“Les solutions viennent des autres.”

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“Les solutions viennent des autres.”

Le 22 Jan 2016
Olivier Zanotti (Gabriel) et Clément Losson (Stan). Photo © Clémence de Limburg
Olivier Zanotti (Gabriel) et Clément Losson (Stan). Photo © Clémence de Limburg
Article publié pour le numéro
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Les penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives ThéâtralesLes penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives Théâtrales
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« La scéno­gra­phie est une ques­tion qui m’intéresse vrai­ment, donc je ne peux pas imag­in­er une his­toire sans penser à l’espace. J’ai tou­jours su qu’il y avait une pre­mière par­tie dans l’appartement, qu’il y aurait une voiture et qu’on ter­min­erait dans une grotte. J’arrive avec un pro­jet dont les lignes direc­tri­ces sont rel­a­tive­ment claires et après ça, c’est un tra­vail d’échange très ludique avec Boris Dambly, Fred Op de Beek¹ et les acteurs. »²

Prenons la pre­mière par­tie : un apparte­ment est fig­uré par « deux murs blancs ». Claude et Boris choi­sis­sent sci­em­ment un espace rel­a­tive­ment vide et deman­dent à chaque acteur de le faire vivre en y appor­tant des objets qui leur appar­ti­en­nent. C’est impor­tant que ce soit des objets per­son­nels pour qu’une forme de vérité s’immisce dans le lieu de la fic­tion. La scéno­gra­phie évolue au fil des répéti­tions et elle influ­ence la fable. L’ac­teur Olivi­er Zan­ot­ti apporte un jour un chien empail­lé et on se rend compte que ça fait écho à une sit­u­a­tion qui a lieu plus tard dans la pièce ; Clé­ment Los­son, lui, apporte des cri­quets dans un vivar­i­um et petit à petit ils devi­en­nent un élé­ment cen­tral de l’appartement et du quo­ti­di­en des per­son­nages. Cette matière par­ticipe au réc­it, elle crée un envi­ron­nement qui mod­i­fie pro­gres­sive­ment la nar­ra­tion. De la même façon, Boris Dambly, le scéno­graphe, pro­pose sou­vent des idées périphériques liées à des sit­u­a­tions de jeu. Par exem­ple, pour la scène d’ouverture du spec­ta­cle, c’est lui qui a sug­géré que l’un des per­son­nages ait une con­ver­sa­tion sur Skype. C’est une idée de sit­u­a­tion, mais, pour finir, c’est de la mise en scène, de l’espace et de la lumière.

« Quand on imag­ine une scéno­gra­phie avec Boris, on se demande tou­jours com­ment le vivant va pou­voir s’emparer de ça, com­ment il va pou­voir dépass­er le décor et don­ner de la vérité à cet espace. » De même que le texte, la scéno­gra­phie fonc­tionne comme un squelette qui demande à être nour­ri. Boris Dambly et Claude Schmitz imag­i­nent un espace à jouer, mais ils lais­sent aux acteurs le soin de le rem­plir et de le salir. Je me sou­viens de Patchouli, au début des répéti­tions, deman­dant à Boris de faire un trou dans la grotte pour y met­tre sa bouteille de Jack Daniels ! Cela paraît anec­do­tique, mais c’est très révéla­teur de la prise de pos­ses­sion du ter­ri­toire par les acteurs. L’équipe de scéno­gra­phie tra­vaille pen­dant deux mois sur cette grotte, et la pre­mière chose que fait l’acteur c’est creuser un trou pour y met­tre sa bouteille de Jack. C’est un geste sym­bol­ique pour dire « Main­tenant, ici, c’est chez moi ! ». Dès le moment où ils arrivent sur le plateau, ils savent qu’ils sont maîtres à bord. Leur don­ner cette lib­erté, c’est faire en sorte que les acteurs se sen­tent sur scène dans un monde qui leur appar­tient.

« Quand tu tra­vailles sur une matière, si tu es sen­si­ble aux signes autour de toi, le réel nour­rit énor­mé­ment un pro­jet. Ce qui est ter­ri­ble, c’est de s’enfermer et d’écrire un pro­jet dans son coin, sans être atten­tif à ce qui se passe autour. Les solu­tions, elles vien­nent des autres, ça j’en suis per­suadé. » Un jour, lors d’une réu­nion tech­nique, Judith Rib­ardière — la dra­maturge de Claude — par­le de pho­togra­phies que sa grand-mère avait faites dans les années 80 au Mali. Claude décide d’intégrer cette matière doc­u­men­taire dans le spec­ta­cle et il en fait un événe­ment de la fic­tion. Et d’une anec­dote, nos trois petits cochons se retrou­vent donc à pro­jeter au milieu de leur cui­sine les dia­po­ra­mas de la grand-mère de Judith, rêvant à leur pos­si­ble voy­age en Afrique.

Patchouli (Darius), Clément Losson (Stan), Olivier Zanotti (Gabriel) devant le diaporama du Mali. Photo © Clémence de Limburg
Patchouli (Dar­ius), Clé­ment Los­son (Stan), Olivi­er Zan­ot­ti (Gabriel) devant le dia­po­ra­ma du Mali. Pho­to © Clé­mence de Lim­burg

L’équipe de créa­tion s’est instal­lée aux Halles de Schaer­beek seule­ment dix jours avant la pre­mière représen­ta­tion (les répéti­tions préal­ables ont eu lieu au Théâtre Océan Nord). À ce moment-là, la trame du spec­ta­cle était en place et les comé­di­ens étaient à l’aise dans leur par­cours, mais il a fal­lu s’accorder avec un nou­v­el espace. Il y a eu tout un tra­vail d’adaptation pour que la tech­nique n’écrase pas le jeu, mais que les deux se met­tent au dia­pa­son. Et je remar­que que le spec­ta­cle a réelle­ment pris forme au moment de cette ren­con­tre. Finale­ment, c’est avec cette con­trainte sup­plé­men­taire que les acteurs se sont mis à tran­scen­der le texte et à réin­ven­ter des choses.

Les scènes sont très cal­i­brées, très répétées, mais à tout moment, le cadre peut explos­er. Claude met en place des formes où il laisse une part à l’aléatoire. Il cherche à faire naître une fric­tion entre le cadre scénique et les êtres qui doivent l’investir. Sur scène, les acteurs savent qu’ils peu­vent « lâch­er les chiens », ce qui les rend par­fois imprévis­i­bles et donne au spec­ta­teur le sen­ti­ment qu’on est tou­jours au bord de l’accident. Ça vaut pour les acteurs mais aus­si pour le décor. Lors d’une des représen­ta­tions, Fran­cis Soetens a jeté un télé­phone qui a explosé au sol. C’était inat­ten­du pour les acteurs comme pour les spec­ta­teurs, si bien qu’on se demande si c’est un choix ou un acci­dent. Cette incer­ti­tude crée une ten­sion entre l’acteur et le spec­ta­teur qui nous donne la sen­sa­tion de vivre un moment sin­guli­er.

« Quand on voit ton spec­ta­cle, on se dit que tout peut arriv­er, et au final tout arrive ! » dis­ait un spec­ta­teur à la sor­tie du spec­ta­cle.

« COMMENT ARRIVER À RECRÉER DU VIVANT ? C’EST LA SEULE QUESTION QUI M’INTÉRESSE. ON DIT QUE LE THÉÂTRE EST UN ART VIVANT, MAIS EN FAIT C’EST EXTRÊMEMENT RARE DE SENTIR QUE L’ÉNERGIE DÉPLOYÉE EST UNE ÉNERGIE QUI CASSE LE CADRE, QUI N’EST PAS COMPLÈTEMENT CANALISÉE. »

1. Boris Dambly est le scénographe du spectacle ; Fred Op de Beek en est le directeur technique.
2. Toutes les citations dans le texte sont de Claude Schmitz.
Retrouvez les épisodes précédents du journal de création de "Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant" de Claude Schmitz par Judith de Laubier : 

   - "Who's Afraid of the Big Bad Wolf ?" (épisode 1/4)
   - "Moi j’ai pas envie de faire une italienne, je suis belge" (épisode 2/4)
Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant

Avec : Marc Barbé, Lucie Debay, Clément Losson, Patchouli, Olivier Zanotti, Francis Soetens. 

Mise en scène : Claude Schmitz | Dramaturge : Judith Ribardière | Assistante lumière et stagiaire à la mise en scène : Judith de Laubier | Stagiaire à la scénographie : Jade Hidden | Stagiaire aux accessoires : Camille Chateauminois | Scénographie : Boris Dambly | Maquette : Nora Kaza Vubu | Création Sonore et Musique Originale : Thomas Turine | Lumières : Octavie Piéron | Image : Florian Berutti | Direction technique : Fred Op de Beek | Construction du décor : Fred Op de Beeck, Yoris Van de Houte, Alocha Van de Houte, Olivier Zanotti et Jade Hidden | Sculpteur - Peintre : Laurent Liber, Boris Dambly et Guillaume Molle.


Avec la participation amicale de Drissa Kanambaye et Djeumo Sylvain Val.

Production déléguée : Halles de Schaerbeek.

Coproduction : Comédie de Caen, Compagnies Paradies Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, service Théâtre. Et le soutien du théâtre Océan-Nord. Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, Service Théâtre.
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Judith de Laubier
Née en 1990, Judith vit et travaille entre Bruxelles et Paris. En 2011, elle entre...Plus d'info
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