Une première définition de la grammaire de « manipulation » a été proposée par André Charles Gervais en 1947 pour l’entraînement musculaire des manipulateurs à l’imitation des programmes de gymnastique suédoise.
Gervais propose des exercices de bras, de poignet et de doigts. Il détermine quatre positions de base pour la marionnette à gaine, et toutes les variantes nécessaires pour les inclinaisons de tête et les positions des bras des personnages. On ne saurait aujourd’hui enseigner la manipulation sans introduire dès la première apparition de la marionnette, respiration, notion d’énergie et surtout intention. C’est ce désir de sens qui fait l’objet de nos efforts pour affiner la grammaire de manipulation appliquée à l’expression comportementale comme à l’interprétation du texte.
La marionnette et l’expression comportementale (gestes et onomatopées)
Avant d’aborder le texte, le champ d’expression de la marionnette en gestes et en attitudes est très intéressant à explorer.
La grammaire de manipulation commence par la marche (à la bonne hauteur pour les marionnettes manipulées par en-dessous, et sans affaisser les genoux et le bassin pour les marionnettes à tringles et à fils), ses rythmes, ses attitudes, la maîtrise des regards, les salutations, la position assise et couchée, etc.
On introduit également la préhension des objets, problème de dextérité aussi inépuisable que la diversité des objets à saisir (paradoxalement, l’objet enrichi considérablement le fonctionnement métaphorique de la marionnette, mais il est son tourment).
À l’occasion du répertoire de gestes de chaque type de marionnette, on explore également son espace scénographique et comment elle y évolue en créant elle-même les codes de lecture de cet espace : par exemple, selon l’attitude de la marionnette, la bande (planche du castelet) est regardée comme sol, balcon, parapet, table ou lit.
Tous ces exercices impliquent une stricte économie des gestes de mains et de tout effet particulier à chaque poupée. (On gérera la partition de la marionnette en réservant pour le moment le plus pertinent, par exemple la brillante volte sur les talons d’une marionnette à tringle, ou les coups de tête d’une marionnette à gaine contre la bande). La plupart du parcours sera d’attitudes sobres, d’inclinaisons justes de vibratos infimes, d’un hochement de tête au juste rythme, de retournements à la lenteur réfléchie.
Bien sûr en exécutant tous ces exercices on cherche à donner cohérence aux actions du personnage de façon à ce que la pensée, comme l’énergie, circulent bien le long du bras du manipulateur jusqu’à sa poupée. On peut observer dès les premiers essais de marche, que l’agitation et les saccades ne sont pas réellement drôles, parce qu’elles rendent la marionnette incrédible.
Pour accompagner tout ce répertoire de gestes, et en préalable à l’introduction du langage, la respiration, la toux, les cris, le rire, les pleurs, les chuchotements sont l’occasion de donner vie à un personnage, et de le mettre en situation avec d’autres.
Le manipulateur cherche à tout instant la sincérité sans essayer d’être comique à tout prix. Il faut exclure dès les premiers essais de manipulation le cabotinage, les excès dus à une tendance culturelle surannée : la « régression pour cause de marionnette ».
La réduction des mouvements à la taille de la marionnette ne doit pas conduire à une réduction de l’émission vocale donc de l’interprétation, (même des onomatopées).
La marionnette est un outil d’analyse du quotidien qui permet d’en exorciser la confusion et parfois d’en révéler l’absurde. Elle fait ressortir les problèmes existentiels que révèlent nos gestes. Citons par exemple, l’expression de l’obstination, de l’indécision, la mise en boucle des actions inconscientes dans la vie réelle subtilement préméditées et assumées en marionnette, etc.
La nécessité de répéter avec précision le parcours de la plus simple action en respectant un placement efficace et contrôlé est une propédeutique au jeu théâtral et à la discipline de l’acteur.
Pour ce faire, la nécessité d’un discours intérieur du manipulateur, s’impose dès les premières improvisations. Ce sous-texte secret qui permet la maîtrise des gestes d’un personnage est indispensable pour garder la bonne dynamique d’une action, surtout en l’absence de texte.
Chaque manipulateur crée le sien, pour garantir à ses partenaires de jeu, la fiabilité de ses manipulations.
Cette disposition mentale acquise dès les premières manipulations permet d’aborder facilement le langage.