“On pourrait être surpris” (entretien avec Serge Aimé Coulibaly)

Danse
Entretien

“On pourrait être surpris” (entretien avec Serge Aimé Coulibaly)

Le 3 Juil 2017
"Kalakuta Republic", de Serge Aimé Coulibaly. Photo Sophie Garcia
"Kalakuta Republic", de Serge Aimé Coulibaly. Photo Sophie Garcia
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Com­ment définiriez-vous votre tra­vail de créa­tion artis­tique, envis­agé à l’aune de la « diver­sité cul­turelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein des insti­tu­tions cul­turelles ? 

Dans le cadre de la créa­tion artis­tique, le terme diver­sité cul­turelle met plus en lumière le con­ser­vatisme des insti­tu­tions cul­turelles, la com­plexe ges­tion de l’héritage colo­nial, et la décon­nex­ion qu’il y a entre la réal­ité des grandes villes belges par exem­ple (Brux­elles, Anvers, Liège etc.) et la fix­a­tion passéiste que les insti­tu­tions cul­turelles se font de ces villes.

Brux­elles est une ville très mul­ti­cul­turelle, si on con­sid­ère les dif­férentes pop­u­la­tions qui y vivent ; Brux­elles même, c’est la diver­sité incar­née. Du coup, mon tra­vail de créa­tion artis­tique est com­plète­ment en phase avec cette réal­ité et n’a pas besoin d’être iden­ti­fié comme un tra­vail à part, ou spé­ci­fique. Je suis en phase avec mon monde.

Avez-vous le sen­ti­ment de subir, à titre per­son­nel, une iné­gal­ité de traite­ment en tant qu’artiste issu de l’immigration ; ou d’être vic­time d’une forme de stig­ma­ti­sa­tion, voire de ségré­ga­tion cul­turelle qui ne s’avoue pas en tant que telle ?

Ce n’est absol­u­ment pas un sen­ti­ment, c’est une réal­ité ! Regardez la pro­gram­ma­tion cul­turelle d’une année en Bel­gique : com­bi­en d’artistes issus de l’immigration y sont pro­gram­més ? Pour le dire plus crû­ment, com­bi­en d’artistes non blanc voit-on sur les scènes des théâtres con­ven­tion­nés ? Je con­nais pas mal d’artistes incroy­ables qui jouent unique­ment dans de petits cen­tres cul­turels de périphérie, à l’occasion de « semaines de la sol­i­dar­ité » ou « de la diver­sité » ou quelque chose du genre.

Après m’être instal­lé à Brux­elles et avoir tra­vail­lé avec Alain Pla­tel, Sidi Lar­bi Cherkaoui et autres artistes asso­ciés au Grand Bleu à Lille en France, j’ai demandé un ren­dez-vous à un étab­lisse­ment cul­turel con­nu pour son tra­vail de recherche dans le domaine de la danse con­tem­po­raine ; on m’a répon­du qu’ils ne tra­vail­laient pas avec la danse africaine. Alors j’ai réécrit, pré­cisant que j’étais bien sûr Africain mais que je fai­sais de la danse con­tem­po­raine. J’ai envoyé des liens vidéo. Mais on m’a à nou­veau répon­du désolé, nous ne tra­vail­lons pas avec ce type de danse…

Quand tu as un ren­dez-vous avec un théâtre qui ne te con­naît pas, il faut vite sor­tir des noms, comme Alain Pla­tel, pour qu’on com­mence à t’écouter. Après, pour qu’on regarde ton tra­vail, c’est une autre his­toire. Et quand on le regarde enfin, on trou­ve par­fois que ce n’est pas assez « africain ». Alors que la per­son­ne que tu as en face de toi ne con­naît sou­vent pas la créa­tion africaine con­tem­po­raine.

Plus générale­ment, les artistes issus de l’immigration souf­frent-ils d’un déficit de vis­i­bil­ité sur les scènes européennes ? Ou au con­traire d’une forme de pro­mo­tion par­ti­sane et mil­i­tante ? 

Les artistes issus de l’immigration sont très rarement présen­tés dans des saisons théâ­trales. C’est plus sou­vent des fes­ti­vals qui leur sont dédiés, des temps forts ou des focus comme le focus Afrique, actuelle­ment au fes­ti­val d’Avignon et de Mar­seille. C’est assez drôle que les per­son­nes qu’on croise tous les jours dans la rue, avec qui on vit au quo­ti­di­en, ont besoin que la « diver­sité » soit embal­lée dans un label pour être accep­tée… En ce moment, il y a aus­si une mode qui peut être con­sid­érée comme une forme de pro­mo­tion par­ti­sane. Mais cette mode passera très vite. Et si le milieu artis­tique ne s’ouvre pas plus que ça, on ver­ra 2 ou 3 artistes « issus de l’immigration » chaque année en Europe, et on se van­tera d’être ouvert et mul­ti­cul­turel.

"Kalakuta republik" de Serge Aimé Coulibaly. Dounes photos.
“Kalaku­ta repub­lik” de Serge Aimé Coulibaly. Dounes pho­tos.

Con­sid­érez-vous que les théâtres man­quent à leur mis­sion de ser­vice pub­lic, pour la pro­mo­tion de la diver­sité cul­turelle au sein de nos sociétés mul­ti­cul­turelles ? 

J’ai sou­vent croisé des pro­gram­ma­teurs de théâtre qui me dis­ent : « J’aime beau­coup votre tra­vail mais mon pub­lic ne com­pren­dra pas ». En général, on pense à un seul type de pub­lic. On oublie très sou­vent les autres, ceux qu’on ne voit pas dans les salles. Et de toutes façons, le pub­lic demande à être sur­pris. Les per­son­nes à la tête d’institutions cul­turelles préfèrent sou­vent faire plaisir à leurs tutelles et leurs con­seils d’administration plutôt que de men­er une vraie poli­tique cul­turelle et artis­tique qui ferait avancer la société et qui con­tribuerait au rap­proche­ment des citoyens. En tout cas, il y a encore beau­coup à faire.

Pensez-vous que l’audiovisuel, ou d’autres secteurs du spec­ta­cle vivant tels que la danse ou la musique par exem­ple, rem­plis­sent davan­tage leur mis­sion de pro­mo­tion de la diver­sité que le théâtre ?

Absol­u­ment ! Un met­teur en scène peut te faire un grand dis­cours sur les innom­brables pos­si­bil­ités dans la créa­tion théâ­trale, il blo­quera si un noir doit jouer un Molière, où il n y a pas de per­son­nage noir. Hol­ly­wood avait bien imag­iné un prési­dent noir alors que tout le monde pen­sait que s était impos­si­ble dans la réal­ité. La musique a une longueur d’avance, la danse fait de grands pas. Mais dans tous les domaines, il y a encore des efforts à faire.

La recette éprou­vée, avec un relatif suc­cès, par cer­tains théâtres privés issus du show busi­ness et de l’industrie du diver­tisse­ment, à la façon du Comédie Club ini­tié par Jamel Deb­bouze, est-elle trans­pos­able dans le cadre du théâtre d’art ? 

Je crois que si nous arrê­tions de voir les choses en noir, blanc, arabe, chi­nois, au moins dans le milieu artis­tique, nous pour­rions aller vers un monde meilleur et cul­turelle­ment beau­coup plus riche. Si on offrait les mêmes chances à tous, en appré­ciant les com­pé­tences de cha­cun, on pour­rait être sur­pris.

pro­pos recueil­lis par Lau­rence Van Goethem

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Serge Aimé Coulibaly
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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