Marc Liebens : le désir naît du texte mis en espace

Entretien
Théâtre

Marc Liebens : le désir naît du texte mis en espace

Entretien avec Marc Liebens

Le 17 Avr 2010
Jeanne De Mont et Élodie Bordas dans HÉLÈNE de Goethe, mise en scène Marc Liebens, Grü/ théâtre du Grütli, Genève, 2008. Photo Fédéral/Regis Golay.
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Jeanne De Mont et Élodie Bordas dans HÉLÈNE de Goethe, mise en scène Marc Liebens, Grü/ théâtre du Grütli, Genève, 2008. Photo Fédéral/Regis Golay.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 104 - Désir de théâtre. Désir au théâtre
104

INTERVIEWER MARC LIEBENS, c’est néces­saire­ment accepter sa « mise en scène » de l’interview. Sur le thème du désir, je lui avais pro­posé de par­tir d’AMPHYTRION, d’après von Kleist, un des grands suc­cès du cou­ple Liebens — Fabi­en des années 1990 où l’on ressent les con­tra­dic­tions d’Alcmène, séduite par Zeus, sous les traits de son mari.
Or c’est le présent qui intéresse Marc, et le futur immé­di­at. Alors la mytholo­gie grecque, oui, mais à la lumière du spec­ta­cle qu’il mitonne, PENTHÉSILÉE,tou­jours d’après von Kleist ou de MÉDÉE, d’après Hein­er Müller, mon­tée récem­ment à Genève. Ou encore d’HÉLÈNE, d’après Goethe, présen­tée à Genève, puis à Brux­elles (au théâtre Le Pub­lic, début 2009). À la lumière aus­si du dia­logue, par livres inter­posés, entre Cather­ine Mil­let (LA VIE SEXUELLE DE CATHERINE M., 2001) et son com­pagnon, Jacques Hen­ric (COMME SI NOTRE AMOUR ÉTAIT UNE ORDURE, 2004).

Tout part donc d’une lec­ture, par Marc, d’un extrait de PENTHÉSILÉE, de Kleist, le réc­it par Méroé, de la mort d’Achille, dévorée par la Reine des Ama­zones et ses chiens. Extrait.
«Elle n’est plus qu’une chi­enne par­mi les chiens qui s’attaquent aus­sitôt à la gorge et à la nuque. Mais lui, il se traîne dans la pour­pre de son sang et s’écrie, tout en cares­sant la joue de son bour­reau : « Penthésilée, que fais-tu, toi qui es ma fiancée ? La Fête que tu me promet­tais, c’est donc cela ? ». Et certes la lionne la plus affamée se serait lais­sé atten­drir par cette plainte. Mais pas elle ! Non. Car elle arrache la cuirasse qui pro­tège encore Achille, et dans sa jeune poitrine, elle plante ses dents, déchire la chair, et dis­pute la place à ses chiens.

Chris­t­ian Jade : Alors com­ment représen­ter « ça », cette scène de can­ni­bal­isme amoureux ? 

Marc Liebens : L’action a déjà eu lieu et Méroé, qui la rap­porte, crée la dis­tance avec l’action décrite. Je pour­rais imag­in­er deux comé­di­ennes, qui ouvri­raient leur sexe, à la façon de L’ORIGINE DU MONDE de Courbet, dans un rap­port de prox­im­ité avec un cou­ple de spec­ta­teurs. Une hypothèse de tra­vail que je rejette comme une représen­ta­tion vio­lente mais pau­vre. Je suis con­fron­té sou­vent à ce prob­lème de la représen­ta­tion du désir. Mais si je dois faire de ce désir une action con­crète, je me plante. Je n’ai pas à me sub­stituer à la sex­u­al­ité de mon spec­ta­teur, mon souci est de partager avec lui des choses fortes dont il fait ce qu’il veut. C’est très impor­tant pour moi. Je ne suis pas ges­tion­naire du sens à don­ner au spec­ta­teur. Je ne com­mu­nique pas quelque chose aux gens, je m’interroge avec eux sur le désir, le pou­voir, la mort, par le biais d’un auteur et des acteurs.
Dans le cas de PENTHÉSILÉE, Kleist ne s’intéresse pas au sexe mais à une guer­rière nomade, qui n’a rien à voir, ni avec les Grecs, ni avec les Troyens. Elle fait sa guerre à elle, ren­con­tre Achille et dans leur ren­con­tre amoureuse, elle va « jusqu’au bout » de sa logique amoureuse, pas banale, le dévor­er avec ses chiens. Représen­ter ça ? Le texte, dit par Méroé, sera joué, un point c’est tout. Ce que le spec­ta­teur en fait, ce n’est pas à moi de le dire.

Marcel Duchamp jouant aux échecs avec Ève Babitz lors de la rétrospective Duchamp au Museum of Art de Pasadena en 1963. Photo D. R.
Mar­cel Duchamp jouant aux échecs avec Ève Bab­itz lors de la rétro­spec­tive Duchamp au Muse­um of Art de Pasade­na en 1963.
Pho­to D. R.

C. J. : Entre le « dire » et le « jouer », quelle dif­férence ? Com­ment sug­gér­er des sit­u­a­tions « lim­ite », comme l’inceste ou le can­ni­bal­isme amoureux ? 

M. L. : L’acteur qui par­le se con­stru­it, ce qu’il dit le con­stitue, il trace un itinéraire qui le mène quelque part. Dans JOCASTE, de Michèle Fabi­en, Jocaste est à la fois « la mère d’Oreste » et « la merde d’Oreste », que tout le monde con­damne. Elle se sent souil­lée, rejetée mais en même temps rap­pelle à Oreste qu’elle est sa femme autant que sa mère et qu’ils ont joui ensem­ble sans honte : ça a eu lieu, Oreste ne peut nier cette vérité qui a duré dix-sept ans… Michèle Fabi­en fait éclater le tabou de l’inceste, sa langue con­stitue le spec­ta­cle et son dis­cours con­stru­it l’actrice qui la joue. Ce beau texte éro­tique, la scène d’amour avec Œdipe, je ne suis jamais par­venu à la « met­tre en scène » con­crète­ment. L’énormité de l’acte a été très bien « dite » mais je crois que la représen­ta­tion n’a jamais eu l’impact d’une sim­ple lec­ture ! Les mots sont sou­vent plus forts que la représen­ta­tion con­crète de ce qu’ils énon­cent.

C. J. : Un de tes plus grands suc­cès, AMPHITRYON, de Kleist, revu par Michèle Fabi­en, place le désir au cen­tre, avec Alcmène qui trompe son guer­ri­er de mari avec Zeus en per­son­ne.

M. L. : Pour moi, c’est moins une pièce sur le désir que sur le ver­tige de l’identité. Pour séduire une femme un Dieu doit chang­er de nature, devenir un homme et en plus être le dou­ble par­fait d’Amphitryon. Alcmène n’a pas de gros prob­lème de con­science puisqu’elle n’a pas vrai­ment trompé son mari, tant la ressem­blance de l’amant et du mari est par­faite ! Une pièce qui mon­tre aus­si que désir, pou­voir et sex­u­al­ité vont tou­jours de pair.

Jeanne De Mont et Élodie Bordas dans HÉLÈNE de Goethe, mise en scène Marc Liebens, Grü/ théâtre du Grütli, Genève, 2008. Photo Fédéral/Regis Golay.
Jeanne De Mont et Élodie Bor­das dans HÉLÈNE de Goethe, mise en scène Marc Liebens, Grü/ théâtre du Grütli, Genève, 2008.
Pho­to Fédéral/Regis Golay.

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Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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