Entretien avec Christian Machiels
Après avoir participé en 1981 au spectacle LE MOINE de l’Ymagier Singulier, une mise en scène de Thierry Salmon, Christian Machiels travaille de 1984-1994 au bureau de production Indigo. Depuis 1994, il est le directeur du Théâtre de la Balsamine.
Alternatives Théâtrales : Pourrais-tu rapidement baliser les grandes lignes du projet du théâtre de la Balsamine ? Il s’agissait d’assurer un tremplin à de jeunes artistes, des artistes émergeants… Mais avec quel suivi et quelles limites ?
Christian Machiels : Il n’y a pas de suivi d’office. Ce n’est pas parce que nous avons présenté un projet d’une jeune compagnie que nous présenterons avec elle un 2e, 3e ou 4e projet. Ce que j’essaye de faire, c’est de présenter le projet dans les meilleures conditions et de faire en sorte surtout qu’un maximum de mes collègues belges, certainement, et étrangers voient le travail, en espérant que ce travail puisse aller dans d’autres lieux, que la suite puisse se dérouler ailleurs. J’aime que les artistes voyagent dans différents lieux ; cela n’empêche qu’ils puissent revenir, mais ils reviendront plus riches d’expériences, ils auront grandi et nous aussi. Les limites sont imposées par le fait qu’on vieillit… A un moment on a apporté un soutien à de jeunes compagnies, ces jeunes compagnies vieillissent en même temps que nous. Si les gens partent à un certain moment, ils reviennent quand même… Donc, cette politique de soutien à de jeunes compagnies se double d’un soutien à ceux qu’on avait aidés à découvrir et qui se rajoutent comme une 2e couche à cette volonté de découverte. Donc la Balsa a évolué en conjuguant un volet découverte à un volet fidélité.
Alternatives Théâtrales : Quand on regarde la programmation sur différentes saisons, on trouve des projets qui recherchent la confrontation de différentes disciplines artistiques mais aussi la confrontation avec le public, par exemple les projets comme la saison des 4 jeudis ou vendredis qui proposent des spectacles en cours d’élaboration et non encore achevés, ou encore des projets comme « Les Chantiers ». Est-ce que ça participe d’une volonté de changer les modes de production et de création du spectacle ou est-ce lié aux moyens budgétaires ?
Christian Machiels : C’est les deux. Je crois qu’il y a aujourd’hui un phénomène qui est propre à la Communauté française, c’est la confrontation au temps. Entre le moment où des gens ont une idée, un désir de réaliser un spectacle et le moment où on le retrouve sur le plateau, il peut se passer facilement entre deux et trois ans. Ce n’était pas le cas auparavant. On est, nous, obligés de prendre des décisions de plus en plus rapides avec les compagnies pour des projets qui auront lieu dans longtemps,parce qu’il faut attendre les avis des commissions, des co-producteurs, parce que la mise en marche de tout l’engrenage fait que les choses mettent un temps fou entre le désir de spectacle et sa réalisation. Cela ne donne pas nécessairement de bons résultats sur le plan artistique : l’envie qu’on a à un moment donné ne peut pas être la même deux ans après — on a changé, le monde a changé… L’idée des 4 jeudis était de pouvoir dire : tu as un projet, viens la semaine prochaine, viens dans un mois ; il y a moyen de montrer aux gens ce quart d’heure, ces vingt minutes, cette demi-heure, comme une urgence. Les artistes prennent plus de risque, il y a un enjeu financier qui est moins grand, un enjeu sur la presse et sur le milieu théâtral qui est moins important. Les jeunes artistes osent ouvrir des portes qu’ils n’ouvriraient peut- être pas s’il s’agissait d’un spectacle fini. Il s’agissait plus simplement de dire : venez travailler. Aujourd’hui je le fais encore mais sans le montrer au public. Là, il y a toujours une confusion. Quand le public vient voir ce type de démarche, on a beau lui dire, attention, c’est une petite forme, c’est 20 minutes, ce n’est pas un aboutissement, ce public, et même les professionnels, le prend facilement pour argent comptant, et ça donne aussi une image d’un théâtre qui ne fait que ça. Maintenant je le fais de manière plus privée, ce n’est plus annoncé au public, ni à la presse, mais ça se passe encore.
Alternatives Théâtrales : Mais ce rapport-là, n’était-il pas porteur de quelque chose, dans cette idée de la formation du public ?
Christian Machiels : Si, mais au stade où on en était, après les « Moissons », après les 4 jeudis, il fallait réinventer quelque chose entre la petite forme, l’étape de travail et la confrontation au public. Ça n’a pas encore été fait.
Alternatives Théâtrales : Par rapport aux « Moissons », tu déclarais à la presse : On finissait par fabriquer de petits spectacles sur mesure et ça servait de pré-sélection pour la Commission d’aide aux projets théâtraux. Quelle évaluation faire aujourd’hui de ces multiples entreprises visant à faire connaître les artistes émergeants et à leur permettre de faire leurs armes ? On a l’impression que la Balsamine est une maison des créateurs, mais au-delà ?
Christian Machiels : Je pense que les artistes viennent ici avec une demande qui est souvent financière. J’ai souvent l’impression que toute leur énergie, tous leurs efforts se concentrent sur les moyens à trouver pour boucler leur budget. À côté de cela, tout en sachant qu’il faut de l’argent, j’essaye surtout d’offrir du temps et de l’espace, ce qui est aussi important que les moyens financiers, du moins quand on commence. C’est ce que j’appelle « Les Chantiers ». C’est dire à des gens qui sont en recherche, prenez la petite salle, venez pendant quinze jours, un mois travailler de 10 heures du matin à 18 heures, aux horaires de bureau, faites un travail de recherche ; à l’issue de celui-ci, on le montre ou on ne le montre pas, en tout ou en partie, cela reste ouvert. En même temps, eux, participent à la vie du théâtre, on mange ensemble à midi, il se développe aussi quelque chose qui est de l’ordre de la convivialité. C’est ce qui manque, des espaces où on peut travailler, expérimenter. C’est en étant sur un plateau, face à des comédiens, qu’on voit si son projet tient la route.
Alternatives Théâtrales : Quelles sont tes relations avec les autres lieux, ceux qui pratiquent une démarche similaire mais aussi les autres ?
Christian Machiels : Les relations sont bonnes avec les lieux qui pratiquent cette démarche-là. L’L, le Théâtre Océan Nord, le Théâtre de la Vie, les Tanneurs, le Varia, le Centre culturel Jacques Franck.
Alternatives Théâtrales : Y a‑t-il des passerelles, des collaborations ?
Christian Machiels : On se parle. Quand il y a des présentations de travaux de cet ordre, ils sont là. Ils viennent voir et moi aussi quand ils mènent cette démarche de leur côté. On fait aussi le point au cours de la saison des projets que l’on reçoit.
Alternatives Théâtrales : En dehors de Bruxelles, y a‑t-il par exemple des liens avec les centres culturels ?
Christian Machiels : C’est difficile. Il me semble y avoir un fossé entre une jeune création contemporaine et les préoccupations d’un centre culturel en Wallonie. Il y a aussi du côté des jeunes compagnies une méconnaissance de ce que c’est de tourner, de présenter ses spectacles ailleurs que dans un environnement connu.


