En 2015, le dramaturge et homme de théâtre Wannes Gyselinck dressait pour le Vlaams Theater Instituut (VTI) un état des lieux très complet du théâtre musical en Flandre sous le titre « Perspective : Music Theatre ». Voici, avec l’accord de l’auteur, une version réduite et actualisée du chapitre « Overview » de cette étude.
Le paysage
Une chose est sûre : le théâtre musical flamand est en plein essor. Au niveau international, la quantité et la nature particulière des productions provenant d’une si petite région suscitent l’étonnement. Ce succès est étroitement lié aux évolutions plus larges des arts de la scène flamande des trente dernières années et à la manière dont celles-ci ont été soutenues par la politique artistique. Une nouvelle génération de créateurs de renommée internationale (Jan Fabre, Alain Platel, Needcompany, Anne Teresa De Keersmaeker, Wim Vandekeybus…) ont vigoureusement modifié les règles artistiques et ont réussi à mettre en place de nouvelles structures pour créer et présenter leurs œuvres. Les frontières entre les genres ont volé en éclats : les spectacles de théâtre viraient au concert, la danse intégrait la parole, le chant et la musique live, le mot était son, le récit plus musical que narratif… Le théâtre est devenu « post-dramatique », selon le spécialiste du théâtre allemand Hans-Thies Lehmann, et « musicaliser le théâtre » en était l’un des symptômes.
Dans le même temps, l’opéra lui-même a été remis en question et renouvelé de manière drastique. Cela s’est passé d’abord à La Monnaie/De Munt, puis au Vlaams Opera1, sous l’impulsion de Gérard Mortier. Celui-ci voulait que le genre de l’opéra se rattache aux tendances novatrices du théâtre en faisant de « l’opéra au théâtre ». À la fin des années 1980, trois structures flamandes de création et de production, WALPURGIS, LOD muziektheater et Muziektheater Transparant, ont choisi de travailler en marge de l’opéra, à plus petite échelle, et ont fait appel à des compositeurs et des metteurs en scène contemporains qui œuvraient en-dehors des conventions, rafraîchissant ainsi le paysage avec de nouvelles créations ou des adaptations et réinterprétations du répertoire opératique.
La politique culturelle flamande a pris le train en marche. En 1993, le décret sur les arts de la scène, successeur du décret sur le théâtre (1975), est entré en vigueur. Pour la première fois, les organisations pouvaient demander un financement de projet ou un financement structurel spécifique au théâtre musical. Un décret musical a suivi en 1999, apportant un soutien structurel aux ensembles et permettant la commande de compositions. En 2006, le décret sur les arts de la scène et le décret sur la musique ont été intégrés au décret sur les arts : un cadre politique unique pour toutes les disciplines artistiques (à l’exception de la littérature et du cinéma). Le théâtre musical reste un des secteurs de subvention dans le décret actuel. De cette façon, la politique a rendu possible un scénario de croissance pour un certain nombre d’initiatives combinant le théâtre et la musique d’une manière nouvelle.
Trois maisons
WALPURGIS, LOD muziektheater et Muziektheater Transparant ont été reconnus comme structures de théâtre musical dès 1993. Avec peu de subsides au départ, tous trois sont devenus des acteurs importants dans le domaine.
WALPURGIS est une compagnie de recherche et de création pour le théâtre musical fondée en 1987 par la chanteuse et metteuse en scène Judith Vindevogel et par Lukas Pairon, qui travaillait alors comme directeur artistique au Festival de Flandre et lança à l’époque le réseau NewOp dévolu aux formes lyriques expérimentales. La compagnie réalise ses productions à partir de compositions musicales contemporaines, d’adaptations d’opéras classiques pour jeune public ou de lectures de livrets lyriques mises en espace selon un concept original qui sépare le texte de la musique. Si WALPURGIS n’est pas une maison de production, son lieu deFENIKS et son festival annuel constituent un vrai laboratoire d’expérimentation pour les jeunes créateurs de théâtre musical.
Depuis 1989, la maison de production LOD muziektheater créée par Hans Bruneel2 choisit de mettre en place des projets à long terme avec des artistes pour les accompagner dans le développement d’une œuvre et de leur propre langage artistique. LOD facilite le dialogue entre compositeurs et metteurs en scène, pour garantir un entrecroisement dramaturgique du concept de composition et de direction. Josse De Pauw y est un des artistes en résidence de longue date. La création de nouveaux opéras contemporains à moyenne échelle et le soutien aux jeunes artistes sont les autres missions qui caractérisent LOD.