Pour sa première mise en scène, Maera Chouaki s’empare d’une pièce inédite de son père, Aziz Chouaki. Écrite en 2003, Le Lys et le Jasmin (qui vient d’être jouée à Paris, au Théâtre du Chariot) a pour personnages principaux deux fleurs, le lys et le jasmin, dont la rencontre est une métaphore de la situation migratoire entre l’Occident et l’Orient. La langue est poétique et sensible. La mise en scène, qui convoque aussi bien le théâtre d’ombres que la danse, la sert à merveille.
Pour quelles raisons avez-vous souhaité vous emparer d’une pièce inédite de votre père pour votre première création ?
J’ai toujours été très proche de son écriture et de ses pièces, j’en ai vu quelques-unes quand j’étais petite. Je suis habituée à ses sujets très crus (la misère en Algérie, suite à la guerre civile, la colonisation, le rapport entre la France et l’Algérie), mais abordés par le biais de personnages lumineux, à la fois brisés et dotés d’un grand humour. Quand j’ai découvert Le Lys et le Jasmin, j’y ai rencontré, pour la première fois, une métaphore et un recul dans la forme : les personnages n’étaient ni concrets ni bien en chair, c’étaient des fleurs qui parlaient, mettant des mots sur ce qu’elles étaient. En tant que fille endeuillée par la mort de son père, ce texte a apaisé une part en moi. Même si les sujets abordés restent les mêmes, ce texte est empreint d’une grande douceur et j’en avais besoin.
Cette rencontre de l’Orient avec l’Occident, c’est aussi l’expérience personnelle de votre père, contraint de quitter l’Algérie durant la « décennie noire », suite à la montée du FIS (le Front islamique du salut) dans les années quatre-vingt-dix…
Comme tout enfant d’immigrés de cette génération, j’ai les récits d’exil de mes parents en héritage. J’aime quand l’écriture de mon père questionne le réel avec un décalage et un rire au coin de la bouche. Il y a une vérité dans ses textes qui se retrouve seulement chez ceux qui ont vécu ces expériences. Il a écrit ce conte en 2003, juste avant les émeutes des banlieues. Lorsque nous l’avons joué au Festival d’Avignon l’été dernier, en 2024, nous avons réalisé qu’il était en résonance profonde avec l’actualité. Certaines personnes ont eu du mal à croire que le texte avait été écrit il y a vingt ans ! Sur la question migratoire en France, les choses ne bougent pas, voire s’enveniment. Jouer Le Lys et le Jasmin juste après la dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles élections législatives, sans savoir à quelle sauce nous allions être mangés, lui conférait une dimension encore plus forte.