Bernard Debroux : Thomas Ostermeier attache une grande importance à la notion de collectif et d’ensemble. Comment cela se vit-il au quotidien dans le théâtre et quelles sont les difficultés rencontrées ?
Jens Hillje : Le cœur d’un théâtre avec un ensemble, c’est le programme de la saison, car il s’agit de déter- miner quel metteur en scène fait quelle pièce avec quels acteurs fixes du théâtre, ainsi que le répertoire qui grandit lentement, s’étalant sur plusieurs saisons et changeant de temps en temps. À chaque saison, la Schaubühne engage quelques huit metteurs en scène invités pour travailler avec l’ensemble fixe. Le programme de la saison reflète les intentions artistiques et thématiques d’un théâtre et implicitement les intentions politiques d’un théâtre face à sa ville et à son public. Ce programme de saison est discuté, dans le meilleur des cas, par les metteurs en scène, les dramaturges, les décorateurs et les acteurs dans des réunions pour continuer à développer un profil esthétique de la maison, mais la question est également discutée sur scène lors de chaque mise en scène.
B. D. : Comment s’établit la relation entre les dramaturges et le metteur en scène ?
J. H. : Dans les théâtres allemands, il y a autant de formes de relations qu’il y a de dramaturges et de metteurs en scène. Cela va du simple accompagnement du metteur en scène invité à une mise en scène commune, en passant par une collaboration scientifique, littéraire, parfois aussi conceptuelle. Il peut aussi en naître la fonction d’un critique loyal de l’évolution artistique d’un metteur en scène sur plusieurs années. C’est justement dans les années 90 que les metteurs en scène ont à nouveau fait appel à des dramaturges de leurs générations.
B. D. : Quelle est la place des auteurs dans le théâtre ?
J. H. : À la Schaubühne, nous avons un auteur attitré, Marius von Mayenburg, qui écrit des pièces pour notre théâtre, qui accompagne comme dramaturge des metteurs en scène (notamment Ostermeier), mais qui traduit aussi Sarah Kane et Shakespeare pour nous. En automne, Thomas Ostermeier créera sa nouvelle pièce EL DORADO.
B. D. : Le service de la dramaturgie joue-t-il un rôle moteur dans la culture du débat qui est prôné par le théâtre ?
J. H. : Oui. La Schaubühne essaie d’entrer en communication avec son public en dehors des représentations du soir : depuis neuf ans, nous organisons tous les dimanches un débat public (à l’heure traditionnelle de la messe) sur des sujets politiques et esthétiques – de France, nous avions invité Bourdieu, Baudrillard et Todd, pour ne citer que quelques exemples. En plus, nous avons beaucoup de discussions avec le public, des ateliers pour des élèves et leurs professeurs ( c’est aussi un moyen pour fidéliser un nouveau et jeune public), et d’autres activités dans les foyers ; et nous avons une fois par an notre festival de théâtre contemporain. Le public allemand attend cette culture du débat de son théâtre.
B. D. : Y a‑t-il un travail spécifique réalisé entre les dramaturges et les acteurs ?
J. H. : Le dramaturge devrait accompagner les acteurs, aussi en dehors des répétitions, en leur prodiguant conseils et critiques. Et être quelqu’un qui pourrait défendre leurs intérêts et leurs désirs auprès de la direction du théâtre.
B. D. : Peut-on dire que la dramaturgie traverse l’ensemble de la vie du théâtre ?
J. H. : Oui. Si quelque chose ne va pas ou qu’un théâtre n’est pas assez percutant dans sa programmation, que ce soit du point de vue thématique ou artistique, dans le doute, c’est toujours la faute du dramaturge.