Depuis trente-cinq ans, chaque été, le petit village de Moirans-en-Montagne accueille Idéklic, l’un des festivals d’art vivant dédiés à l’enfance parmi les plus anciens. Grâce au solide engagement de tout un territoire, et de nombreux bénévoles, 15 000 visiteurs viennent y découvrir des spectacles de haute qualité pendant quatre jours. Rencontre avec Sylvie Martin-Lahmani1, en charge de la programmation artistique de ce « festival international jeune public » en milieu rural, auquel on peut aussi prendre part à plus d’un titre.
Quelle responsabilité est-ce que cela représente de programmer des spectacles jeune public ?
« À Idéklic, nous voulons offrir du divertissement et des chocs artistiques, mais aussi transmettre des valeurs aux enfants : le respect de l’autre, le partage, la bienveillance. Des valeurs comme la parité, la diversité ou l’écologie me tiennent aussi à cœur. Ces sujets peuvent traverser le spectacle de manière légère, avec une approche poétique par exemple. Je privilégie les formes qui posent des questions, sans être pédagogique ; qui offrent un espace de réflexion et aident à aiguiser l’esprit critique. Les bons spectacles, selon moi, utilisent tout ce qui fait signe sur une scène : le texte, la musique, la danse, les images éventuellement, pour s’adresser à tous les sens des enfants, pas seulement à leur cerveau. Idéklic a lieu au cœur de l’été, dans un magnifique écrin jurassien, et s’adresse à un public familial. C’est pourquoi je pense aussi aux ‘‘grands’’ : j’aimerais que les spectacles les intéressent autant que les petits, qu’ils puissent retrouver leur ‘‘âme d’enfant’’, cette part d’imaginaire et de liberté, trop souvent refoulée avec l’âge de la maturité ; cette puissante capacité qu’ont les enfants à rêver. »
La programmation suit une thématique différente chaque année. En 2025, il s’agit de « Drôles d’histoires ! ». Comment faut-il l’entendre ?
« Après avoir abordé le cabaret, en 2024, et l’image projetée l’année précédente, j’avais envie de présenter des dramaturgies plurielles, de montrer comment les artistes écrivent des histoires avec des langages très variés. Parmi la douzaine de productions que j’ai choisies, il y a des histoires écrites avec les mots, dont Thélonius et Lola, de Serge Kribus, et deux propositions des Tréteaux de France-Centre dramatique national, une structure importante du réseau jeune public. Le parrain de l’édition 2025 est d’ailleurs Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française. La programmation compte aussi des histoires écrites avec le corps, comme Relief, de la chorégraphe Maud Marquet, en dialogue avec une géologue, et deux pièces chorégraphiques de la compagnie Fattoumi-Lamoureux, reconnue internationalement. »
Le festival propose des spectacles pour tous les âges, y compris pour les bébés. Comment se déroule cette rencontre avec les artistes ?
« D’un côté, on a des tout-petits, à partir de six mois, et les adultes qui les accompagnent. De l’autre, des formes courtes qui conjuguent la mise en scène, le jeu, l’éveil sensoriel, pour donner un moment véritablement artistique. Je pense, par exemple, à une « sieste trapèze » – No Panication, avec Sandra Reichenberg –, qui invitait à s’allonger pour regarder évoluer la trapéziste au-dessus de nous, au son de la guitare électrique. Les tout-petits forment un public hyper-attentif, qui réagit spontanément tout au long de la représentation. Chez eux, l’écoute est intense. Chez les artistes aussi, d’ailleurs, qui peuvent rebondir sur leurs réactions. C’est un partage permanent de sensations en direct. Quant aux parents, ils regardent autant le plateau de théâtre que leur enfant. Se tisse une relation triangulaire, humainement très forte, entre l’artiste, le bébé et le parent. »
En plus des spectacles, le public a la possibilité de participer à des ateliers très variés, de l’illustration à l’acrobatie en passant par le djembé. Qu’est-ce que cela apporte au festival ?
« Depuis la fondation d’Idéklic en 1989 par Christian Piron, les enfants viennent ici pour découvrir des spectacles, mais aussi pour jouer et expérimenter. Pendant quatre jours, une cinquantaine d’ateliers sont proposés, autant que de représentations ! Ce sont des espaces libres, sans critères d’admission : on a le droit d’essayer une activité, puis de la quitter pour aller voir ailleurs, ou d’y rester la journée entière. Cette approche vient de la pédagogie Freinet. Pour les petits habitués du festival, il est tout aussi naturel d’aller au spectacle que d’aller suivre un atelier. Ils n’ont pas de barrière culturelle pour pénétrer dans une salle ni pour parler de ce qu’ils viennent de voir. »
Ces dernières années, le festival ménage une place aux pratiques amateurs. Pourquoi cette évolution ?
« Les spectateurs et les bénévoles ont un désir accru de participer à des projets artistiques. C’est stimulant pour tout le monde. Il ne s’agit pas de confondre amateurs et artistes. Je défends les professionnels qui consacrent leur vie à leur art et prennent des risques pour créer et inventer. Je défends aussi la pratique amateur, qui peut être catalyseur de rencontres et de relations essentielles. Le contact entre les deux peut produire des déclics, susciter des vocations. Depuis deux ans, j’ai imaginé des projets participatifs entièrement pris en charge par des amateurs éclairés, comme la Pépinière Jeunes talents d’Idéklic, ou L’Été aux balcons. De nombreux talents se cachent parmi les 250 bénévoles de différentes générations qui portent le festival avec enthousiasme et passion. Cette année, nous aurons aussi des scènes ouvertes, sans limite d’âge. »
Propos recueillis par NG
INFOS PRATIQUES
35e édition du festival Idéklic
Du mercredi 9 au samedi 12 juillet 2025, à Moirans-en-Montagne (Jura)
Tél. : 03 84 42 00 28
Lien : https://www.ideklic.fr
Si besoin : Liens vers les spectacles cités
- Fiesta, texte de Gwendoline Soublin, mise en scène de Fiona Chauvin et Olivier Letellier (2024), Tréteaux de France-Centre dramatique national : https://www.treteauxdefrance.com/repertoire/fiesta
- D’ici là-bas, texte de Simon Grangeat, lu par les Tréteaux de France-Centre dramatique national.
- Relief, de la compagnie Enlacets (2025) : https://www.compagnienlacets.fr
- Zak Rythmik de la compagnie Fattoumi-Lamoureux (2022) : https://www.viadanse.com/spectacle/zak-rythmik/
- GOAL-Fantaisie pour passement de jambes de la compagnie Fattoumi-Lamoureux (2024) : https://www.viadanse.com/spectacle/goal-fantaisie-pour-passement-de-jambes
- Thélonius et Lola, texte de Serge Kribus, mise en scène et interprétation de S. Kribus et Diane Calma. https://www.sergekribus.com/thelonius-et-lola
- Et ancienne codirectrice éditoriale d’Alternatives théâtrales. ↩︎