Le théâtre pour survivre – Réflexions autour de la production théâtrale syrienne

Théâtre
Réflexion

Le théâtre pour survivre – Réflexions autour de la production théâtrale syrienne

Le 27 Juil 2022
Saad Al Ghefari dans The Factory, mis en scène par Omar Abusaada, Berlin 2018. Photo David Baltzer.
Saad Al Ghefari dans The Factory, mis en scène par Omar Abusaada, Berlin 2018. Photo David Baltzer.

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Saad Al Ghefari dans The Factory, mis en scène par Omar Abusaada, Berlin 2018. Photo David Baltzer.
Saad Al Ghefari dans The Factory, mis en scène par Omar Abusaada, Berlin 2018. Photo David Baltzer.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 147 - Scènes contemporaines des mondes arabes
147

La main de fer exer­cée par le gou­verne­ment, le dog­ma­tisme poli­tique imposé par le par­ti unique et la cen­sure qui empêche toute lib­erté d’expression… Ce sont les élé­ments typ­iques des régimes total­i­taires, et ils régis­saient la vie en Syrie depuis la prise de pou­voir de Hafez Al Assad en 1970, puis de son fils Bachar Al Assad en 2000. Pour­tant, au sein de ce paysage som­bre, l’Institut Supérieur des Arts Dra­ma­tiques de Damas (ISAD) fai­sait excep­tion ! Dans le bâti­ment qui abrite les départe­ments jeu, études théâ­trales, danse, tech­niques du spec­ta­cle et scéno­gra­phie, les étu­di­ants sélec­tion­nés par un con­cours d’entrée très strict se sen­taient libres, épanouis, et dif­férents de leurs homo­logues à l’Université de Damas. En effet, con­traire­ment à ce qui était adop­té dans les amphithéâtres uni­ver­si­taires, le sys­tème d’enseignement à l’ISAD était pro­pre à encour­ager la libre-pen­sée et le juge­ment cri­tique. Le résul­tat est clair : depuis la créa­tion de l’ISAD en 1977, presque tous ses diplômés ont occupé avec suc­cès des postes clés, non seule­ment dans les métiers du spec­ta­cle, mais aus­si dans le paysage artis­tique et cul­turel de toute la région. 

Les raisons de ce suc­cès : un enseigne­ment de qual­ité basé sur les meilleurs pré­ceptes de la for­ma­tion de l’acteur et de la dra­maturgie ; une ouver­ture sur les expéri­ences nova­tri­ces du théâtre inter­na­tion­al et sur les méth­odes d’analyse fournies par les sci­ences humaines. De même, chaque année, un groupe d’étudiants était envoyé à Avi­gnon afin d’assister au Fes­ti­val, et les meilleurs de leur pro­mo­tion étaient récom­pen­sés par une par­tic­i­pa­tion à des ate­liers et à des rési­dences à l’étranger, par­mi lesquels l’atelier jeu du Théâtre du Soleil à Paris, l’atelier éclairage et son à l’Institut Supérieur des Tech­niques du Spec­ta­cle d’Avignon (ISTS) ou encore l’Atelier d’écriture au Roy­al Court The­atre à Lon­dres, qui a con­tribué à la for­ma­tion d’excellents écrivains pour le théâtre.

Les cen­tres cul­turels français, alle­mand, et espag­nol soute­naient l’Institut Supérieur des Arts Dra­ma­tiques de Damas, qu’ils jugeaient unique en son genre en Syrie. C’était aus­si l’époque des pro­jets de coopéra­tion euro-méditer­ranéenne qui per­mirent la con­sti­tu­tion d’un réseau de col­lab­o­ra­tion et d’amitié entre les artistes des deux rives. L’échange se fai­sait dans les deux sens. Beau­coup d’artistes européens vin­rent tra­vailler à Damas, par­mi lesquels Jacques Las­salle, Alain Knapp, Jean-Christophe Saïs, Pas­cal Ram­bert, Cather­ine Mar­nas, André Serre, Cather­ine Boscov­ic, Jean-Christophe Lan­quetin, pour ne citer que les Français. Les spec­ta­cles de Peter Brook, Maguy Marin, Philippe Gen­ty, Árpád Schilling enchan­taient le pub­lic et ouvraient de nou­velles per­spec­tives devant les artistes syriens. Quant aux artistes invités, ils admi­raient le dynamisme excep­tion­nel de l’ISAD, devenu célèbre pour son bon fonc­tion­nement.  

Mais ce phénomène n’était pas né du vide. Le théâtre en Syrie date de la fin du xixe siè­cle, et les com­pag­nies de théâtre, assez nom­breuses à l’aube du xxe siè­cle, fai­saient des tournées entre la Syrie, le Liban, l’Égypte et l’Afrique du Nord. Des acteurs et des actri­ces pleins de déter­mi­na­tion par­ve­naient, con­tre vents et marées, à ancr­er le spec­ta­cle dans les loisirs du pays. 

Au début des années soix­ante, la créa­tion du min­istère de la Cul­ture et le lance­ment du Théâtre Nation­al don­nèrent un élan nou­veau. Le sou­tien de l’État per­me­t­tait aux artistes de se con­sacr­er au tra­vail théâ­tral, et la créa­tion d’un syn­di­cat con­tribua à la pro­tec­tion de leurs droits et à leur assur­er une retraite décente.

Le mod­èle social­iste de la gra­tu­ité de la cul­ture était adop­té, et les accords cul­turels signés avec les pays de l’Est per­me­t­taient à beau­coup de jeunes d’obtenir des bours­es de for­ma­tion à l’étranger. À l’intérieur du pays, les experts russ­es, bul­gares, yougoslaves et tchèques for­maient les équipes de tra­vail dont le théâtre pour enfants, le théâtre de mar­i­on­nettes, et le théâtre ambu­lant qui se déplaçait de vil­lage en vil­lage. 

Le Fes­ti­val de théâtre de Damas, lancé en 1969, était devenu le lieu de ren­con­tre des plus grands artistes (hommes et femmes) du monde arabe. Les dis­cus­sions lors des tables ron­des ou autour d’un verre étaient l’occasion de réfléchir à des notions nou­velles, et d’entamer des pro­jets dans une dynamique qui touchait tous les pays arabes. MAIS, l’État qui pro­tège et sou­tient se donne aus­si le droit d’intervenir dans tous les détails de la pro­duc­tion, de con­trôler et d’interdire. À par­tir des années 1970, le cli­mat poli­tique se durcit de plus en plus ; la cen­sure devient stricte et nuis­i­ble. Les intel­lectuels con­sid­érés comme les pio­nniers du change­ment sont dérangés et sou­vent détenus pour leurs opin­ions. Le cli­mat de lib­erté est gâché, et le régime devient de plus en plus rigide et total­i­taire. La bureau-cratie ne tarde pas à s’installer dans le min­istère, et se met à entraver le dynamisme du passé. 

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Hanan Kassab Hassan
Hanan Kassab Hassan est docteure en études théâtrales, professeure aux Universités de Damas et Beyrouth,...Plus d'info
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