Hutu/Tutsi

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Hutu/Tutsi

Le 20 Avr 2001
Article publié pour le numéro
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives ThéâtralesRwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
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LE RWANDA a longtemps été, avec l’Afrique du Sud, le seul pays à men­tion­ner l’ethnie dans tous les doc­u­ments offi­ciels et pièces d’identité que pou­vait avoir tout citoyen.
La pho­to de cou­ver­ture mon­tre une fiche nationale de recense­ment sur laque­lle les Rwandais sont classés en qua­tre caté­gories : les Bahutu, les Batut­si, les Bat­wa, les nat­u­ral­isés. Out­re cette fiche qui se trou­vait dans les archives de chaque com­mune, l’ethnie est spé­ci­fiée sur la carte d’identité, sur l’attestation de nais­sance, sur tous les doc­u­ments offi­ciels, c’est-à-dire les doc­u­ments de can­di­da­ture à présen­ter dans tous les domaines (pour une entrée à l’école sec­ondaire, à l’université, dans l’armée…), sur tous les doc­u­ments à présen­ter quand il fal­lait pos­tuler pour une bourse, un crédit à la banque, un tra­vail, un poste, une pro­mo­tion…

Sur les fich­es élec­torales la men­tion hutu, tut­si ou twa suiv­ait chaque Rwandais depuis sa nais­sance et réglait sa vie sociale et pro­fes­sion­nelle ; elle pou­vait être un trem­plin (si c’était la bonne) ou alors un frein et sou­vent un obsta­cle infran­chiss­able.
Cette clas­si­fi­ca­tion des Rwandais qui date de l’époque colo­niale a dévelop­pé un sys­tème de ségré­ga­tion dia­bolique­ment effi­cace, per­me­t­tant de sélec­tion­ner entre Rwandais ceux qui avaient droit au chapitre et les parias. Dans un régime à par­ti unique où le pou­voir cen­tral con­trôlait tout, ce sys­tème a fait des Batut­si, des citoyens de sec­onde zone ; quant aux Bat­wa, le pou­voir ne les con­sid­érait presque pas. Cela a con­tribué
à gon­fler le flot des réfugiés tut­si à l’extérieur du Rwan­da, les plus jeunes n’ayant le choix pour étudi­er ou tra­vailler que de s’exiler dans les pays lim­itro­phes. Les chances
étaient si min­imes pour ceux qui restaient que pour cer­tains, la seule issue pour percer était de trafi­quer les papiers d’identité où, de Batut­si ils deve­naient Bahutu sur les doc­u­ments offi­ciels. Il y eut même des gens qui revendiquèrent leur « hutu­ité » jusque dans les tri­bunaux et qui par­fois obte­naient gain de cause. On peut se deman­der ce qu’ils pou­vaient faire val­oir comme argu­ment. Leur basse con­di­tion d’antan ?
Leur généalo­gie ? Pour trou­ver quoi !

Ici se pose la fameuse ques­tion de Bee Bee Bee :
« hutu c’est quoi, et tut­si c’est quoi ? »
Cer­taine­ment pas des eth­nies. Une eth­nie selon le Petit Robert est un « ensem­ble d’individus que rap­prochent un cer­tain nom­bre de car­ac­tères de civil­i­sa­tion, notam­ment la com­mu­nauté de langue et de cul­ture ».
Les Bahutu, les Batut­si et les Bat­wa par­lent la même langue (le kin­yarwan­da), parta­gent la même cul­ture (l’ikinyarwanda), ont les mêmes croy­ances (imana)
et habitent le même ter­ri­toire. Il n’y a donc au Rwan­da qu’une seule eth­nie : les Ban­yarwan­da.
Hutu et tut­si ne sont pas des races non plus car il est impos­si­ble de chang­er de race. Un homme de race noire ne devient pas blanc ; or des Batut­si devenant Bahutu ou des Bahutu devenus Batut­si, cela ne date pas de la coloni­sa­tion. Tout porte à penser que hutu et tut­si étaient des ter­mes qui qual­i­fi­aient des gens de con­di­tions sociales dif­férentes. Dans l’ancien Rwan­da, un terme qual­i­fi­ait le fait de quit­ter la classe hutu pour la classe tut­si. Kwi­hutu­ra : se déhu­tuis­er, suis-je ten­té de traduire.
Mais que sig­ni­fie alors le mot « ubwoko » util­isé par l’administration colo­niale et les deux républiques qui l’ont suiv­ie après l’indépendance pour décrire les Bahutu, les Bat­wa et les Batut­si ?
Ubwoko sig­ni­fie ce qu’il est con­venu d’appeler clan et qui n’a rien à voir avec le terme eth­nie.

Il y a au Rwan­da plus ou moins dix-sept amoko (ubwoko au pluriel). Chaque Rwandais est issu d’un ubwoko spé­ci­fique. De nais­sance, un Rwandais est un umun­yiginya, umwe­ga, umusin­ga, umuha, umuzi­ga­ba, umucya­ba, umuge­sera, umukono, umut­sobe…
Selon la mytholo­gie rwandaise, le Rwan­da était peu­plé au départ de trois clans ter­restres (abasang­wabu­ta­ka : ceux qui sont tombés du ciel).
Les basang­wabu­ta­ka sont les abasin­ga, les bage­sera, les bazi­ga­ba.
Les ibi­manu­ka sont les abanyiginya, les abega, les abakono et les aba­ha.
Et c’est Gihanga, un umun­yiginya, qui aurait fondé la nation rwandaise et la dynas­tie des banyiginya.
Tous ces clans avaient des car­ac­téris­tiques, leur totem, tou­jours un ani­mal (par exem­ple le cra­paud pour les abega). Les clans avaient des fonc­tions bien spé­ci­fiques au sein des insti­tu­tions du Rwan­da pré-colo­nial.
Le roi était un umun­yiginya mais il était tou­jours intro­n­isé et rég­nait avec une reine-mère issue d’un des qua­tre clans appelés ibiban­da (abega, aba­ha, abakono, abage­sera). Le roi et la reine-mère rég­naient sous l’observation du Con­seil des abiru (les rit­u­al­istes) ; ces derniers prove­naient prin­ci­pale­ment des clans de basang­wabu­ta­ka ( abasin­ga, abazi­ga­ba…) ; le chef des rit­u­al­istes était un umut­sobe.

Cer­tains clans sont beau­coup plus impor­tants en nom­bre que d’autres et com­por­tent sou­vent des sous-clans. Le clan des abanyiginya, par exem­ple com­prend des abahindiro, abaryiny­on­za, aba­ji­ji, abanana, abana­ma, ibig­i­na, abakob­wa, abat­ura­gara, abun­ga…
Bref la réal­ité des amoko au Rwan­da est beau­coup plus com­plexe que ne le laisse supos­er l’usage courant des trois qual­i­fi­cat­ifs hutu, twa et tut­si puisqu’il y a dans tous les amoko ou « clans » des batut­si, des bat­wa et des bahutu.
Cette réal­ité n’était ignorée de per­son­ne. Dans sa let­tre à l’administrateur Voisin, Mon­seigneur Léon Classe recom­mande de ne pas sup­primer la classe mutut­si.
Il est clair qu’il par­lait à cette époque d’une aris­to­cratie et non d’une eth­nie ou d’une race. Cela n’a pas empêché des colons, et plus tard des Rwandais, de coller des éti­quettes à leurs com­pa­tri­otes pour mieux les exclure et les exter­min­er le moment venu.
Men­tion eth­nique, étoile de David, tri­an­gle rose…
Comme tou­jours avant que la bête ne se réveille vrai­ment, on com­mence par éti­queter les gens.

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Dorcy Rugamba
Danseur dès son plus jeune âge, Dorcy Rugamba a participé à de nombreuses tournées internationales...Plus d'info
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