« Dites-nous quelque-chose qu’on ne sait pas»1

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Le 17 Oct 1995

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Werner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives ThéâtralesWerner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives Théâtrales
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« Sans ques­tions, sans musique ! Je ne con­nais de belle absence de ques­tions, que dans la fatigue… Jadis l’avenir n’é­tait-il pas un con­ti­nent ? Et la ques­tion des ques­tions, en tout cas de mon temps, ‘Que devons-nous faire?’. Et pourquoi ce con­ti­nent est-il de nos jours réduit à ton, à mon ilôt-ques­tions : ‘Que dois-je faire moi, moi tout seul?’ (…) Qui pour­rait appel­er les temps actuels une époque ? »2

D’UN COTÉ, la Cul­ture, celle que l’on dit de « masse », avec sa bonne san­té, ses humeurs médi­a­tiques, ses mes­sages politi­co-péd­a­gogiques, sa bonne foi désar­mante, et son instinct gré­gaire : « Pen­dant que le pub­lic s’in­stalle, on entend la retrans­mis­sion d’une messe, que le Pape célèbre avec une masse quel­conque. »3

D’un côté, « Toutes les insti­tu­tions offi­cielles du lan­gage » qui « sont des machines ressas­santes ; l’é­cole, le sport, la pub­lic­ité, l’œu­vre de masse, la chan­son, l’in­for­ma­tion, redis­ent tou­jours la même struc­ture, le même sens, sou­vent les mêmes mots. »4 De l’autre, l’en­vie irré­press­ible de saper l’or­dre moral, le besoin impérieux de tromper l’en­nui avec l’hor­reur, l’ob­sti­na­tion à vouloir sur­pren­dre la triv­i­al­ité en débri­dant les plaisirs les plus per­vers.

« D’où la con­fig­u­ra­tion actuelle des forces : d’un côté, un aplatisse­ment de masse (lié à la répéti­tion du lan­gage) et de l’autre, un emporte­ment mar­gin­al, excen­trique, vers le nou­veau – emporte­ment éper­du qui pour­ra aller jusqu’à la destruc­tion du dis­cours. »

C’est la représen­ta­tion graphique que l’on pour­rait faire de l’écri­t­ure de Wern­er Schwab et de celle de quelques autres. Une écri­t­ure qui, sous les apparences d’un réal­isme affligeant qui mime fidèle­ment notre quo­ti­di­en social, laisse percevoir des pos­si­bil­ités de belles échap­pées. Autant dire déjà que c’est dans ces pos­si­bil­ités, que cette écri­t­ure nous éton­nera et nous arrêtera, car si la ligne, pour repren­dre l’ex­em­ple du graphique, nous donne à voir le dessin général, c’est le point (croise­ment des don­nées et des valeurs) qui nous don­nera à com­pren­dre. Au trait, on fini­ra par préfér­er le signe symp­to­ma­tique où se rejoignent et se nouent toutes les ten­sions : « L’artiste doit forcer la vision de la cat­a­stro­phe, de sorte que le spec­ta­teur soit telle­ment touché par la réal­ité décrite qu’il développe sa pro­pre énergie de résis­tance »5

Accu­mu­lant et reprenant les poussées de fièvre d’une société que beau­coup jugent « malade », les textes de Schwab, de Berkoff, ou de Magnin, et dans une autre mesure, Gabi­ly ou Bond, nous font les témoins oblig­és d’une lente défor­ma­tion du quo­ti­di­en, vers ce qu’il a de plus vul­gaire ou de plus mon­strueux mais sans jamais vrai­ment céder à la vio­lence pure, c’est-à-dire à la souf­france pure. On tue, on vio­le, on mange sa merde avec la plus douce des banal­ités et dans un sen­ti­ment qua­si par­fait de moral­ité bour­geoise :
«ERNA : Quel calme peut régn­er dans du sang rouge comme ça … J’ai tou­jours pen­sé que, lorsqu’on est mort, tout est sens dessus dessous dans un être mort.
CRETE : Et qu’al­lons-nous faire de celle-là, main­tenant ?

ERNA : On l’en­terre dans la cave, parce que les gens dis­tin­gués aus­si dis­ent tou­jours : dans ce pays, cha­cun cache un cadavre dans sa cave. »6

La dérive pro­gres­sive vers l’ex­cès sem­ble être, aujour­d’hui, l’u­nique recours ou le seul moyen pour se sauver de ce qui ne nous con­vient pas, mais en atten­dant, il faut bien dire quelque chose sur le monde com­ment il va. Et pour par­ler du monde, on laisse dire les « gens », et très sou­vent les « petites » gens. Marie, Crete, Erna ou Sybil, Steve ou Thom n’en finis­sent pas de se ressem­bler : pas­sifs, un petit peu dérac­inés, un petit peu inaptes au bon­heur, un petit peu stériles ou géné­tique­ment dan­gereux, un petit peu ennuyeux, apa­trides, athées, a‑politiques et his­torique­ment amnésiques. Le tout dans une inca­pac­ité général­isée, qui les plonge dans une stu­peur apathique de laque­lle on se demande, très sou­vent, com­ment et avec quoi, ils pour­ront bien s’ex­tir­p­er. « En cette fin de siè­cle, la plu­part des jeunes femmes et des jeunes hommes gran­dis­sent dans une espèce de présent per­ma­nent, dépourvu de tout lien organique avec le passé pub­lic qui a pour­tant façon­né les temps actuels. »7

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Corinne Rigaud
Corinne Rigaud est née à Orange, un trois avril. Elle a déjà dit qu’elle aimait...Plus d'info
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