Exprimer un état d’esprit

Entretien
Théâtre

Exprimer un état d’esprit

Entretien avec Fabrice Murgia

Le 12 Jan 2009
LE CHAGRIN DES OGRES écrit et mis en scène par Fabrice Murgia. Photo Fabrice Murgia.
LE CHAGRIN DES OGRES écrit et mis en scène par Fabrice Murgia. Photo Fabrice Murgia.

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 100 - Poétique et politiqueCouverture du numéro 100 - Poétique et politique - Festival de Liège
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NANCY DELHALLE : À tra­vers les pro­jets aux­quels vous avez par­ticipé comme acteur, vous vous situez dans une cer­taine lignée de théâtre, un théâtre qui inscrit au cœur de la pra­tique un rap­port engagé au monde. Pour le Fes­ti­val de Liège, vous pré­parez LE CHAGRIN DES OGRES pour lequel vous éla­borez un texte et assumerez la mise en scène. Quelle est la genèse de ce pro­jet ?

Fab­rice Mur­gia : Les pro­jets aux­quels j’ai col­laboré suc­ces­sive­ment depuis ma sor­tie de l’école en 2006, présen­tent en effet une préoc­cu­pa­tion sociale liée au théâtre. La genèse du CHAGRIN DES OGRES remonte à l’édition 2007 du Fes­ti­val de Liège, lors d’un tra­vail avec Jan-Christoph Göck­el. Dans le cadre d’une mas­ter class coor­don­née par Théâtre & Publics, Thomas Oster­meier était venu cha­peauter un tra­vail avec qua­tre étu­di­ants en mise en scène de la Ernst-Busch sur des textes de Mar­tin Crimp. Je tra­vail­lais la pièce FACE AU MUR et je me suis lié d’amitié avec Jan-Christoph, un des qua­tre étu­di­ants berli­nois, aujourd’hui met­teur en scène asso­cié à la Schaubühne. Pour ce tra­vail, Jan m’a demandé de tra­vailler à par­tir du blog de Bas­t­ian Bosse qui, en novem­bre 2006, avait com­mis une fusil­lade dans son école. Nous étions en févri­er 2007, c’était donc récent. Ensem­ble, nous avons traduit ce blog. La semaine suiv­ante, j’ai vu le spec­ta­cle de Lars Norén, LE 20 NOVEMBRE, où Anne Tismer jouait le blog de Bas­t­ian. La matière m’intéressait et j’ai voulu m’y con­fron­ter, don­ner ma vision de cela. J’ai ensuite réu­ni trois comé­di­ens, un vidéaste, un musi­cien et je leur ai demandé d’amener leur car­net de jeunesse. Il y avait beau­coup de liens avec ce blog de Bas­t­ian, et la ques­tion de savoir pourquoi, chez lui, cela a dévié m’a intéressé. La matière est donc assez généra­tionnelle.

N. D. : Cette prise en compte de la dimen­sion généra­tionnelle revient à plusieurs repris­es dans vos pro­pos. Pou­vez-vous expliciter ce qu’elle recou­vre ?

F. M. : Il s’agit de par­ler d’un pas­sage, l’adolescence. Mais aujourd’hui, on « devient » ado­les­cent de plus en plus tôt, à dix ou onze ans, et para­doxale­ment, à trente ans, on peut tou­jours habiter chez ses par­ents. C’est sans doute un aspect du pas­sage à l’âge adulte qui sépare ma généra­tion de celle de mes par­ents, immi­grés ita­lo- espag­nols, dont le rap­port au tra­vail était plus direct. Pour eux, il y a un monde de dif­férence entre ce que mon­tre le théâtre et leur vision du monde liée au tra­vail. J’avais envie de traiter de ce pas­sage à l’âge adulte. J’ai par­lé de cet aspect du pro­jet à Jean-Louis Col­inet. Je lui ai dit que je ne voulais pas pos­er de thèse de manière frontale, mais exprimer un état d’esprit. Resti- tuer une œuvre sen­sorielle autour des témoignages d’un jeune homme et d’une jeune femme, arrivant à un cap de leur vie, dans une cer­taine époque qui est la nôtre. C’est dif­fi­cile à expli­quer avec les mots : ce sont des sons, des images de notre enfance. Je ne livre pas de noms, pas de dénon­ci­a­tion. Ou alors, les références sont brouil­lées par ces espaces généra­tionnels. Par exem­ple, un per­son­nage de la pièce, Læti­tia, est influ­encée par John Lennon car son père lui a fait écouter John Lennon… et il ne s’agit pas de par­ler de John Lennon, mais du rap­port que Læti­tia entre­tient aujourd’hui avec la fig­ure John Lennon. C’est ente les lignes que ça se joue, dans le back­ground de Læti­tia. Le tra­vail avec les comé­di­ens est ain­si très spé­ci­fique, très détail­lé.

N. D. : Il sem­ble que le tra­vail des formes soit aus­si très généra­tionnel. Il passe par ce dont vous nour­ris­sez le spec­ta­cle, les sons, les images. Vous par­lez aus­si de choral­ité, de « scé­nario choral»…

F. M. : Matthieu Rey­naerts, qui est scé­nar­iste pour le ciné­ma, nous aide à con­stru­ire un « scé­nario choral ». Les scènes ne sont pas for­cé­ment dans l’ordre et les sit­u­a­tions ne sont pas for­cé­ment liées mais se répon­dent. Au final, tout sem­ble logique, pour exprimer un malaise glob­al lié à l’adolescence… Dans la manière de mod­i­fi­er les rythmes et désor­don­ner les temps, je me sens influ­encé par le tra­vail de Joël Pom­mer­at au théâtre, ou d’Alejandro Gon­za­les Inar­ritu au ciné­ma, par exem­ple.

N. D. : Mais qu’en est-il de l’objet, du sujet, dont vous vous sai­sis­sez ? En somme, pourquoi, com­ment « faire théâtre de ça » ?

F. M. : Je crois que c’est dans la nature de l’artiste de trou­ver injuste la réal­ité dans laque­lle il évolue. Je ne peux donc pas retran­scrire la réal­ité sans que cette injus­tice, ou plutôt ce malaise social en découle. Je ne trou­ve pas que mon spec­ta­cle soit poli­tique. En fin de compte, il l’est, mais ma démarche pour le faire n’est pas du tout poli­tique.

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Fabrice Murgia
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Nancy Delhalle
Nancy Delhalle est professeure à l’Université de Liège où elle dirige le Centre d’Etudes et...Plus d'info
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