En y repensant…

Théâtre
Critique
Réflexion

En y repensant…

Le 28 Déc 2009
Jeanne Balibar, Corinne Garcia, Freddy Kunze, Ayelen Parolin, Olivier Perrier Jupiter et ses satellites dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théätre de l'Odéon Berthier, Paris. 2008. Photo Pascal Gely agence Bemand.
Jeanne Balibar, Corinne Garcia, Freddy Kunze, Ayelen Parolin, Olivier Perrier Jupiter et ses satellites dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théätre de l'Odéon Berthier, Paris. 2008. Photo Pascal Gely agence Bemand.

A

rticle réservé aux abonné.es
Jeanne Balibar, Corinne Garcia, Freddy Kunze, Ayelen Parolin, Olivier Perrier Jupiter et ses satellites dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théätre de l'Odéon Berthier, Paris. 2008. Photo Pascal Gely agence Bemand.
Jeanne Balibar, Corinne Garcia, Freddy Kunze, Ayelen Parolin, Olivier Perrier Jupiter et ses satellites dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, écrit et mis en scène par Jean-François Peyret, Théätre de l'Odéon Berthier, Paris. 2008. Photo Pascal Gely agence Bemand.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 102-103 - Côté Sciences
102 – 103

« ET QUI VERRAIT la nature telle qu’elle est ne ver­rait que le der­rière du théâtre…»

Fontenelle

C’était dans la salle de répéti­tion du TNS à Stras­bourg. J’avais été appelée « en con­sul­ta­tion » pour expli­quer le pas­sage du SIDEREUS NUNCIUS (Le Mes­sager des Étoiles) où Galilée racon­te com­ment il a observé, grâce à sa lunette, qua­tre astres que per­son­ne n’avait vus jusqu’alors, entourant Jupiter ; et com­ment de ce que la dis­po­si­tion de ces astres par rap­port à Jupiter vari­ait d’un jour (ou plutôt d’une nuit) à l’autre, il avait con­clu que ces astres n’étaient pas des étoiles situées dans la ligne de mire à l’arrière plan de Jupiter mais bien des satel­lites tour­nant autour de Jupiter, comme la lune autour de la terre. Preuve selon lui que tout ne tour­nait pas autour de la terre, comme le pré­tendaient les ten­ants du sys­tème géo­cen­trique. Jeanne, ma fille, m’avait enjoint de faire en sorte qu’elle-même et les autres comé­di­ens et danseuses sor­tent de là avec une idée pré­cise (et non pas « poé­tique ») du phénomène. Jean-François Peyret, sur un ton moins impérieux, m’avait à peu près tenu le même lan­gage. Bref, je devais forcer les comé­di­ens à se soumet­tre à la rigueur que l’on sup­pose (pas entière­ment à tort) à la con­nais­sance sci­en­tifique ; libre à eux d’en faire, ensuite, sur la scène, ce que bon leur sem­blerait dans leur inter­pré­ta­tion des indi­ca­tions scéniques.

Je fis de mon mieux – que pou­vais-je faire d’autre ? Mais je n’en menais pas large. Je sais trop bien que com­pren­dre est une longue illu­sion qui vous file entre les doigts, un tis­su qu’il faut sans cesse rac­com­mod­er ; sur le coup, on croit avoir com­pris, mais si on y revient un peu plus tard, on s’aperçoit qu’on a per­du le fil du raison­nement, que tout (ou presque) est à repren­dre.

Je n’avais pas réfléchi que cette fois-ci je m’adressais non pas à des étu­di­ants mais à des gens de théâtre, en train de mon­ter un spec­ta­cle… dont l’objectif n’était pas de con­stru­ire un savoir « solide » à force d’être remail­lé, mais bien plutôt de saisir l’éclair de la pre­mière com­préhen­sion, sans inten­tion d’y revenir, pour la trans­former, dans l’instant et dans l’urgence du tra­vail théâ­tral, en autre chose : un élé­ment de spec­ta­cle.

C’est ce que je com­pris (j’aurais dû y réfléchir plus tôt) lorsque, une fois mon expli­ca­tion du texte de Galilée ter­minée, je vis Olivi­er Per­ri­er, jusque là atten­tif, con­cen­tré et silen­cieux, bondir comme un dia­ble hors de sa boîte, se diriger vers les fond du plateau et s’emparer d’une espèce de buf­fet, ou d’armoire, dont on aurait ôté les portes, qui traî­nait là (résidu d’un spec­ta­cle précé­dent?). Revenant sur le devant de la scène, il nous présen­ta, à Jean-François, aux comé­di­ens éton­nés et à moi-même médusée, son idée de mise en scène : il serait Galilée racon­tant sa décou­verte ; cha­cune des nuits d’observation décrite dans le texte serait fig­urée par un aller et retour d’un bord à l’autre du plateau, du buf­fet poussé par lui ; Frédéric Kun­ze (fig­u­rant Jupiter) et les qua­tre comé­di­ennes (les satel­lites) seraient cachés dans le buf­fet dont on ne ver­rait que le dos depuis la salle ; à chaque pas­sage, chaque nuit, Frédéric sauterait du buf­fet comme on sautait autre­fois des auto­bus ouverts à l’arrière, entouré de ses « satel­lites », appa­rais­sant ain­si au pub­lic selon la dis­po­si­tion, vari­able d’une nuit à l’autre, que décrit Galilée dans le SIDEREUS NUNCIUS.

J’étais sidérée, si je peux me per­me­t­tre ce jeu de mots, par la per­ti­nence de la trans­po­si­tion scénique du texte de Galilée que venait d’inventer Olivi­er Per­ri­er. Car il s’agissait bien d’une trans­po­si­tion et nulle­ment d’une illus­tra­tion. Ce qui était présen­té ain­si aux spec­ta­teurs, ce n’était pas ce qu’avait vu Galilée : ce dernier s’était d’ailleurs lui-même chargé d’en don­ner une illus­tra­tion, en inter­calant dans le cours du texte du SIDEREUS NUNCIUS, des lignes fig­u­rant les dis­po­si­tions rel­a­tives de Jupiter (sché­ma­tisé par une petite boule) et de ses qua­tre satel­lites (désignés par des astérisques, comme l’étaient con­ven­tion­nelle­ment ce qu’on appelait encore les « étoiles », sans dis­tinguer les étoiles des planètes). Olivi­er Per­ri­er, lui, venait de traduire au moyen de corps bien réels (ceux des acteurs) non seule­ment les divers­es dis­tri­b­u­tions rel­a­tives de Jupiter et ses lunes observées par Galilée, mais égale­ment l’excitation men­tale de Galilée cher­chant à voir ces corps (tout aus­si réels, mais célestes) qui se dérobent à sa vue durant le jour et qui, la nuit, ne sont jamais là où il les attend, tou­jours dis­posés autrement – au point même qu’un soir l’un des satel­lites n’est pas au ren­dez-vous et manque à l’appel. Olivi­er Per­ri­er avait com­pris (sen­ti, perçu?) que ce qui s’était passé durant ces nuits mémorables de 1609 était un véri­ta­ble corps-à-corps engageant Galilée, corps doué de vision, de rai­son et de lan­gage, et les corps célestes inan­imés mus par des forces dont on n’avait pas encore d’interprétation.

Pour dire les choses autrement, Olivi­er Per­ri­er avait trans­for­mé un texte (celui de Galilée) en une par­tie de cache-cache. Par­tie de cache-cache his­torique d’où est sor­tie la sci­ence mod­erne – peut-on dire, avec un peu de grandil­o­quence et donc cum gra­no salis. Il s’était emparé, pour en faire un bal­let, de l’idée qui est au cen­tre du réc­it de Galilée, l’idée que « quelque chose » est caché qu’il faut trou­ver, ou retrou­ver parce qu’il est néces­saire­ment là, quelque part. Fort, da… Ce « quelque chose », c’est bien sûr le satel­lite mys­térieuse­ment absent lors d’une cer­taine nuit d’observation, mais c’est aus­si, et en même temps, l’explication de cette dis­pari­tion. Certes, Olivi­er Per­ri­er, lorsqu’il rem­place Jupiter et ses satel­lites par les corps des comé­di­ens alter­na­tive­ment cachés et vis­i­bles, « traduit » en bal­let la par­tie de cache-cache dans laque­lle il est engagé. Mais ce n’est pas tout, car, dans le même temps, il donne à Galilée le rôle prin­ci­pal – c’est lui qui par­le, c’est lui qui observe, c’est lui qui pousse l’armoire alour­die du poids des comé­di­ens et l’effort qu’il pro­duit est vis­i­ble –, il met en scène, à côté du bal­let des astres, l’excitation, pénible voire même douloureuse, qui précède l’invention de l’explication.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Théâtre
Critique
Réflexion
Jean-François Peyret
Olivier perrier
3
Partager
Françoise Balibar
Françoise Balibar, professeur émérite de Physique à l’Université Paris-Diderot (Paris 7), responsable de l’édition des...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements