Les préoccupations des jeunes marionnettistes

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Les préoccupations des jeunes marionnettistes

Le 1 Nov 2000
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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L’ART DE LA MARIONNETTE occupe aujour­d’hui une place de plus en plus impor­tante au sein des arts de la scène et du spec­ta­cle vivant. Nous devons cette sit­u­a­tion, non seule­ment à l’intérêt de femmes et d’hommes de théâtre pour de cet art (en France, de Gas­ton Baty au début du vingtième siè­cle, à Ari­ane Mnouchkine, Antoine Vitez et Stéphane Braun­schweig ) mais aus­si à l’action pas­sion­née, tout au long de ces dernières décen­nies, de pra­ti­quantes et de pra­ti­quants con­va­in­cus, tant dans le domaine de la créa­tion ( Émi­lie Valan­tin, François Lazaro, Philippe Gen­ty, Roman Pas­ka … ) que de l’action syn­di­cale ( Alain Reco­ing ) et asso­cia­tive ( l’Union Inter­na­tionale de la Mar­i­on­nette – UNIMA – qui s’appelle en France l’Association des Théâtres de Mar­i­on­nettes et des Arts Asso­ciés – THEMAA) ou encore dans le domaine de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle (encour­agé en France par la créa­tion en 1981 de l’Institut Inter­na­tion­al de la Mar­i­on­nette à Charleville-Méz­ières présidé par Jacques Félix, et en 1987, de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Mar­i­on­nette – ESNAM – présidée par Mar­gare­ta Nicules­cu jusqu’en 1999 ). Les préoc­cu­pa­tions de la nou­velle généra­tion de jeunes créa­teurs pro­posant l’art de la mar­i­on­nette comme moyen d’expression artis­tique, s’inscrivent très claire­ment dans cette dynamique. À l’heure actuelle, ils s’attachent à dévelop­per leur action au sein d’une cul­ture théâ­trale de plus en plus curieuse et ouverte à la matière sin­gulière qu’ils amè­nent. Ils ne doivent pas per­dre de vue la spé­ci­ficité de leur art et l’originalité de la mar­i­on­nette, mar­quée par une his­toire et une tra­di­tion tou­jours vivantes tout en s’attachant à réfléchir à leur con­tri­bu­tion pos­si­ble aux nou­velles voies offertes par la muta­tion du spec­ta­cle vivant, et son ouver­ture à la danse, au cirque et aux nou­velles tech­nolo­gies ( vidéo, mul­ti­mé­dia, musique élec­tron­ique … ).

L’image de la mar­i­on­nette unique­ment réservée au théâtre pour enfants s’avère, de nos jours, tout à fait désuète. Tout en sachant garder son activ­ité dans des formes pop­u­laires tra­di­tion­nelles et dans le domaine du jeune pub­lic, l’art de la mar­i­on­nette a accédé à une cul­ture théâ­trale con­sid­érée ( à tort ? ) comme plus sérieuse ; il désire s’intégrer au théâtre d’acteur tout en l’interrogeant. Aujourd’hui la mar­i­on­nette échappe à la préoc­cu­pa­tion exclu­sive du mar­i­on­net­tiste. Cer­tains met­teurs en scène de théâtre nour­ris­sent leur art de la scène en mêlant la mar­i­on­nette à leur lan­gage théâ­tral. En Alle­magne, trois jeunes met­teurs en scène issus du départe­ment ori­en­té sur l’étude et l’apprentissage de la mise en scène de l’École Supérieure d’Art Dra­ma­tique Ernst Busch de Berlin, illus­trent par­faite­ment ce pro­pos. Leur for­ma­tion, reposant sur une forte tra­di­tion théâ­trale, dans la lignée de Stanislavs­ki et surtout de l’après Brecht, les ori­en­tent vers une réflex­ion axée a pri­ori sur une direc­tion et une mise de la scène et du spec­ta­cle vivant. Nous devons en jeu de l’acteur. Pour­tant, leurs récentes créa­tions dévoilent des formes où acteurs et mar­i­on­nettes par­ticipent à la mise en scène. Qu’il s’agisse de LA TEMPÊTE de Shake­speare créée en juin dernier par Markus Joss, FAUST en 13 tableaux par Clau­dia Bauer, ou encore LA MAISON DES MORTS de Minyana mon­té par Jark Patar­ki en 1999, les réflex­ions dra­maturgiques, menées par ces jeunes met­teurs en scène, ont abouti à une réso­lu­tion scénique, où la mar­i­on­nette, en jeu avec le comé­di­en, per­met une lec­ture orig­i­nale de l’œuvre abor­dée. Le fait que de jeunes com­pag­nies de mar­i­on­nettes ail­lent jusqu’à s’emparer de textes d’auteurs con­tem­po­rains, jusqu’ici tou­jours envis­agés pour une inter­pré­ta­tion d’acteurs, sem­ble là aus­si très sig­ni­fi­catif de cette inté­gra­tion de la mar­i­on­nette au théâtre. La pre­mière créa­tion de la toute jeune com­pag­nie Là Où Théâtre inti­t­ulé PETITS CHAOS s’inscrit tout à fait dans cette démarche. En 1999, le Directeur du Théâtre de Folle Pen­sée, Roland Fichet, intè­gre deux mem­bres de cette com­pag­nie dans son pro­jet NAISSANCES / LE CHAOS DU NOUVEAU en tant que con­cep­teurs de forme, c’est-à-dire met­teurs en scène, inter­prètes, et mar­i­on­net­tistes. Ce pro­jet repose sur l’écriture, par des auteurs con­tem­po­rains du monde entier, de textes courts (20 min­utes) sur le thème NAISSANCES / CE QUI NAÎT, CE QUI MEURT. Le Là Où Théâtre réalise dans ce cadre cinq petites formes spec­tac­u­laires à par­tir de cinq textes pour lesquels un traite­ment mar­i­on­net­tique sem­blait s’imposer. Il s’agit de LA NUIT CETTE FEMME ET MOI d’après LE FAISEUR D’HISTOIRES de Kos­si Efoui (Togo), LÀ D’OÙ JE VIENS de Gille Aufray (France), APRÈS LE DÉLUGE de Lothar Trolle (Alle­magne), PETITS CHAOS ain­si que LES PIEDS DANS LE RUISSEAU, de Roland Fichet (France). Pour l’équipe du Là Où, tra­vailler sur des textes con­tem­po­rains sig­ni­fie être en con­tact avec des auteurs vivants, et échang­er un dia­logue tout en par­lant cha­cun un lan­gage qui leur soit pro­pre. La mar­i­on­nette sem­ble ain­si pou­voir se met­tre, avec per­ti­nence et intérêt, au ser­vice de l’écriture con­tem­po­raine. À tel point, que ce principe en vient à s’inverser et amène des auteurs con­tem­po­rains à se met­tre, à leur tour, au ser­vice de la créa­tion pour mar­i­on­nettes. Les ren­con­tres auteurs — com­pag­nies de mar­i­on­nettes mis­es en place à la Char­treuse de Vil­leneuve-lez-Avi­gnon depuis 1998 témoignent tout à fait de cette ten­dance : les pre­mières ébauch­es de créa­tions issues de ces ren­con­tres ont pu être aperçues au dernier Fes­ti­val Mon­di­al de la Mar­i­on­nette de Charleville-Méz­ières, au tra­vers des présen­ta­tions de la com­pag­nie du Cirkub’u et du Theâtre Exobus. Cette préoc­cu­pa­tion néces­saire de l’écriture, en amont de la créa­tion pour mar­i­on­nette, se retrou­ve notam­ment dans d’autres travaux récents, où de jeunes artistes oscil­lent entre le statut d’auteur et celui de mar­i­on­net­tiste, ce va-et-vient con­stant entre la mar­i­on­nette et l’écriture per­me­t­tant un ajuste­ment idéal du texte. ERRONS PETITS PAS, écrit et inter­prété en juin 1999 par Gabriel Her­mand Pric­quet sous le par­rainage de l’auteur et met­teur en scène Roland Fichet dans le cadre des travaux de fins d’études de l’ESNAM est un exem­ple représen­tatif de cette démarche. Démarche que l’on retrou­ve avec BOB LE HÉROS pro­posé par la Com­pag­nie Oz qui parvient avec cette créa­tion, non seule­ment à définir une écri­t­ure per­ti­nente, inscrite dans des préoc­cu­pa­tions con­tem­po­raines, mais aus­si à redonner à une forme tra­di­tion­nelle de la mar­i­on­nette (le rouleau de foire), une effi­cac­ité tout à fait mod­erne. Cette inscrip­tion de la mar­i­on­nette dans la moder­nité, plusieurs jeunes com­pag­nies la con­fir­ment en met­tant la mar­i­on­nette au con­tact des autres arts et des nou­velles tech­nolo­gies. La mar­i­on­nette se trou­ve, par essence, à la fron­tière de dif­férents univers artis­tiques. Mêlant pra­tique­ment la réal­i­sa­tion plas­tique à une réflex­ion théâ­trale, elle incite for­cé­ment à la ren­con­tre d’artistes, riche de la diver­sité de leurs moyens d’expression. Ces artistes provi­en­nent du théâtre et des arts plas­tiques bien sûr, mais aus­si de la danse, du mime, du cirque, de l’art vidéo, du monde de l’informatique. Avec SPLENDID’S, adap­ta­tion du texte de Jean Genet, la jeune com­pag­nie grenobloise DACM a choisi de con­fron­ter man­nequins et acteurs masqués. Ce tra­vail a pour but de dévelop­per de manière rad­i­cale les rela­tions physiques entre l’humain et le man­nequin, et n’a de cesse que de met­tre en avant l’échange entre le danseur désireux d’être mar­i­on­net­tisé et la mar­i­on­nette cher­chant à pren­dre vie. Avec le danseur, les mar­i­on­net­tistes à l’origine de la créa­tion de ce groupe pensent avoir trou­vé le parte­naire idéal. Le danseur sem­ble con­stam­ment chercher à échap­per à son cen­tre de grav­ité ; la mar­i­on­nette, pour se rap­procher d’une gestuelle humaine cherche à se con­stru­ire son pro­pre cen­tre de grav­ité : c’est la con­fronta­tion de l’un en quête d’un équili­bre imag­i­naire et de l’autre jouant à le per­dre que la mise en scène de ce spec­ta­cle cherche à dévelop­per. On assiste ain­si à l’élaboration d’un théâtre de manne- quins qui tend vers la choré­gra­phie, où les deux corps, le corps dansant et celui de la mar­i­on­nette, se retrou­vent tous les deux délivrés de la ten­ta­tion de la psy­cholo­gie et se tour­nent vers la fig­ure. À Berlin, le Tram The­ater est né de la ren­con­tre en décem­bre 1999 de jeunes artistes d’horizons artis­tiques var­iés (comé­di­ens, mar­i­on­net­tistes, sculp­teurs et vidéastes) désireux d’unir leur imag­i­naire et leur savoir faire. S’inspirant de la trame du PLUME D’ANGE du chanteur Claude Nougaro, le tra­vail de répéti­tion a abouti à un spec­ta­cle visuel reposant essen­tielle­ment sur une dra­maturgie de l’image. Cette pre­mière créa­tion s’est appliquée à don­ner corps, par le biais de la mar­i­on­nette et d’un dis­posi­tif de pro­jec­tions, aux images cachées dans la matière textuelle. Car la mar­i­on­nette per­met ce pas­sage à une nar­ra­tion non plus seule­ment ver­bale mais presque exclu­sive­ment visuelle. Le traite­ment de l’image par le biais de la pro­jec­tion vient ren­forcer ce jeu sur la per­cep­tion et le pas­sage de la réal­ité au mer­veilleux tout en con­tribuant à la con­struc­tion de l’espace de jeu.

SPLENDID’S, mise en scène Étienne Bideau-Rey
et Gisèle Vienne, 2000. Photo Mathilde Delahaye.
SPLENDID’S, mise en scène Étienne Bideau-Rey et Gisèle Vienne, 2000. Pho­to Mathilde Dela­haye.

En inté­grant la mar­i­on­nette à des formes sin­gulières et orig­i­nales, les jeunes artistes de ces com­pag­nies impliquées dans la créa­tion pour mar­i­on­nettes jouent avec les pos­si­bles et inter­ro­gent les lim­ites de cet art. Si cer­tains s’orientent vers des voies nou­velles, d’autres con­tin­u­ent tou­jours à explor­er des formes plus tra­di­tion­nelles en ten­tant de les ren­dre per­ti­nentes aujourd’hui sans en per­dre la force orig­inelle. Qu’il s’agisse du PUNCH IS NOT DEAD ou des Mar­i­one­tas Del Matadero et ses éter­nelles et hila­rantes NOCES DE DON CRISTOBAL, ces jeunes mar­i­on­net­tistes ten­tent avec bien d’autres, de suiv­re et de remet­tre au goût du jour une tra­di­tion sécu­laire issue des mon­treurs de foire et forte­ment ancrée dans le théâtre pop­u­laire : celle de la mar­i­on­nette à gaine, espace de lib­erté par excel­lence.

Rich­es d’une tra­di­tion mag­nifique, ces jeunes créa­teurs ne doivent pas per­dre de vue la spé­ci­ficité et la force de leur art, pour men­er une action artis­tique tou­jours plus à l’écoute des évo­lu­tions cul­turelles du moment, et par­ticiper avec leur moyen d’expression pro­pre, au théâtre, à l’art vivant de demain.

Mer­ci à Giselle Vienne et Renaud Herbin pour leur col­lab­o­ra­tion.

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Cyril Bourgois
Cyril Bourgois est diplômé de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Marionnettes à Charleville-Mézières....Plus d'info
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