Le père, d’August Strindberg

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Le père, d’August Strindberg

traduit de l’italien par Emmanuel Riccardi

Le 27 Avr 1981
Article publié pour le numéro
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Pho­to Pietro Priv­it­era

Strind­berg, dans Le père, prend sex­is­te­ment par­ti de façon dés­espérée et sincère. Mais il est pos­si­ble aus­si de don­ner une ver­sion de la pièce, si pas fémin­iste, du moins fémi­nine. C’est ce qu’a ten­té Mina Mez­zadri, met­teur en scène du théâtre di Por­ta Romana (Milan) en inter­pré­tant le texte de façon à isol­er le per­son­nage rigide et frag­ile du père, face à un monde féminin com­pos­ite mais sol­idaire.

On ne peut affron­ter le théâtre d’Au­gust Strind­berg avec un détache­ment froid, comme si on s’ap­prochait d’un quel­conque auteur. Ses drames sont une matière incan­des­cente, un mag­ma bouil­lant, dans lesquels, qu’on le veuille ou non, il faut plonger jusqu’au fond, corps et âme, cerveau et nerfs à vif.
A plus forte rai­son pour le texte le plus ter­ri­ble qu’on ait jamais écrit sur les rela­tions entre les sex­es, la logique du pou­voir qui définit les liens famil­i­aux, la vio­lence cynique qui en est à la base ; une vio­lence telle­ment forte, qu’elle nous met mal à l’aise aujour­d’hui encore. Tout ceci, on le sait, n’est pas l’in­ven­tion d’un auteur à cheval entre les deux siè­cles et ne peut être figé dans une sorte d’Olympe en mar­bre où résideraient les auteurs clas­siques, mais devient notre pro­pre matière, notre vie quo­ti­di­enne, notre expéri­ence de chaque jour. Le regard hal­lu­ciné de Strind­berg clc­célère, con­dense et réu­nit des larges traits de couleur. Mais la lutte pour l’é­d­u­ca­tion de la fille, le doute de la pater­nité et le voy­age sans retour dans la folie ne sont que pré­textes à créer, à par­tir du por­trait d’un cou­ple qui se défait, une métaphore plus large et uni­verselle. Mina Mez­zadri, un des tal­ents les plus intéres­sants et les plus orig­in­aux du théâtre ital­ien, a trou­vé com­ment percer l’her­métisme du monde de Strind­berg et ses ver­tig­ineux délires cir­cu­la­toires.
Met­teur en scène froid et lucide, elle utilise sa lucid­ité pour affron­ter les démons de l’ir­ra­tionel, pour les révéler sans les déna­tur­er. Ses analy­ses des œuvres de Strind­berg sont tou­jours rigoureuse­ment appro­fondies, dis­séquées avec une pré­ci­sion toute chirur­gi­cale, bien qu’é­tant ani­mées, à l’in­térieur de ce con­texte ana­ly­tique, d’une ten­sion fébrile, presque vis­cérale. Comme dans sa précé­dente mise en scène d’une œuvre de Strind­berg, Le péli­can, on voit, au cen­tre du Père, un décor très réus­si, conçu par Enri­co Job.
Le pou­voir mâle est exprimé par un mur en aci­er, glacial et anguleux, un par­al­lélip­ipède mas­sif, qui, selon les exi­gences, peut s’ou­vrir en éven­tail se trans­for­mant ain­si en un escalier, l’escalier par lequel on accède au règne du Cap­i­taine. Tout autour s’ar­tic­ule une plate-forme ronde, par­cou­rue par un char­i­ot à roulettes, où se libère la fan­taisie de l’u­nivers féminin, une courbe, douce et fuyante. Dans cet espace fer­mé, définis­sant ain­si les oppo­si­tions entre deux mon­des de façon géométrique, qua­si didac­tique même, l’af­fron­te­ment entre le Cap­i­taine et sa femme se charge d’une inten­sité physique très cru­elle. Les rap­ports entre les par­ents et la fille devi­en­nent une quête vers une pos­ses­sion presque char­nelle, et le déclin de l’au­torité du Cap­i­taine s’ex­prime par son glisse­ment pro­gres­sif le long de l’escalier. Le Cap­i­taine, nu et désar­mé, rampe de façon ani­male, se con­tor­sionne comme une bête blessée, en une sorte de régres­sion vers un état infan­tile. Cette inter­pré­ta­tion frag­men­taire qui n’est pas dénuée d’une cer­taine exagéra­tion volon­taire, se joue dans une lumière claire mais crue. Mez­zadri sup­prime ain­si tout espoir, toute pos­si­bil­ité, même vague de sol­i­dar­ité.
En évi­tant à la fois l’ac­cen­tu­a­tion de l’ob­ses­sion machiste de Strind­berg et les ten­ta­tions insi­dieuses d’un ren­verse­ment pos­si­ble, d’une lec­ture fémin­iste, le met­teur en scène intro­duit sa pro­pre vision pes­simiste de la vie. La dis­tinc­tion entre tort et rai­son, bour­reau et vic­time ne peut plus exis­ter dans cette obscure jun­gle domes­tique.
On se bat de part et d’autre pour sur­vivre, et l’épi­logue ne peut être que la destruc­tion du plus faible. Mais l’aspect le plus sig­ni­fi­catif du spec­ta­cle appa­raît dans la mise en valeur de cet univers féminin loin­tain et inac­ces­si­ble que Strind­berg ébauche à peine, et qui acquiert ici des car­ac­tères pro­pres et une den­sité par­ti­c­ulière.
Col­oré par des rem­i­nis­cences archaïques et mys­térieuses, le spec­ta­cle est par­cou­ru de séquences empreintes d’onirisme et de magie domes­tique qui s’ex­pri­ment à tra­vers cette langue sué­doise, impéné­tra­ble et sug­ges­tive, que les femmes utilisent entre elles. Nous voici con­fron­tés à uhe extra­or­di­naire inven­tion poé­tique et théâ­trale, qui pro­jette sur le thème de la con­fronta­tion entre l’homme et la femme l’im­age d’une dif­férence pro­fonde et inquié­tante.

Il padre
(Le père)
d’Au­gust Strind­berg
par le théâtre di Por­ta Romana
Adap­ta­tion et mise en scène : Mina Mez­zadri
Décor et cos­tumes : Enri­co Job
Avec :
Vir­ginio Gaz­zo­lo, Delia Bar­toluc­ci, Car­la Chiarel­li, Aldo Engheben, Ermes Scaramel­li, Pinara Pavani­ni, Mau­r­izio Schmidt, Alessan­dra Musoni.
Musiques orig­i­nales
de Gian­car­lo Facchinett

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