Tyrannies des désirs

Théâtre
Critique

Tyrannies des désirs

ANGELO, TYRAN DE PADOUE, de Victor Hugo, dans la mise en scène de Christophe Honoré

Le 12 Avr 2010
Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme dans ANGELO, TYRAN DE PADOUE de Victor Hugo, mise en scène Christophe Honoré, création au Festival d’Avignon 2009, repris au CDDB - Théâtre de Lorient, mars 2010. Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme dans ANGELO, TYRAN DE PADOUE de Victor Hugo, mise en scène Christophe Honoré, création au Festival d’Avignon 2009, repris au CDDB - Théâtre de Lorient, mars 2010. Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

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Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme dans ANGELO, TYRAN DE PADOUE de Victor Hugo, mise en scène Christophe Honoré, création au Festival d’Avignon 2009, repris au CDDB - Théâtre de Lorient, mars 2010. Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme dans ANGELO, TYRAN DE PADOUE de Victor Hugo, mise en scène Christophe Honoré, création au Festival d’Avignon 2009, repris au CDDB - Théâtre de Lorient, mars 2010. Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 104 - Désir de théâtre. Désir au théâtre
104

DANS ANGELO, TYRAN DE PADOUE, la tyran­nie est d’abord domes­tique, et non directe­ment poli­tique.
C’est de celle du désir qu’il s’agit.
Résumé d’un argu­ment en apparence digne d’un soap télé : Tis­be, actrice exaltée, désire avec fougue Rodol­fo, grand dadais incon­sis­tant qui, pour sa part, désire molle­ment Cata­ri­na, épouse du pode­stat imposé par Venise à Padoue, laque­lle Cata­ri­na désire hon­teuse­ment Rodol­fo en retour, elle que ne désire plus du tout Ange­lo (puisqu’il désire Tis­be).
Con­traire­ment à ce que le titre de la pièce laisse à penser, Hugo s’intéresse peu à ses hommes ; Tis­be et Cata­ri­na con­cen­trent toute son atten­tion. Un désir n’est pas l’autre : Tis­be cherche à être aimée, elle qui ne con­naît que trop bien la lux­u­re ; Cata­ri­na cherche à se faire peur, à s’encanailler, à jouer avec le spec­tre d’une pos­si­ble souil­lure sans y plonger jamais. L’une et l’autre sont vic­times du poids des désirs de leurs amoureux : de l’orgueilleuse van­ité de l’omnipotent Ange­lo pour l’une, de la dés­in­vol­ture béate du beau Rodol­fo pour l’autre. Si Christophe Hon­oré ne nég­lige aucune­ment le traite­ment de cette intrigue mélo­dra­ma­tique, son intérêt prin­ci­pal sem­ble ailleurs.
Dans le spec­ta­cle de Christophe Hon­oré, la tyran­nie poli­tique mise en jeu est très éloignée de la Padoue du XVIe siè­cle. C’est la tyran­nie du regard qui est ici mise en avant. La mise en scène impose au spec­ta­teur une réflex­ion sur la nature des images qui lui sont mon­trées. Le texte d’Hugo est aus­si pré­texte à l’interrogation des images qui nous entourent, leur simul­tanéité, leur mode d’émission et de récep­tion.
Hon­oré est un cinéaste. Il se sait cinéaste et n’ignore pas être avant tout con­sid­éré comme tel. Dès lors, il n’imagine pas traiter son spec­ta­cle autrement qu’en cinéaste. Son décor, vaste et mod­u­la­ble, est celui d’un plateau de tour­nage ; des éclairag­istes et pre­neurs de son encom­brent régulière­ment l’espace de jeu ; Emmanuelle Devos (Cata­ri­na) porte une robe à la Rita Hay­worth ; on bouffe du pop-corn sur scène, etc. Ce qui pour­rait être perçu comme un clin d’œil esthéti­co-anec­do­tique, une coquet­terie venue ren­dre con­tem­po­raine une intrigue un brin suran­née, donne en réal­ité tout son sens au spec­ta­cle. En entremêlant les codes ciné­matographiques et théâ­traux, en ten­tant de vains « gros plans scéniques » (pos­si­bles d’un point de vue sonore grâce aux micros, par nature impos­si­bles visuelle­ment), en choi­sis­sant ce texte dont la « nar­ra­trice » (Tis­be, mag­nifique Clotilde Hesme) est une actrice finale­ment déchue, Hon­oré pose la ques­tion suiv­ante : Com­ment regarde-t-on au théâtre aujourd’hui ?

Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme dans ANGELO, TYRAN DE PADOUE de Victor Hugo, mise en scène Christophe Honoré, création au Festival d’Avignon 2009, repris au CDDB - Théâtre de Lorient, mars 2010. Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme dans ANGELO, TYRAN DE PADOUE de Vic­tor Hugo, mise en scène Christophe Hon­oré, créa­tion au Fes­ti­val d’Avignon 2009, repris au CDDB — Théâtre de Lori­ent, mars 2010.
Pho­to Christophe Ray­naud de Lage / Fes­ti­val d’Avignon.

Son ébauche de réponse prend la forme d’un man­i­feste esthé­tique. Davan­tage que l’intrigue – riche réflex­ion autour du pou­voir, du désir, des offens­es faites aux femmes, hier ou aujourd’hui – et davan­tage que la langue, c’est la théorie roman­tique et sa per­ti­nence aujourd’hui qui sem­blent avoir con­quis Hon­oré.
En octo­bre 1827, sept ans avant la rédac­tion d’ANGELO, Vic­tor Hugo rédi­geait sa « Pré­face de Cromwell ». Entre autres choses, il y écrivait ceci :
Tout dans la créa­tion n’est pas humaine­ment beau, […]le laid y existe à côté du beau, le dif­forme près du gra­cieux, le grotesque au revers du sub­lime, le mal avec le bien, l’ombreavec la lumière.
[…] Comme objec­tif auprès du sub­lime, comme moyen de con­traste, le grotesque est, selon nous, la plus riche source que la nature puisse ouvrir à l’art. Rubens le com­pre­nait sans doute ain­si, lorsqu’il se plai­sait à mêler à des déroule­ments de pom­pes royales, à des couron­nements, à d’éclatantes cérémonies,quelque hideuse fig­ure de nain de cour.
Nul doute que Christophe Hon­oré a relu atten­ti- vement la célébris­sime PRÉFACE au moment où il se rel­e­vait les manch­es face à ANGELO. C’est donc surtout en ter­mes de dra­maturgie qu’Hugo inspire le met­teur en scène. L’«hideuse fig­ure du nain de cour » des tableaux de Rubens, pen­sée en con­tre­point de la noblesse du tableau, struc­ture ici le pro­pos scénique : alors qu’au sol les ater­moiements des héros vont bon train, les cour­sives métalliques qui enca­drent le plateau quelques mètres plus haut voient tout un peu­ple de sbires pat­i­bu­laires évoluer. Simul­tané­ment au lyrisme du planch­er, nous arrive une grasse triv­i­al­ité aux étages : pas de sub­lime sans grotesque. On s’émeut des élans amoureux de Cata­ri­na et, dans le même temps, on pouffe devant la joyeuse vul­gar­ité des man­ants. Celle-ci vient fécon­der, souiller, com­plex­i­fi­er, la parole de celle-là. Mieux encore : face aux deux canaux d’énonciation simul­tanés, le spec­ta­teur doit choisir, est for­cé d’accorder son atten­tion à l’un ou à l’autre : soit la langue (sonore) du déchire­ment amoureux abstrait et tou­jours chaste, soit la pitrerie (visuelle) du relâche­ment con­cret for­cé­ment lubrique.

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Christophe Honoré
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Antoine Laubin
Antoine Laubin
Metteur en scène au sein de la compagnie De Facto.Plus d'info
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