Comment j’écris

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Comment j’écris

Le 10 Juil 1999
Article publié pour le numéro
Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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POUR ESSAYER D’EXPLIQUER une façon d’écrire, il faut con­naître la per­son­ne qui écrit, son his­toire, son monde. Et il faut par­ler du genre lit­téraire qui con­stitue son moyen d’ex­pres­sion.

Je n’écris que pour le théâtre : les descrip­tions et les invo­ca­tions à la lune ne m’in­téressent pas. Au théâtre les mots sont les faits, les actes et les gestes que, sur un plateau un acteur répète (ré-cite) à l’in­ten­tion du pub­lic gui suit l’ac­tion con­tenue dans — et je dirais véhiculée par — les mots du texte. C’est en lui que doit être présente « en puis­sance » toute la réal­ité théâ­trale que le spec­ta­cle issu du texte actu­alise. Et au bout du compte, c’est le pub­lic qui boucle la boucle de l’in­ter­pré­ta­tion, en se réu­nis­sant, en se rassem­blant, en se met­tant en har­monie avec les mots écrits à l’o­rig­ine sur des car­nets.

J’ai passé toute ma jeunesse à effectuer des travaux plus ou moins occa­sion­nels. J’ai vécu dans les dépôts de gare, les marchés, les maisons délabrées, les dor­toirs publics, les gares. J’ai enten­du des voix, des plaintes, des hurlements, des blas­phèmes, des invo­ca­tions au Christ et à la madone. Je me suis gorgé d’ar­gots, de dialectes : j’ai été comme transper­cé par la langue des pau­vres, qui est une langue sacrée : ni humaine, ni divine. Du coin de l’œil, j’ai perçu des vies absur­des : par­mi tous ces gens, j’ai con­nu au moins un vrai poète. Il a fal­lu du temps avant qu’il me per­me­tte de lire ses poèmes qu’il gar­dait scel­lés dans une pla­que­tte toute fripée et comme rongée par une fièvre jalouse : son unique bien, sa pro­priété, son domaine. Il n’a jamais voulu les pub­li­er : il les a emportés dans sa tombe. Le Poète Incon­nu.

C’est pour cette rai­son qu’à l’âge de cinquante-trois ans, j’ai sen­ti l’ur­gence de me rap­pel­er ce monde et ces gens. La pein­ture en était venue à s’éloign­er de moi, je n’en avais plus le désir, j’é­tais fatigué et déçu : je ne me ferais jamais piéger en faisant le déco­ra­teur de maisons de luxe. Autant laiss­er tomber. C’est ain­si que je me suis mis à pian­ot­er sur une machine à écrire et que sont arrivés, très vite, trois ouvrages, trois écrits : STABAT MATER, LA PASSION SELON SAINT JEAN et LES VÊPRES DE LA SAINTE VIERGE. Dans ces trois pre­miers textes, l’ac­tion se déroule dans des lieux divers et dans des temps var­iés. Dans mon qua­trième texte : LUSTRINI1, qui a été plus laborieux que les trois pre­miers, le cadre diégé­tique est plus rigoureux. Le temps de réal­ité et le temps du théâtre coïn­ci­dent par­faite­ment, le lieu est unique : les trois unités du théâtre clas­sique sont respec­tées.

Ces qua­tre textes ont tous été portés à la scène, tou­jours par le même met­teur en scène, Chérif : la dernière fois, en novem­bre-décem­bre 1997, au théâtre Valle de Rome, les qua­tre se jouèrent à la suite.

La langue que j’u­tilise dans mes textes théâ­traux est la langue que j’ai con­nue, que j’ai enten­due, que j’ai même dû appren­dre pour être accep­té dans cette com­mu­nauté exclu­sive. ( Grands dieux ! Il n’y a pas que dans les milieux de la haute qu’il est dif­fi­cile de pénétr­er.

  1. C’est le nom du per­son­nage prin­ci­pal de la pièce, en français, cela veut dire « pail­lettes ». N.D.T ↩︎
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