Olivier Py — Un voyage inouï

Olivier Py — Un voyage inouï

Le 29 Avr 2005
Thomas Matalou et Benoît Guibert dans LES VAINQUEURS d’Olivier Py. - Photo Alain Fonteray.
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Thomas Matalou et Benoît Guibert dans LES VAINQUEURS d’Olivier Py. - Photo Alain Fonteray.
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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
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OLIVIER PY n’est pas mod­erne mais son œuvre est éminem­ment con­tem­po­raine, comme en témoigne son dernier opus LES VAINQUEURS. En un pro­logue et trois pièces, LES ÉTOILES D’ARCADIE, LA MÉDITERRANÉE PERDUE et LA COURONNE D’OLIVIER, nous tra­ver­sons le bassin méditer­ranéen des orig­ines de ses mythes fon­da­teurs aux réal­ités du XXIe siè­cle. Une nou­velle épopée sur les traces d’un héros-poète à tra­vers lequel l’auteur s’expose sans masque pour un vibrant hom­mage au théâtre, con­sid­éré comme le dernier lieu pos­si­ble de la pen­sée agis­sante, un théâtre qui recrée le monde, qui dit l’humain dans ses con­tra­dic­tions les plus pro­fondes, jamais ras­sur­ant et sou­vent dérangeant, un théâtre de la durée, du temps qui est sus­pendu entre jour et nuit, un théâtre du verbe poé­tique qui s’assume, un théâtre arti­sanal et pur qui se fab­rique sous les yeux des spec­ta­teurs invités à ne plus être des con­som­ma­teurs effrénés mais des ama­teurs tal­entueux prêts à décou­vrir, à être sur­pris, agacés ou enchan­tés. C’est à un nou­veau voy­age inouï que nous sommes invités après ceux de LA SERVANTE en 1995, du VISAGE D’ORPHÉE en 1997 et de L’APOCALYPSE JOYEUSE en 2000, mais un voy­age sur­prenant pour qui con­naît l’œuvre d’Olivier Py.

« Après avoir passé vingt ans de ma vie à accepter la place de la Grâce dans mon geste lit­téraire, j’ai dédié trois ans à l’oublier. Ain­si on pour­rait dire que LES VAINQUEURS sont la ten­ta­tive dés­espérée d’être païen ». C’est ain­si que l’auteur présente son pro­jet qui pour­rait aus­si se résumer à une ten­ta­tive dés­espérée de vivre « poé­tique­ment », de faire en sorte que la poésie soit une « pos­si­bil­ité spir­ituelle » pour l’homme au même titre que la philoso­phie ou la reli­gion. Le héros qui nous guide dans cette aven­ture, dans cette recherche d’une manière de vivre sans Dieu, pren­dra trois iden­tités, une pour chaque fable, trois masques qui lui per­me­t­tront de tra­vers­er les univers de l’éthique, et donc du poli­tique, de l’esthétique et de la méta­physique. Prince exilé qui doit rétablir la démoc­ra­tie dans une Arcadie con­tem­po­raine qui a con­nu le com­mu­nisme, il devient pros­ti­tuée après l’échec de la révo­lu­tion pour ten­ter de pren­dre le pou­voir en util­isant son corps, avant de devenir fos­soyeur et d’engager le dernier com­bat, celui qui le mèn­era vers toutes les joies pos­si­bles, même celle « de mourir en lais­sant un poème ».

Toutes les armes du théâtre sont util­isées ici et nom­mées comme telles. Pas de faux-sem­blant, mais la vérité des masques et du jeu revendiquée et démon­tée pour dire que plus le théâtre est faux plus il est vrai, dans son iden­tité fon­da­men­tale. En mon­trant la con­ven­tion on la ren­force et on lui donne cette puis­sance unique qui per­met au théâtre d’être encore le lieu où la com­mu­nauté se regarde comme dans un miroir. Tous les per­son­nages sont des impos­teurs, des acteurs qui se revendiquent comme tels et qui nous tien­nent en haleine dans ce jeu par instants bar­bare et vio­lent, qui n’a peur ni de la beauté ni de l’obscénité. L’artifice est dit, l’artifice est mon­tré, les corps et les voix sont au ser­vice de la langue et des images qui atteignent par­fois un trop plein baroque qui ne fait pas peur à l’auteur-metteur en scène. Il se régale dans la folie de l’épopée, dans l’allégorie, dans l’aphorisme, mani­ant l’ironie et le bur­lesque, faisant explos­er le dis­cours creux des idéolo­gies poli­tiques, con­stru­isant un mon­u­ment de lan­gage poly­sémique, ne se refu­sant rien pour attein­dre son but : faire enten­dre un poème héroïque pour que jamais ne dis­paraisse « ce qui en l’humain fait l’humain ».

Olivi­er Py, en revendi­quant un théâtre total et absolu sans con­ces­sion aux modes, trou­ve par­fois des accents shake­speariens pour par­ler de la vio­lence du pou­voir, et sin­gulière­ment du pou­voir poli­tique cor­rompu et cor­rup­teur, pour faire venir les clowns entre deux moments trag­iques. On pense à Fass­binder lorsque s’établit un par­al­lèle bar­bare entre le traf­ic des corps, devenu si quo­ti­di­en dans cette par­tie de l’Europe récem­ment con­ver­tie à tous les libéral­ismes, et le traf­ic des idées. Et à Fed­eri­co Gar­cía Lor­ca lorsque la con­fu­sion des sex­es, exposée sans par­avent, nous dit tant sur l’amour et le désir… Jean Genet n’est peut-être pas loin quand la beauté du mal nous frappe au détour d’un corps con­traint, quand nous com­prenons que l’obscénité, la saleté et l’ordure sont des moteurs du vivant plus fort par­fois que la pureté. C’est à cette famille de poètes, à laque­lle on pour­rait associ­er Georg Büch­n­er, lorsqu’il écrit que la révo­lu­tion dévore ses enfants et que le réel peut tuer les espoirs et les rêves d’une jeunesse généreuse, que s’intègre LES VAINQUEURS, celle des poètes dra­ma­tiques qui cha­cun à leur façon ont trou­blé, dérangé, choqué, pas­sion­né, ent­hou­si­as­mé leurs con­tem­po­rains en prenant le risque de la sincérité absolue.

Frédéric Giroutru et Christophe Maltot dans LES VAINQUEURS
d’Olivier Py. - Photo Alain Fonteray.
Frédéric Giroutru et Christophe Mal­tot dans LES VAINQUEURS d’Olivier Py. — Pho­to Alain Fonter­ay.

Mais la maîtrise dont fait preuve Olivi­er Py n’est pas unique­ment dans le maniement de cette langue si par­ti­c­ulière, elle se man­i­feste aus­si dans l’utilisation scéno­graphique du plateau. Avec P. A. Weitz, il a trou­vé un véri­ta­ble artiste asso­cié. Archi­tecte de théâtre plus que scéno­graphe, véri­ta­ble pein­tre des vis­ages plus que maquilleur, plas­ti­cien des corps plus que créa­teur de cos­tumes, il trans­forme chaque mou­ve­ment de décor en une choré­gra­phie élé­gante même s’il n’utilise pour la con­struc­tion des décors que des matières brutes, bois ou fer. Il y a une mise en scène des élé­ments visuels qui ren­force l’univers des mots, qui pro­pose un cadre à l’imaginaire du spec­ta­teur, par­fois cela ressem­ble à une res­pi­ra­tion entre deux scènes, qui se ter­mine par un souf­fle venu du plateau comme rarement il est don­né d’en percevoir un… Entre noir et blanc très con­trastés, et quelques touch­es de couleurs fortes, se présen­tent des tableaux mou­vants offerts aux acteurs et, bien sûr, à l’imaginaire des spec­ta­teurs.

Vrai­ment, Olivi­er Py n’est pas mod­erne… Ses pas­sions pour l’épopée, pour les héros, pour les acteurs « héroïques », pour la beauté, même celle de la mort (et des rites funéraires qui ten­dent à dis­paraître dans une société qui nie la mort parce qu’elle se croit immortelle), pour la poésie, cette « putain de la lit­téra­ture », le prou­vent ample­ment. Mais la force de son impérieuse et joyeuse néces­sité d’écrire et de met­tre en scène nous offre des his­toires proches et famil­ières, venues ici d’une Méditer­ranée mater­nelle revendiquée comme berceau de notre cul­ture et comme creuset de notre présent, entre tragédie et comédie humaine, pour dire que le théâtre doit con­tin­uer à créer le monde.
« Vivre suf­fit » mais vivre dans « toutes les joies » pour que nous soyons tous vain­queurs…

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Olivier Py
P.A. Weitz
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Jean-François Perrier
Jean-François Perrier est agrégé d’histoire et comédien pour le théâtre et le cinéma. Il a...Plus d'info
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