Alternatives théâtrales : Vous entamez votre première saison au TNS en programmant un spectacle de marionnettes LÉONCE ET LÉNA mis en scène par Grégoire Callies. Vous avez aussi prévu d’inclure dans la formation des comédiens de l’école, des stages de marionnettes. D’où vous vient ce goût pour la marionnette ?
Stéphane Braunschweig : J’ai vu et j’ai fait de la marionnette depuis l’enfance. Le théâtre pour moi, c’était d’abord la marionnette. Et puis j’ai eu cette chance quand j’étais à l’École de Chaillot que son directeur, Antoine Vitez, soit un passionné de marionnettes. Un de ses amis proches était le grand marionnet- tiste Alain Recoing. Il y avait donc à Chaillot à ce moment-là une véritable programmation de spectacles de marionnettes pour enfant. J’y ai vu des spectacles de grande qualité artistique. Ce n’était ni Guignol, ni les marion- nettes de Salzbourg. Je considérais leur travail comme strictement équivalent à celui de la mise en scène de théâtre. Ce qui m’avait vraiment frappé dans les spectacles que j’ai pu y voir – en particulier ceux de Grégoire Callies –, c’était l’inventivité scénographique. Comme metteur en scène, je me sentais des affinités avec le travail de Grégoire. Il jouait très souvent sur les proportions, utilisant des marionnettes à tiges à une certaine taille, ensuite quand les marionnettes étaient plus loin – comme dans un paysage en perspective – des poupées chinoises, et puis au loin de toutes petites ou bien d’immenses quand elles sortaient du castelet.
Ce travail sur la profondeur de champ a nourri mes réflexions sur l’art de la mise en scène. Pendant ma formation à Chaillot, j’ai suivi deux petits stages que donnait déjà Grégoire. Il nous a initiés à la manipulation des marionnettes à gaine, des petites chinoises, que l’on peut voir dans LÉONCE ET LÉNA.
Quand j’était directeur du Centre Dramatique d’Orléans, on donnait des stages de formation pour jeunes comédiens professionnels, et j’ai alors invité Grégoire, et également Émilie Valantin. Arrivant au TNS, dans la lignée de ce que j’avais commencé à Orléans, j’ai prévu que les élèves de première année de l’école suivent un stage de formation à la marionnette.
Il arrive souvent à Grégoire d’engager pour ses spectacle au TJP des acteurs qui ne sont pas des marionnettistes professionnels. Son travail de formation permet à des acteurs de devenir manipu- lateurs en quelques semaines de stages. L’optique n’est pas de transformer les élèves en marionnettistes professionnels, mais leur ouvrir un champ de possibilités.
La manipulation de marionnettes est un exercice d’acteur très formateur, même quand on ne veut pas être marion- nettiste. Elle oblige à réfléchir sur la stylisation, sur l’économie des moyens… L’acteur doit à la fois se regarder jouer – il est dédoublé – et faire corps avec sa marionnette. Mais il n’y a pas que la question de la distanciation. Pratiquer la marionnette fait aussi comprendre l’organicité des mouvements, comment on donne les impulsions, comment se transmettent les énergies. C’est très physique. Quand on manipule des marionnettes à gaine, le bras joue le rôle d’arbre de transmission. Chacun des mouvements du corps doit passer dans l’arbre de transmission, ce qui oblige l’acteur à réfléchir sur ses gestes. À un moment donné, pour manipuler, il faut devenir son bras. Il faut que ce soit le bras qui pense. Grégoire Callies me disait que les comédiens qui ne sont pas manipulateurs restent dans un premier temps complètement extérieurs – ils regardent comment la chose se manipule – puis au bout d’un certain temps retrouvent comment jouer, c’est-à-dire qu’ils passent à la marionnette leurs qualités d’acteur. Cela suppose qu’il y ait un courant qui passe, à travers le bras. Manipuler fait aussi réfléchir sur ce qu’on est quand on ne parle pas. Comment une marionnette continue à vivre quand elle ne parle pas. Il y a ainsi de nombreuses questions très utiles pour l’acteur qui se posent à l’épreuve de la marionnette. Réfléchir à comment ne pas se laisser marionnettiser par le metteur en scène, entre autres.