Le jeu des dieux

Le jeu des dieux

(traduit de l’italien par Bernadette Morand)

Le 28 Avr 1981

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A par­tir de l’Odyssée, chef d’œu­vre incom­pa­ra­ble de la lit­téra­ture d’imag­i­na­tion occi­den­tale, et de 2.763 romans et ban­des dess­inées de sci­ence-fic­tion, le théâtre de l’Elfe (Milan) racon­te les incroy­ables aven­tures d’E­lio. cri­tique théâ­tral prédis­posé au
som­meil et au rêve.

Milan est l’une des cap­i­tales d’Eu­rope. En Ital­ie, c’est à Rome que se passent les événe­ments poli­tiques, que l’on fait les films, la télévi­sion, et les potins, … qui font penser aux Vitel/oni de Fed­eri­co Felli­ni. A Milan, avec un œil sur la crise économique qui se déchaîne, bat le cœur de l’in­dus­trie, de l’ac­tiv­ité com­mer­ciale ; la ville a des con­tacts avec tout le monde : les gros trusts de l’édi­tion y ont leur siège, les idées de la cul­ture et de la mode y nais­sent. Presque tout, à Milan, est, ou voudrait être, rationnel : on y marche vite, chaque jour on y dévore, out­re des mil­liers d’ex­cel­lents sand­wich­es, des cen­taines de con­grès, d’ex­po­si­tions, de pre­mières ciné­matographiques, des cours­es, des grèves, des séances d’analyse et des his­toires d’amour. Le gris y domine, sur les murs, dans les rues, pour­tant les trans­ports en com­mun sont oranges. Même le métro·est col­oré.
Les théâtres de Milan sont comme les auto­bus : rapi­des, indis­pens­ables, atten­dus et util­isés, mal­traités et aimés, ils don­nent la mesure de la ten­sion de la ville, de la soif de cul­ture et de diver­tisse­ment de ses habi­tants.
Au cœur de ce cli­mat, il y a les jeunes, qui, depuis 1968, représen­tent l’épine- la plus pointue dans le flanc.du pou­voir local : à l’époque de la con­tes­ta­tion ils se sont opposés à une insti­tu­tion obtuse ; dans les dernières années, ils ont cher­ché le dia­logue avec des admin­is­tra­teurs réformistes et avec les secteurs act­ifs de la ville.
Pour le théâtre, cette poussée de la base s’i­den­ti­fie à une exi­gence de mat­u­ra­tion des choix idéologiques et de l’en­gage­ment poli­tique dans une expéri­ence com­mune, artis­tique et humaine. La demande de cul­ture n’est plus éli­taire, elle s’élar­git à la périphérie : les étu­di­ants eux-mêmes s’in­tè­grent à ce mou­ve­ment, qui a eu son point cul­mi­nant en 1977, des jeunes, des mar­gin­aux, des pro­lé­taires qui, d’une cer­taine manière, veu­lent se réap­pro­prier la ville et sa cul­ture pour les trans­former et non pour s’y inté­gr­er.
Les franges les plus extrémistes de ce mou­ve­ment s’iso­lent dans une ambiguïté stérile vis-à-vis de notre ter­ror­isme nation­al, mais surtout elles se don­nent des airs de par­ti­sans du “reflux”: théorie toute bour­geoise du repliement sur soi dans laque­lle les décou­vertes per­son­nelles sont opposées à un engage­ment pub­lic de plus en plus déce­vant. Il y a, en revanche, chez les jeunes, l’a­ban­don du dog­ma­tisme et du manichéisme dans la manière de regarder la réal­ité ; comme instru­ments d’analyse, ils redé­cou­vrent les écrivains de la beat gen­er­a­tion, Her­mann Hesse, Gertrude Stein, Vir­ginia Woolf et Simone de Beau­voir, la lit­téra­ture de la Mit­teleu­ropa, taxée jusqu’à ces dernières années de déca­dence ; on en arrive à Niet­zsche, et, à l’autre pôle, à la sci­ence-fic­tion, aux ban­des dess­inées, aux romans policiers.
On absorbe tout autant le ciné­ma améri­cain que la télévi­sion ; on prend les modes au vol : la séduc­tion, le post-mod­erne… Il ne s’ag­it pas d’é­va­sion, mais d’in­térêts qui peu­vent très bien s’as­soci­er à Marx et à ses exégètes.
L’in­térêt pour les prob­lèmes con­crets, réels, quo­ti­di­ens, non pas induits mais vécus comme expéri­ence asso­cia­tive, est le ter­rain sur lequel nais­sent — et par­fois, en rai­son de leur spon­tanéité, meurent — quelques-unes des expéri­ences théâ­trales sigr,ificatives de la ville.
Le groupe le plus représen­tatif de ce par­cours, le plus atten­tif aux humeurs des jeunes, non pas pour les suiv­re mais pour les stim­uler, est celui de l’Elfe, né en 1972 de la ren­con­tre de quelques élèves de l’é­cole du Pic­co­lo Teatro avec des jeunes poli­tique­ment engagés et d’autres s’é­tant dirigés vers une spé­cial­i­sa­tion théâ­trale autonome. Le nom donne par lui-même l’indi­ca­tion de la volon­té du groupe d’être présent dans cette cul­ture juvénile, qui marie, hors de tout éti­quet­tage stu­pide, Joan Ronald, Rueul Tolkien et Bertolt Brecht, la fable et l’en­gage­ment politi­co-social.

L’o­rig­ine des fon­da­teurs du groupe indique aus­si la con­science de la néces­sité d’ac­quérir rapi­de­ment un pro­fes­sion­nal­isme, qui puisse garan­tir en dehors du théâtre la légitim­ité de ce nou­veau mode de le com­pren­dre et de le faire. Le con­tact avec le pub­lic, la recherche d’une homogénéité qui ne soit pas bâtarde sont les objec­tifs pre­miers de sa poli­tique cul­turelle.
Pen­dant les deux pre­mières années, le groupe de !‘Elfe s’est ori­en­té dans ce sens et il a mon­té Zumbi « bal­lade de la vie et de la mort des gens de Pa/mares », de Boal, qui décrivait la révolte des esclaves ango­lais au 1?8 siè­cle, puis le Woyzeck de Georg Büch­n­er, où est mise en lumière la con­di­tion mar­ginale du sous-pro­lé­tari­at.
Durant ces années, qui ont amené le groupe à se trans­former en coopéra­tive, en 1974, a dom­iné la thé­ma­tique — plus tard épuisée — de la décen­tral­i­sa­tion, non seule­ment à l’échelle de la ville, mais de tout le pays. Les jeunes de l’Elfe se sont plongés avec ent­hou­si­asme dans cette expéri­ence, tou­jours à par­tir du mot d’or­dre de l’en­gage­ment poli­tique, mais en mûris­sant cette expéri­ence théâ­trale qui sera par la suite l’élé­ment dom­i­nant de leur style. Style qui ne se con­fond pas avec une banale esthé­tique de décen­tral­i­sa­tion mais qui se développe dans la con­cep­tion théorique et l’ap­pli­ca­tion pra­tique d’un théâtre absol­u­ment neuf : apporter le théâtre dans des lieux où il n’é­tait jamais par­venu, per­me­t­tre au groupe de !‘Elfe d’ex­péri­menter un espace scénique non tra­di­tion­nel, où le rap­port acteurs-pub­lic est com­plète­ment ren­ver­sé.
Le groupe a mon­té le Bertol­do a corte (Bertol­do à la cour) de Mas­si­mo Dur­si, qui a eu de l’im­por­tance, en dehors du con­tenu — l’his­toire d’un paysan
«saison­nier » — parce qu’il per­met de com­mencer à définir la recherche fbrmelle de l’Elfe, engagée dans une direc­tion comique qui part des mod­èles de la Com­me­dia del­l’Arte.
L’ex­péri­ence de cette activ­ité décen­tral­isée per­met à la coopéra­tive, en 1975, de béné­fici­er du stim­u­lant apporté en Ital­ie par Ari­ane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil, qui avaient don­né, cinq ans aupar­a­vant, à Milan, la pre­mière de 1789 : scènes de la révo­lu­tion française. La Coopéra­tive de l’Elfe a réal­isé la ver­sion ital­i­enne du spec­ta­cle et fait sien le style du met­teur en scène français.
L’in­flu­ence de ce spec­ta­cle français sur le groupe a été moins poli­tique ethis­torique que théâ­trale. L’ori­en­ta­tion vers un théâtre sur la place débouche, ici, sur la révéla­tion d’un usage révo­lu­tion­naire de ce lieu pris comme domaine de la scène et de la parole.

Il gio­co degli del (Le jeu des dieux) de Fer­di­nan­do Bruni et Gabriele Sal­va­tores par le théâtre de l’Elfo
avec : Corin­na Agus­toni, Fer­di­nan­do Bruni, Igor Castil­lo, Cristi­na Grip­pa, Elio De Cap­i­tani, Ida Marin­nel­li, Gabriele Sal­va­tores

Mise en scène : Gabriele Sat­va­tores

Cos­tumes : Fer­di­nan­do Bruni

Musiques : Clau­dio Ses­sa

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