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(À une table, la voix d’une actrice représente le monde civilisé)
L’ACTEUR a l’âme grasse d’un fêtard de carnaval horrible. Il prolonge, en bon sacrilège, des instants dangereux. On die qu’il incarne. L’INCARNATION ? Il y a dans ce terme quelque chose qui tient de la chirurgie et du bain de boue. Un mariage contre nature liane le dedans au dehors.
Alors qu’en fait tout est affaire de ciment. Les éléments du grand ensemble social sont côte à côte dans leurs enveloppes imperméables et c’est ce qui nous autorise à déterminer ce qui se fait et à connaître la valeur de chaque chose. La longévité de la civilisation dépend de cela.
Ceux qui fréquentent un acteur, savent qu’il n’aspire qu’à chercher l’incarnation, que pour y parvenir il se parfume d’essences nauséeuses, que ses agissements sont criminels ec que très certainement il prépare une révolution qui nous renversera rous en bas. Tous dans la merde. Dégringolés, étendus…
Il faut être méfiant et se tenir à bonne distance du spectacle, éviter tant que possible les lieux où l’acteur œuvre. Savez vous que la pollution qu’il disperse, et autour de laquelle il sait réunir des équipes entières, ouvre des voies tranquilles aux infections ?
Il n’est pas rare de voir les parents de l’acteur pleurer leur fils disparu dans le monde des hors-la-loi.
Les conditions de vie de l’acteur sont exigeantes tant que parfois il renonce à la crasse et se lave.
Quand il se lave l’acteur perd ses attributs, il finit d’incarner et croit en ce qui est convenable. Il s’éloigne du chaos et il finit par créer des diversions. On dit qu’il divertit. Cet acteur-là ravit les familles ; il détend l’atmosphère pesante des mille dangers qui nous guettent.
Les journées de l’acteur – celui qui est encore sale – sont faites d’une grande activité qui ne produit rien. Il fomente, à l’abri de ses concitoyens, une singulière matière qui interdit toute spéculation, tout marché et qui rend caduc le calcul. Sa volonté d’échapper à sa condition relève du banditisme. Inclassable, il se veut sans nom et porte les signes des grands guerriers.
En somme, l’acteur est comme en guerre perpétuelle. Il est, malgré l’anarchie qui régie son activité, un être organisé, il s’est donné des règles de conduite qui forment une espèce de catéchisme que voici :
Catéchisme de l’acteur
Premier –
sur le pronostic
L’acteur est un homme perdu d’avance. Il doit le savoir et jouir de ce pronostic. Sa préoccupation première doit être de mettre en abîme la révolution et le chaos à l’intérieur même de son propre corps. Il doit tripatouiller tant qu’il peut, au risque de tout mélanger et de confondre l’en dedans avec l’en dehors. Ceci constitue ses fondations ; le préliminaire à son arrivée sur le plateau.
Deuxième –
sur la paye
Quand l’acteur interprète le rôle d’une bonne, il doit s’attendre à être payé autant qu’elle. Quand l’acteur interprète le rôle d’un roi ou celui d’un riche marchand, il doit s’attendre à être payé autant qu’une bonne.