier obstiné

Le jardinier obstiné

Le 20 Sep 1995
Patrice Chéreau, Laurent Malet. DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, mise en scène Patrice Chéreau, Théâtre des Amandiers-Nanterre. (Reprise).
Patrice Chéreau, Laurent Malet. DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, mise en scène Patrice Chéreau, Théâtre des Amandiers-Nanterre. (Reprise).

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Patrice Chéreau, Laurent Malet. DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, mise en scène Patrice Chéreau, Théâtre des Amandiers-Nanterre. (Reprise).
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« Why grow the branch­es now the root is with­er’d ?
Why with­er not the leaves that want their sap ?»

Pourquoi les branch­es poussent-elles encore, alors que la racine est desséchée ?
Pourquoi les feuilles ne dessèchent-elles pas, alors qu’elles sont privées de leur sève ?

Shake­speare, RICHARD III (exer­gue au RETOUR AU DÉSERT)

Une plante qu’on a coupée trop vite et à qui l’on tâche de faire pren­dre racine dans un ter­reau étranger sou­vent s’y refuse et dépérit ; mais si un habile jar­dinier s’ob­s­tine et que, sur des généra­tions, inlass­able­ment, il coupe tôt les racines, il taille, hybride et bou­ture soigneuse­ment, il finit par faire renaître une nou­velle plante aux fac­ultés d’adap­ta­tion infinies ; de telle sorte qu’on peut mutil­er une fleur par le bas, par le haut, de tous les côtés, sans que jamais l’in­stinct de vie ne soit mis en défaut, comme si le souf­fle de l’ex­is­tence pou­vait vari­er indéfin­i­ment de foy­er, qu’à l’ex­trême muti­la­tion cor­re­spondait l’ex­trême sou­p­lesse de la vie.
Bernard-Marie Koltès
«Douze notes pris­es au Nord »

LE RETOUR AU DÉSERT reste la seule pièce de l’œu­vre de Koltès qui se passe nom­mé­ment en France, en province, et en un temps rel­a­tive­ment pré­cis, le début des années soix­ante. Ce mar­quage et le rap­port, plusieurs fois souligné par Koltès, avec sa pro­pre biogra­phie, donne d’emblée à la pièce un statut dif­férent des autres. Analysant l’u­nivers de Koltès de LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS à DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, Michel Batail­lon notait : «… le point que Koltès affec­tionne, c’est cette étrange zone de con­tact entre la vie policée et le monde sauvage, cette lisière où rien n’est jamais acquis, où la ville et la jun­gle tan­tôt s’af­fron­tent tan­tôt font bon ménage »1. Une rue, une cité de chantier qu’en­toure l’Afrique, un hangar désaf­fec­té de l’an­cien port dans une grande ville occi­den­tale, un no man’s land entre deux îlots d’habi­ta­tion : tels sont les lieux qu’in­vestit le théâtre de Koltès. Avec LE RETOUR AU DÉSERT, Koltès, le « flâneur infati­ga­ble », ren­tre à la mai­son. Il s’a­muse, dit-il, à écrire des scènes en intérieur, des scènes qui se passent « à l’heure du petit déje­uner ». Et pour­tant, à l’in­térieur de la clô­ture choisie, il va exercer une Lib­erté d’écri­t­ure totale, une lib­erté toute neuve, acquise sans doute grâce à la ren­con­tre avec Shake­speare (la tra­duc­tion du CONTE D’HIVER précède immé­di­ate­ment LE RETOUR). Koltès qui dis­ait, au moment de QUAI OUEST, avoir décou­vert la néces­sité de La règle des trois unités, Koltès met para­doxale­ment en scène, avec LE RETOUR, le lieu le plus ouvert, la tem­po­ral­ité la plus libre, l’ac­tion la plus plurielle de tout son théâtre. Il ren­tre à la mai­son, il retourne vers son passé, mais c’est pour les recon­stru­ire de bric et de broc, ouverts à tous les vents, tra­ver­sés de lignes de fuite et de trous de mémoire.

« Je vois un peu le plateau de théâtre, écrivait-il, comme un lieu pro­vi­soire, que les per­son­nages ne cessent d’en­vis­ager de quit­ter. C’est comme le lieu où l’on se poserait le prob­lème : ceci n’est pas la vraie vie, com­ment faire pour s’échap­per d’i­ci »2 De la clô­ture provin­ciale du RETOUR, on s’échappe en défini­tive comme on veut, quand on veut : ses murs n’ont été con­stru­its que pour offrir le plaisir de les sauter, son jardin est le lieu des ren­con­tres les plus imprévues, on y tombe du ciel ou on s’y env­ole avec la même facil­ité. Rien de l’en­lise­ment de QUAI OUEST, du piétine­ment de LA NUITou de la SOLITUDE, de l’empiègement de COMBAT. On change d’en­droit sans cesse, on par­court la mai­son en enfants curieux et imag­i­nat­ifs, une grande mai­son pleine de recoins prop­ices aux secrets et aux éva­sions. Cette lib­erté, ROBERTO ZUCCO vient main­tenant la con­firmer : d’in­térieurs en extérieurs, apparte­ment, rue, hôtel, métro, cui­sine, gare, jardin, la cav­ale de Zuc­co fait tout com­mu­ni­quer, et même la terre directe­ment avec le soleil. Il suf­fit de ne pas voir les obsta­cles, et ils tombent tout seuls, dit Zuc­co, et on s’échappe de n’im­porte quelle prison. Il suf­fit, dit Edouard dans LE RETOUR de cess­er deux sec­on­des de s’a­grip­per à la planète et on se retrou­ve à voltiger dans l’e­space.

Même lib­erté dans la tem­po­ral­ité de la pièce. A la lec­ture, le texte est pris dans un dou­ble sys­tème tem­porel. La pièce com­bine en effet deux divi­sions en cinq temps, la pre­mière d’or­dre dra­ma­tique et ryth­mique (chaque temps est divisé en trois ou qua­tre scènes alter­na­tive­ment), et la sec­onde (qui ne recoupe pas la pre­mière) d’or­dre rit­uel : les qua­tre pre­miers temps ont pour titre (mais non pas dans l’or­dre naturel) qua­tre des cinq prières de la reli­gion islamique (SOBH, à l’aube ; ZOHR, à midi ; ‘ICHÂ, la nuit ; MAGHRIB, le soir); le dernier temps, qui coïn­cide avec la dernière scène du V, porte le nom de la fête qui mar­que la fin du Ramadan ; cet ordre rit­uel est donc lui-même hétérogène, mêlant un rythme jour­nalier et un rythme annuel.

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