L’avantage est au spectateur

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L’avantage est au spectateur

Entretien sur la musique

Le 25 Juil 1985
Article publié pour le numéro
Le mahabharata-Couverture du Numéro 24 d'Alternatives ThéâtralesLe mahabharata-Couverture du Numéro 24 d'Alternatives Théâtrales
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“··· don­ner une impor­tance essen­tielle à la stricte logique et plac­er la rec­ti­tude morale au-dessus de tout est une cause fréquente d’er­re­ments Il existe une voie plus élevée que celle de la rec­ti­tude morale mais la décou­vrir est dif­fi­cile et exige la plus haute sagesse. Au regard de cette Voie, les principes logiques sont véri­ta­ble­ment dépourvus de sig­ni­fi­ca­tion. On ne saurait con­naître ce dont on n’a pas une expéri­ence immé­di­ate. Pour­tant, il est un moyen de s’in­stru­ire de la vérité alors même qu’on n’a pas été capa­ble de la dis­cern­er par soi-même. C’est de s’en­tretenir avec d’autres per­son­nes. Il est fréquent que l’on puisse don­ner des con­seils sans pour autant avoir atteint soi-même la per­fec­tion. Il s’ag­it du principe con­nu des joueur de go sous la for­mule : « l’a­van­tage est au spec­ta­teur ».

Hagakuré, Livre I in : Mishi­ma, Le Japon mod­erne et l’éthique samouraï col­lec­tion Arcades, Gal­li­mard, Paris 1985, p.55

Georges Banu : Quelle rela­tion existe-t-il entre musique et action dra­ma­tique dans Le Mahab­hara­ta ?

Toshi Tsu­chi­tori : C’est une rela­tion basée sur la sen­si­bil­ité. Il y a une dif­férence fon­da­men­tale entre le fait d’u­tilis­er une musique pré-enreg­istrée et le fait de faire appel à des musi­ciens. La rela­tion n’est plus entre l’hu­main et le matériel mais entre l’hu­main et l’hu­main. Cette rela­tion de per­son­ne à per­son­ne est, pour nous, très impor­tante.

G. B. : La musique du Mahab­hara­ta est une sorte de musique ori­en­tale, mais, il ne s’ag­it ni de musique japon­aise ni réelle­ment de musique indi­enne, etc. Pou­vez-vous pré­cis­er de quel genre de musique il s’ag­it ?

T. T. : Pour le Mahab­hara­ta, la référence musi­cale est l’Inde, bien évidem­ment, mais j’ai cher­ché égale­ment dans d’autres musiques et notam­ment dans celles que j’ai moi-même étudiées dans les dif­férents pays que j’ai vis­ités. C’est ain­si que nous util­isons des matéri­aux et des instru­ments de musique venus d’en­droits très dif­férents : des instru­ments africains, japon­ais, iraniens, aus­traliens, etc. Mais, dans leur appli­ca­tion, ces « out­ils » per­dent leurs con­no­ta­tions cul­turelles. C’est ain­si que le spec­ta­teur ne sen­ti­ra jamais les don­nées orig­inelles des moyens mis en œuvre.

Vin­cent Dehoux : Dans un ordre d’idées tout à fait dif­férent, j’aimerais deman­der à Toshi de quelle façon il a agi avec les autres musi­ciens dans la mesure où ces derniers — con­traire­ment à lui — n’avaient aucune expéri­ence d’un tra­vail théâ­tral.

T. T. : En effet, les musi­ciens qui m’en­tourent sont des musi­ciens pure­ment clas­siques, des musi­ciens de musique pure. Il fal­lait donc leur faire entrevoir l’im­por­tance de la rela­tion dont je par­lais plus haut, afin qu’ils accom­plis­sent, à leur tour, cette démarche visant une rela­tion sen­si­ble entre les acteurs et eux-mêmes. Au début, ils ne fai­saient que jouer de la musique et encore de la musique … Main­tenant, c’est tout dif­férent : ils jouent véri­ta­ble­ment et avec les acteurs, et avec l’ac­tion. Ils sen­tent de plus en plus la rela­tion qui doit exis­ter entre musique et action. De sorte que les change­ments ne sont pas seule­ment, à l’heure actuelle, de nature pure­ment musi­cale, mais pren­nent en compte l’ac­tion dra­ma­tique.

Peter Brook : Pour com­pren­dre la musique de théâtre, il faut savoir ce qui la dif­féren­cie de la musique non théâ­trale. Dans la musique de théâtre, la rela­tion s’établit entre le son et le silence, la vibra­tion du son en rela­tion avec le silence.
Le mou­ve­ment est, d’ailleurs, tou­jours en rela­tion avec autre chose. Dans le théâtre, il ne faut pas voir le jeu des acteurs ou l’ac­tion dra­ma­tique, ou la musique : le jeu est une énergie se déplaçant non seule­ment à tra­vers le silence mais aus­si à tra­vers l’e­space. Le mou­ve­ment dans l’e­space est à son tour affec­té par de nom­breux élé­ments (his­toire, sit­u­a­tion, inten­tion, sen­ti­ment, etc.) qui créent dif­férentes sortes de déplace­ments. La musique est une par­tie de ces mou­ve­ments. Le seul musi­cien que je con­naisse qui ait com­pris pro­fondé­ment ceci, c’est juste­ment Toshi : il pos­sède ce«beat » fon­da­men­tal.
Le tra­vail musi­cal com­mence par une écoute de la nature du mou­ve­ment accom­pli. La rela­tion est con­stante et, non seule­ment avec l’his­toire. Ain­si, quand les acteurs font preuve d’une énergie trop faible, la musique ne peut par­ticiper de façon effi­cace, et ce, quelle que soit la struc­ture de l’ac­tion. En rela­tion avec une énergie, une cer­taine musique devient tou­jours pos­si­ble. Pour la décou­vrir, l’é­coute des musi­ciens doit, à tout prix, être dévelop­pée : non seule­ment être atten­tif au silence, mais porter égale­ment son atten­tion à l’e­space.

T. T. : Ecouter sig­ni­fie égale­ment demeur­er vig­i­lant à n’im­porte lequel des événe­ments musi­caux.

P. B. : Vous écoutez le silence mais vous devez regarder aus­si bien l’e­space.

G. B. : Habituelle­ment, Peter Brook et ses acteurs lais­sent une grande part à l’im­pro­vi­sa­tion. Qu’en est-il de la musique ?

T. T. : Il est tou­jours très dif­fi­cile d’abor­der ce sujet. Il y autant de manières d’en­vis­ager l’im­pro­vi­sa­tion que de musiques. Par exem­ple, quand je joue ma musique, j’ap­plique la façon qui m’est pro­pre d’im­pro­vis­er. Mais quand je joue avec, par exem­ple, des musi­ciens de jazz, mes pro­pres critères ne sont plus val­ables. De même, quand je joue avec des musi­ciens indi­ens, il m’est néces­saire de m’adapter aux lois de l’im­pro­vi­sa­tion qui sont les leurs.

G. B. : Est-ce que vous par­ticipez au Mahab­hara­ta aus­si comme acteur et non seule­ment comme musi­cien ?

T. T. : Je ne sépare jamais l’ac­teur du musi­cien. Pour moi, quand le jeu de l’ac­teur est bon, cela pro­duit une bonne musique et alors je peux me join­dre à lui.

P. B. : Dans notre tra­vail, si l’exé­cu­tion n’est pas bonne (ce qui peut tou­jours arriv­er), il se pro­duit une perte réelle au niveau du rythme : tout arrive au mau­vais moment … On ne peut pas définir le rythme, ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que lors d’une bonne représen­ta­tion, le rythme est tou­jours là.

Pro­pos recueil­lis par Vin­cent Dehoux

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Toshi Tsuchitori
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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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