Travesti et théâtre gay américain, de l’ultra-élitisme à l’ultra-populaire

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Travesti et théâtre gay américain, de l’ultra-élitisme à l’ultra-populaire

Ce texte fait suite à un entretien avec Frédéric Martel réalisé par Chantal Hurault

Le 21 Jan 2007
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 92 ) Le corps travesti
92
Le début de la révolution gay : Stonewall, 1969

LA PRATIQUE du trav­es­tisse­ment dans le théâtre aux États-Unis a suivi une évo­lu­tion qui peut être découpée en qua­tre étapes. Une pre­mière péri­ode se des­sine dans les années 50 – 60 autour des spec­ta­cles de trav­es­tis que l’on trou­ve dans les bars gays à Green­wich Vil­lage à New York, ou dans le quarti­er Cas­tro à San Fran­cis­co. Ces spec­ta­cles, d’un style pop­u­laire, low brow selon l’expression améri­caine, ont peu de valeur sur le plan artis­tique, mais ils accom­pa­g­nent la vie homo­sex­uelle d’avant Stonewall.

Stonewall mar­que le début de la révo­lu­tion gay aux États-Unis : en juin 1969, pour en finir avec les sévices qu’ils subis­saient, les con­som­ma­teurs du bar The Stonewall à Green­wich Vil­lage se sont opposés aux forces de l’ordre lors d’une inter­pel­la­tion. Les émeutes ont été idéal­isées depuis, on imag­ine des hordes de gays se révoltant à coups de pavés et de talons aigu­illes con­tre la police améri­caine. Mais il y a eu une réac­tion spon­tanée à laque­lle ont par­ticipé de nom­breux trav­es­tis et trans­sex­uels. On dit à ce pro­pos que la pre­mière à avoir jeté une pierre fut une flam­boy­ante trav­es­tie !

Cette vie noc­turne dans les bars et les cabarets reste présente dans la mémoire col­lec­tive des gays et dans celle des artistes qui ont joué un rôle par la suite. Même s’il s’agit d’un diver­tisse­ment un peu bas de gamme, il a mar­qué les esprits. Les bars qui offrent ce type de spec­ta­cles con­nais­sent une véri­ta­ble expan­sion au début des années 70, comme à Paris à par­tir de 1968 dans le quarti­er gay de la rue Sainte-Anne.

L’après-Stonewall : militantisme et marginalisation du travesti

La deux­ième étape naît après 1969, c’est l’après Stonewall, avec la créa­tion de troupes gays autour d’un théâtre poli­tique : s’il intè­gre encore fréquem­ment des trav­es­tis, il est por­teur d’un mes­sage engagé. Sophis­tiqué, high cul­ture, il accom­pa­gne la libéra­tion gay des années 1970, la ter­mi­nolo­gie « théâtre gay » appa­raît d’ailleurs à cette époque. On n’est plus dans les cabarets mais dans des théâtres, générale­ment d’Off-Off-Broadway. Les gays veu­lent rompre avec l’image de la folle, ils s’éloignent de la féminité pour sur-val­oris­er la mas­culin­ité, à tra­vers le culte du G.I., du mil­i­taire, du pom­pi­er. Rad­i­cal, d’extrême-gauche, dénonçant l’homophobie, ce théâtre mil­i­tant se pour­suit jusque vers 1982, date à laque­lle le sida com­mence à décimer cette com­mu­nauté. Mis à part de rares ouvrages spé­cial­isés, on con­naît assez mal ce théâtre poli­tique gay améri­cain des années 1969 à 1982, qui a pour­tant été par­ti­c­ulière­ment pro­duc­tif. Cela tient au fait qu’il a été très décen­tral­isé et que la plu­part de ses acteurs sont morts pré­co­ce­ment du sida.

Le sida a entraîné un nou­veau change­ment : les pièces con­tre l’homophobie et de lutte pour la défense des droits des gays se trans­for­ment en pièces de mobil­i­sa­tion qui lut­tent essen­tielle­ment con­tre le sida. Elles sont très cri­tiques à l’égard des respon­s­ables poli­tiques, que ce soit con­tre le prési­dent Rea­gan, le maire de New York et les autres acteurs qui refusent de faire de la préven­tion ou qui ne la finan­cent pas. La pièce clef de cette péri­ode est THE NORMAL HEART de Lar­ry Kramer – Lar­ry Kramer étant le fon­da­teur de l’association Gay Men’s Health Cri­sis en 1982, puis d’Act Up en 1987. Cette pièce décrit l’arrivée du sida dans la com­mu­nauté gay et la néces­sité de se bat­tre. Elle est para­doxale­ment assez datée, je pense qu’elle est telle­ment imbriquée dans le con­texte de l’époque qu’elle appa­raît finale­ment aujourd’hui quelque peu anachronique.

THE NORMAL HEART reste néan­moins représen­ta­tive d’une muta­tion sen­si­ble du théâtre gay. Que ce soit dans la pre­mière phase des spec­ta­cles de trav­es­tis dans les bars ou dans celle, plus poli­tique, des années 70, on a un courant opti­miste et plutôt fes­tif. En revanche, à par­tir de 1982, ce théâtre devient sérieux : on ne s’amuse plus, on ne se trav­es­tit plus, ou alors très mar­ginale­ment, parce qu’il y a urgence.

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Frédéric Martel
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Écrit par Chantal Hurault
Doc­teure en études théâ­trales, Chan­tal Hurault a pub­lié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser la lumière (Actes...Plus d'info
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