Les opéras pour jeune public sont désormais nombreux, à la fois dans le répertoire et dans les créations1. Mais, au sein de ce genre à part entière, les opéras participatifs sont plus rares et inventent à chaque fois leurs modalités d’implication du jeune public. On appelle ici « participatif » un opéra qui aménage dans sa composition, son livret et sa mise en scène des interventions du public, faisant de celui-ci un véritable élément musical et dramatique.
Il ne suffit donc pas qu’un chœur d’enfants y contribue, même s’il existe bien des intermédiaires possibles entre la participation spontanée du public et la patiente préparation d’une maîtrise d’enfants. Par exemple, Le Petit Ramoneur/The Little Sweep (Let’s Make an Opera !), composé par Benjamin Britten en 1949, propose un livret de « chants pour le public », mais les rôles pour voix d’enfants de huit à quinze ans supposent une longue préparation. Depuis ce précédent, différentes formes d’opéra participatif pour jeune public se sont développées. Dans cette logique, le répertoire est revisité, car il faut souvent adapter et traduire le livret, abréger la partition, sélectionner des chants d’intervention, c’est-à-dire élaborer une nouvelle version des œuvres. Pour la création de nouvelles œuvres, la composition et la mise en scène peuvent intégrer d’emblée la participation du jeune public. Mais tout l’enjeu est peut-être que ces œuvres n’occupent pas seulement un segment « jeunesse » de la création musicale, mais introduisent à une culture de l’écoute diversifiée, où le futur public des créations d’opéra est en jeu.
Nous examinerons donc trois exemples, comme autant de réponses à ces questions : comment la participation du jeune public contribue-t-elle à sa découverte de l’opéra ? Que signifie-t-elle pour les adultes et pour les enfants ? Et que veut-on mettre en avant dans la participation ? Associer le public à la fabrique des opéras ? Ou bien constituer un public destiné à durer ? Nos trois exemples s’adressent à une tranche d’âge de six à quatorze ans, et bien sûr aux adultes. Il s’agit d’Une petite flûte, adaptée de La Flûte enchantée de Mozart, mise en scène par Julie Depardieu et créée au Théâtre des Champs-Élysées (TCE) en 2024 ; Un piano dans la montagne – un corps à soi, d’après Carmen de Bizet, créé par la compagnie Sandrine Anglade en 2023, et Patiente, mon cœur, une commande de l’Opéra royal de Wallonie, composé par Lionel Polis sur un livret d’André Borbé, et créé à Liège en 2024.
Une petite flûte est emblématique de l’engagement du TCE à créer chaque année une adaptation d’opéra pour jeune public, avec un fort soutien du mécénat. Ces opéras incluent un doublage en langue des signes française et sont accompagnés de nombreux documents préparatoires en ligne. En plus des surtitres habituels, certains airs sont performés par le chef et les artistes en « chansigne », et d’autres sont accompagnés de percussions corporelles, afin d’associer l’ensemble du public, y compris des adultes et enfants muets ou malentendants. Les ressources numériques visent à accompagner les proches ou les enseignants dans la préparation du spectacle. Un livret d’apprentissage et des vidéos en ligne permettent d’apprendre les airs, les signes, et les chorégraphies et percussions qui leur correspondent. Cette préparation en amont est aussi possible a posteriori, grâce à la diffusion intégrale en ligne de plusieurs de ces opéras doublés en langue des signes. On tire alors parti d’un avantage de l’opéra : multidimensionnel par essence, il offre un riche spectacle visuel et gestuel, même pour un public empêché du point de vue vocal et/ou auditif. Inversement, la gestuelle du chansigne ou les percussions offrent aux jeunes spectateurs des repères rythmiques et visuels qui aident à mémoriser les mélodies et soutiennent le chant participatif. L’anticipation du chant crée une excitation et une écoute particulières, puisqu’il faut saisir l’entrée indiquée par le chef pour chanter avec le public. On se familiarise alors avec le rôle-clé du chef d’orchestre, qui se retourne pour diriger le public. Si cette préparation peut sembler exigeante, car les contraintes sont nombreuses, elle attire l’attention sur une vaste palette d’instruments techniques et corporels (voix, gestes, mimiques) à partir de laquelle différents modes de participation sont possibles.