Pour un centre de décontamination théâtrale

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Entretien avec Éric Lacascade

Le 10 Oct 2003
LA MOUETTE d’Anton Tchekhov, mise en scène d’Éric Lacascade. Photo Sylvain Guichard
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LA MOUETTE d’Anton Tchekhov, mise en scène d’Éric Lacascade. Photo Sylvain Guichard
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Article publié pour le numéro
Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
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Éric Lacas­cade est directeur du Cen­tre Dra­ma­tique Nation­al de Caen, Basse-Nor­mandie, Comédie de Caen. Depuis plusieurs années, il met en scène Tchekhov ; après un suc­cès pub­lic en 2002, Platonov est de nou­veau pro­gram­mé dans la cour d’honneur du Palais des Papes en juil­let 2003.

SOPHIE LUCET : La choral­ité est depuis tou­jours au cen­tre de ton tra­vail théâ­tral. On la retrou­ve encore très forte­ment inscrite dans tes récentes mis­es en scène de Tchekhov. Com­ment s’est-elle imposée à toi ?

Éric Lacas­cade : La choral­ité n’est pas née de façon volon­tariste mais elle revient chaque fois qu’on se met en répéti­tion comme quelque chose de naturel et d’organique. Il me sem­ble que ce type de tra­vail est apparu dans la mesure où nous avons d’abord tra­vail­lé sans texte et sur la base d’improvisations pour con­stituer le vocab­u­laire du groupe. J’ai tou­jours pen­sé que le théâtre était affaire de com­mu­nauté ; que l’absence d’appropriation d’un rôle favori­sait l’écoute col­lec­tive ; mais je par­le de groupe ou d’équipe plutôt
que de chœur.

S. L. : Cette ter­mi­nolo­gie te per­met- elle d’éviter la référence à la tragédie antique ?

É. L. : Je n’ai pas de rela­tion directe avec le chœur antique. Danse, mou­ve­ment, chœur : ces mots veu­lent tout et rien dire au moment d’un spec­ta­cle ; dès qu’il y a plus de trois per­son­nes sur le plateau, il y a choral­ité. Je revendique donc l’étymologie du mot plus que son sens dans le con­texte de la tragédie antique. Je trou­ve d’ailleurs que la fonc­tion du chœur grec est sou­vent mièvre : respect du dieu, ado­ra­tion, con­cil­i­a­tion ; écoute du peu­ple, accep­ta­tion du joug ; mise en valeur du héros, dis­pari­tion du corps au prof­it des idées… ces ver­sants ne m’intéressent pas. Je donne du groupe ma déf­i­ni­tion : le chœur mod­erne est por­teur d’une vio­lence nou­velle ; désor­mais con­scient de sa force, il préfère la reven­di­ca­tion à la con­cil­i­a­tion ; n’assiste pas aux événe­ments mais les déter­mine. C’est dans ce sens que j’oriente le tra­vail dès le moment des répéti­tions.

S. L. : Le chœur est-il la trace scénique de ta méth­ode de tra­vail ?

É. L. : Ce sont des groupes qui m’ont amené au théâtre, pas des indi­vidus. Le Liv­ing The­atre, le Grand Mag­ic Cir­cus, le Théâtre du Soleil. Ce que le pub­lic recon­naît sur le plateau, dans mes mis­es en scène de Tchekhov, c’est la force de la tribu depuis le moment des répéti­tions ; mais aus­si la présence sin­gulière des êtres qui con­stituent ce groupe. Les qual­i­fi­cat­ifs sont mul­ti­ples mais ce que voient les spec­ta­teurs, ce sont des acteurs ten­dant vers le même but. Quand j’évoque ce mou­ve­ment d’ensemble avec les comé­di­ens, je leur demande de vis­er par-delà la cible et tous me com­pren­nent immé­di­ate­ment. Cha­cun se recon­naît en cha­cun, le pub­lic dans les acteurs et avant lui le met­teur en scène dans les acteurs qui se recon­nais­sent en lui.

Notre voix com­mune est la con­séquence de cette juste mise en rela­tion des indi­vid­u­al­ités. Notre col­lec­tiv­ité fait appa­raître notre sin­gu­lar­ité.

S. L. : Si je te résumais, je dirais que pour être créa­teur, l’acteur doit être con­scient de son appar­te­nance au groupe ?

É. L. : Con­traire­ment à l’idée reçue, la créa­tiv­ité de l’acteur ne se développe pas indi­vidu­elle­ment mais au sein d’une com­mu­nauté à l’épreuve de sa créa­tiv­ité. Si l’on est seul en scène, c’est qu’on a fait le choix du spec­ta­teur comme parte­naire. On n’est donc jamais séparé des autres sur un plateau. La philoso­phie hin­douiste dit que toutes les forces sub­tiles pro­duites par toutes les pen­sées et tous les actes qui ont existé dans le monde sont empris­on­nées dans un grand réser­voir où les hommes iraient puis­er en fonc­tion des néces­sités de la vie. Je crois à cette métaphore pour les acteurs. Jouer c’est tir­er de la grande flaque col­lec­tive l’eau des souf­frances et des désirs qu’il fau­dra étanch­er dans l’instant et revivre devant d’autres. À cet endroit pré­cis, dans cet entre­pôt de la con­science col­lec­tive, je sens le point de con­ver­gence entre le théâtre et le mythe. Mais pour que l’acteur ose être impudique et sincère il lui faut des yeux atten­tifs et aimants. C’est le rôle du met­teur en scène qui doit cimenter le groupe et créer les con­di­tions de l’écoute, per­me­t­tre la cir­cu­la­tion des mots. Jamais je ne tra­vaille con­tre les acteurs, jamais je ne les mets en dif­fi­culté pour obtenir une image nar­cis­sique de ma force. Cette bru­tal­ité est pseu­do créa­tive. Je ne cherche pas à met­tre l’acteur en sit­u­a­tion de dan­ger pour que sa souf­france sem­ble une com­préhen­sion fine de la psy­cholo­gie humaine, je cherche l’harmonie : ce que j’ai bien du mal à obtenir dans la vie, je le cherche dans le théâtre. La beauté et la puis­sance. Pas le pou­voir. Le pou­voir est lieu vide. Mort.

S. L. : À l’origine, le mot art ren­voie à la notion d’harmonie ; l’art, c’est aus­si l’ordre. Est-ce que ton théâtre est une quête d’ordre plutôt que de forme comme on l’a sou­vent dit à ton sujet ?

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Sophie Lucet
Sophie Lucet est maître de conférences en Études Théâtrales à l’université de Caen. En avril...Plus d'info
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